31/05/2018

Dans tes rêves : ne pas s'appartenir / sans interruption


Marcel Cravenne - L'éducation sentimentale, 1973
Jean-Pierre Léaud (Frédéric Moreau) Françoise Fabian (Mme Arnoux) 
Mis en ligne par Carochoupi



Le dialogue est une "compression" du chap. 6, IIème partie. Pour l'échange final le texte de Flaubert est le suivant : Il était bien entendu qu’ils ne devaient pas s’appartenir. Cette convention, qui les garantissait du péril, facilitait leurs épanchements.



Étant enfant - j'en étais un il y a encore quelques années, - je rêvais volontiers que je me trouvais dans une vaste salle bondée - en me dotant, il est vrai, pour ce qui était du côté de la voix et de l'esprit, d'un peu plus de force que je n'en avais à ce moment-là - et que je lisais intégralement L'Éducation sentimentale à haute voix, sans interruption, pendant autant de jours et de nuits qu'il se révélait nécessaire, en français naturellement (ô ma chère prononciation !), et si fort que je faisais vibrer les murs...
Franz Kafka - Lettre à Felice, Nuit du 4 au 5 décembre 1912
Traduction de Marthe Robert


Kafka, on le sait, gardait toujours sous la main - y compris sur sa table de travail - son exemplaire de l'Education sentimentale (1). Et quant à Mme Arnoux, on se souvient aussi qu'elle fait au même chapitre un autre rêve, le rêve du trottoir de la rue Tronchet, qui fait basculer le roman le lendemain, 22 février 1848 à 15 heures - en ces journées précisément où le roman n'est pas le seul à basculer.


Remarquez que c'est aussi un bon livre à lire quand on est malade. Et que dans la foulée, si on ne va pas mieux, on peut aussi lire Dolf Oehler (sur les promenades à Fontainebleau). Et, pourquoi pas, Bourdieu si votre cas s'aggrave. Mais que le meilleur commentaire critique à ce jour, c'est encore celui d'Emile Zola.


(1) "C'est un livre qui, pendant de nombreuses années, m'a touché d'aussi près que l'ont fait à peine deux ou trois être humains." Lettre à Felice, 25 novembre 1912.

30/05/2018

Ronde de nuit : jamais du réel


Richard Tuschman - Couple in the street, 2014, de la série Once upon a time in Kazimierz



Lorsque quelque chose est mauvais, disait mon maître (Mairena s'adresse ici à ses élèves), efforçons-nous d'imaginer quelque chose d'autre, qui soit bon; si d'aventure nous trouvons cette chose-là, essayons de trouver mieux encore. Il faut toujours partir de l'imaginé, du supposé, de l'apocryphe. Jamais du réel.
Antonio Machado - Juan de Mairena - maximes, mots d'esprit, notes et souvenirs d'un professeur apocryphe, 1936
Trad. française de Catherine Martin-Gevers, Anatolia éd. du Rocher, 2006



Tuschman fabrique à la main ses dioramas miniatures, à la dimension d'un théâtre de poupées, pour y incruster les modèles qu'il a photographiés grandeur nature. Il a ainsi réalisé les Hopper Meditations, puis ces fables de Kazimierz - le vieux quartier juif de Cracovie, où la famille de l'artiste et celle de son épouse résidaient jusqu'au début du XXème siècle. Les tableaux décrivent le quotidien et les tourments intimes d'une famille juive des années 1930, dans un quartier alors habité par la part la plus pauvre et la plus religieuse de la communauté.

D'après ceux qui l'ont connu, Hopper pouvait raconter l'histoire supposée des personnages de Nighthawks ou d'Office at night, et Tuschman imagine ici aussi le bref roman de la femme du tailleur. Car Kazimierz a disparu, englouti, et tous ses habitants sont partis dans le réel. Aujourd'hui Kazimierz est un quartier plutôt branché où les seuls juifs sont des touristes. Comme pour le bar de Nigthawks, que tout le monde cherche en vain dans le New York réel, tout ce qui reste de Kazimierz il faut le trouver dans l'apocryphe, comme dirait Juan de Mairena, dans le drame minuscule qui se joue aux maisons de poupées de Richard Tuschman. Partons du supposé, même si c'est un drame ce sera toujours mieux que le réel.

29/05/2018

Les intérieurs sont habités : Spilliaert


Léon Spilliaert - Intérieur avec oignon, 1909
Gouache, aquarelle et crayon sur papier
Via huariqueje

28/05/2018

Que le parti des fous est le plus grand qui soit au monde



Antoine Boësset - Ballet des fous et des estropiés de la cervelle
Interprétation : Le poème harmonique - Vincent Dumestre

Mis en ligne par Gilade74


Réédition d'un vieux billet qui avait perdu sa musique et qui faisait lui-même suite à cet autre du 19 novembre 2010, également  sur Rabel. Boësset, surintendant de la musique de la chambre de Louis XIII, composait les musiques des ballets dont Daniel Rabel (1578-1637) dessinait les costumes - les illustrations ci-dessous sont toutes issues de son atelier.

Il s'agit d'une partie du Ballet des fées de la forêt de St Germain, dansé au Louvre pour Carnaval le 9 février 1625, par le roi (Louis XIII) et sa cour, pour le roi et sa cour. Livret de René Bordier, musique d'Antoine Boësset, réalisation d'Henri de Savoie, duc de Nemours.


Entrées successives de cinq fées - Guillemitte la quinteuse, fée de la musique, Perrette la hasardeuse, fée des joueurs...




...accompagnée d'un chat


...puis Jacqueline l'Entendue, fée des estropiés de la cervelle... 



(et son hibou)



...qui se fait annoncer par son récit :


Il n'est si fameux Empirique,
S'il affronte mon art magique,
Qui ne reçoive un pié de nez:
Le chef-d'oeuvre que je projette,
Gist en la caballe secrette
De guerir les embabouinez.




Entrée des Embabouinés


Ils ont l'œil creux, le corps ectique,
Le poil et l'habit à l'antique,
Qui les font remarquer de loing :
La vanité leur sert de guide,
Et de meubler leur chambre vuide
Les Chimeres ont un grand soing.


Pressez de leur humeurs bourrües
Tout le jour ils courent les rües,
Et toute nuict ont l'œil ouvert:
Moy, pour esgayer leur folie,
J'ordonne à leur melancolie
De se couvrir d'un bonnet vert.




Entrée des Fantasques


Parmy tant de rares pensées
Qui sont diversement blessées
Les fantasques me gastent tout,
Leurs fougues ne sont point communes,




Entrée des Demi-fous


Et les demy-foux ont des Lunes,
Dont je ne puis venir à bout.

Et quand à vous, Esperlucates,





Entrée des Esperlucates


Vos complexions delicates
Veulent un traictement fort doux :
Mais en vostre mal qui m'estonne,
Tout le remede que j'ordonne
C'est que je m'en rapporte à vous.




Puis un embabouiné fait en quelque sorte son autocritique :



Esprits adjustez comme il faut,
Je reconnois bien mon defaut
Et les caprices dont j'abonde:
Mais puis que le party des Foux
Est le plus grand qui soit au monde,
Je veux en estre comme vous.




Ce caractère était dansé par Henri de Talleyrand-Périgord, comte de Chalais, nouveau favori du Roi. Comme on voit, son autocritique n'était que partielle. 

Un des demi-fous se sent partagé... 




Si j'ai le sens troublé, ce n'est qu'en apparance
Amour et le dieu Mars partagent mes désirs
Qui sont si bien reiglez que mes plus chers plaisirs
Sont d'adorer Caliste, et de servir la France.


...il était dansé par Monsieur, frère du roi.

Vient la quatrième fée, Alizon la hargneuse, fée des vaillans combattants :



...et son dragon



Finissons ces combats faicts pour le passetemps,
Il me reste un poinct à vous dire,
C'est que les Ennemis du Chef des Combattans
Auront plus à pleurer qu'à rire.




Entrée des Vaillants Combattants  



Parmi ces Combattants, le Roi lui-même prend la parole :


France, qui dans les mains me vois des armes peintes,
Dont les exploits ne sont que des jeux et des feintes
Ne croy que je m'en serve avecque passion :
Pour moi tous passetems ont un charme inutile,
Amour fera bien tost place à l'ambition
Et l'Ennemy saura que je sçuis un Achille.



Entrée des Coupe-têtes



Les Coupe-têtes quant à eux ont de faux bras et de fausses têtes en carton, qu’ils se coupent à coups de sabres et font voler dans tous les sens. Enfin la cinquième fée... 



Macette la cabrioleusefée de la danse :


Rien n'est si divin que ma gaule,
Sa vertu que le ciel espaule
Me donne cent mille suivans
Et faict, tant le monde radotte,
Passer pour des hommes vivans...




Entrée des Bilboquets escamotés


...Des bilboquets que j'escamotte.



(puis Grand Ballet, et fin).



Il ya un sous-texte à ce livret : 






Le premier des Embabouinés, Henri de Chalais, nouveau favori du Roi au moment du ballet, se laisse enrôler l'année suivante par le plus important des Demi-fous... 





...Gaston, Monsieur frère du roi, et par la duchesse de Chevreuse dans une conspiration - dite de Chalais (1) en vue de faire fuir le frère du roi, voire d'assassiner Richelieu et, peut-être, de mettre Gaston sur le trône. Chalais, cependant, se met à jouer les agents doubles, faisant des confidences tantôt à Richelieu tantôt aux conjurés. A ce jeu-là avec le cardinal, il fallait, comme pour souper avec le diable, une plus longue cuiller que celle du comte de Chalais. Richelieu l'utilise pour se renseigner d'abord, puis pour faire un exemple sur le membre le plus faible et le moins titré de la conspiration. Chalais arrêté et interrogé dans sa prison, Monsieur prend très peur, cafarde tout le monde et surtout Chalais qui sert enfin au cardinal pour envoyer à Gaston un message de la plus grande fermeté. Jugé de façon expéditive, Chalais est condamné à mort. Pour le sauver ses complices paient les bourreaux de Nantes pour qu'ils se démettent, mais on recrute alors un autre condamné, le savetier Davy (2), prêt à faire office d'exécuteur en échange de sa propre vie. Mais ce nouveau coupe-tête...







...manquant d'expérience, est seulement muni d'une épée d'apparat mal affûtée et d'une hache de tonnelier. Il ne lui faut pas moins de cinq coups d'épée, suivis de vingt-neuf coups de hache (2), pour détacher la tête du comte de Chalais. 

Gaston épousa Mlle de Montpensier, fut fait duc d'Orléans, continua à comploter sans résultat notable. On raconte que quand on lui annonça la mort de Chalais alors qu'il était en train de jouer, il leva à peine la tête.

Dans la grande salle du Louvre, le 9 février 1625, il est fort probable que le cardinal de Richelieu, survivant de bien des complots et grand escamoteur de bilboquets s'il en fut...






...garde un œil attentif sur Monsieur, frère du Roi et sur le comte de Chalais, qui dansent. Cela ne fait qu'un an que Richelieu est revenu en faveur, et au Conseil du Roi. L'homme qui a dit un jour 


Donnez-moi deux lignes de la main d'un homme, et j'y trouverai de quoi suffire à sa condamnation

et qui sera parmi les inventeurs (3) de la forme d'Etat moderne regarde gigoter cette haute noblesse qu'en vingt ans il va mettre au pas, rogner, tailler en pièces et réduire à merci. Il n'est pas de divertissement innocent.




On trouvera ici une description en détail du Ballet des fées de Saint-Germain - malheureusement une bonne partie des sites présentant en lien les livrets des opéras et ballets n'est plus accessible. Un livret (partiel ?) est accessible sur Gallica et certains des textes sur la base Philidor. Les dessins aquarellés du Ballet des fées sont conservés à la BnF (Estampes) et peuvent être consultés sur le site de la RMN ou sur Gallica, source des images ici présentes. 

Quatre des airs de ce ballet ont donc été enregistrés par le Poème Harmonique et sont disponibles chez Alpha et sur les sites habituels de streaming.

Sur la conspiration de Chalais, on peut lire, par exemple, l'opuscule de Louis Grégoire.

Et, à propos du cardinal, déjà.


(1) Ou de l'aversion au mariage. Il s'agissait pour les conjurés d'éviter à tout prix le mariage de Monsieur avec Mlle de Montpensier, pour lui garder ouvertes toutes les possibilités d'alliance avec des maisons étrangères. Louis XIII n'avait pas encore de descendance et Gaston était premier dans l'ordre de succession. Pour les lecteurs d'Alexandre Dumas, rappelons que la duchesse de Chevreuse, qui ourdit cette conspiration avant tant d'autres, tenta plus tard de précipiter Anne d'Autriche dans les bras du duc de Buckingham.

(2) Les sources varient : le savetier Davy ou encore un soldat; vingt coups seulement selon certains, trente-quatre selon d'autres. La relation la plus souvent reproduite est celle du Mercure français de 1626. Alexandre Dumas cite l'exécution de Chalais dans le Comte de Monte-Cristo, et Victor Hugo dans le dernier jour d'un condamné.

(3) En tant que praticien. Bien entendu il y a, aussi, Bodin et Hobbes dans ce mouvement qui fait de l'Etat moderne une causa sui.

27/05/2018

Aéropédie


Gianni Ranati - Il palloncino rosso, 1957




"A Balloon-Prospect from above the clouds, or chromatic view of the Country between Chester, Warrington and Rixton-Moss in Lancashire : shewing the whole Extent of the aërial Voyage; with the meandering Track of the Balloon throu' the air."
Ill. pour Thomas Baldwin, Airopaidia or Aërial Recreation, 1786
Source



Et de Gianni Ranati, déjà.







26/05/2018

Regarde la route : Taslitzky


Boris Taslitzky - Tout fout le camp, 1991
Huile sur toile
Via Boris Taslitzky




Et, de Boris Taslitzky, déjà.

25/05/2018

Mai 68, l'effet vintage et les sièges de voiture






Quand on avance en âge, dit M. Chat, on trouve dans sa boîte aux lettres ces catalogues à destination des anciens, lesquels vous proposent, au milieu des pose-cannes et autres chausse-pied télescopiques, certains articles ébouriffants - ainsi ce radio-cassette du bon vieux temps, rééquipé de ports SD et USB...







...ou ce répertoire à spirale d'un élégant marron, comme celui qui trônait sur la tablette de l'entrée, jadis, à côté du téléphone à cadran, voire du minitel. Mais celui-ci est dédié aux URL et aux mots de passe (on sait ce que c'est que la mémoire des vieux sages)...

Mme Chat : Waouh... à quand le Teppaz wi-fi ?

M. Chat - Ce sont là des exemples de ce que j'appellerais l'effet vintage.

Mme Chat - Késaco ?

M. Chat (sur le ton doctoral du septuagénaire marmonnant) - Non pas le vintage au sens original, le millésime, mais cette tendance à produire des objets dont on ne sait plus si c'est du neuf qui s'efforce de paraître vieux, ou du vieux qui essaie - plus ou loin misérablement - de se rajeunir. On pourrait même appeler ça - pour employer un terme à la mode - de l'innovation rétroactive...

Mme Chat (elle écoute distraitement) : Comme le steampunk ?

M. Chat - En moins drôle... Et justement il me venait à l'idée, en feuilletant ce catalogue...

(on entend un bruit de papier tombant à la poubelle)

...de faire un rapprochement avec ces livres sur Mai 68, tu sais, à la librairie du centre-ville, ils les mettent sur une petite console en coin à côté de la table "bouddhisme/yoga", ils les empilent les uns sur les autres, sans ordre, tellement il y en a.

Mme Chat - Je préfère le yoga au football selon Cohn-Bendit...

M. Chat - Hé bien, parmi ces bouquins, l'effet vintage fait des ravages - je pense à ces mémoires d'anciens responsables gauchistes qui en sont à leur deuxième, voire quatrième édition augmentée, certains à chaque décennie ! Ils s'ornent inévitablement en couverture d'une photo du héros dans sa jeunesse, prenant la parole, juché quelque part, entouré, je l'espère, de quelques solides gars du S.O...









ou encore empoignant un mégaphone...






...puis, vers le milieu du bouquin, crac, le gars adhère au Parti Socialiste et alors là il s'accroche, et ça dure. Remarque, pour Weber, il paraît qu'il faut attendre le tome 2 pour la fin de carrière.

Mme Chat - Je trépigne d'impatience.

M. Chat - C'est cela, l'effet vintage, le brouillage du temps : la jeunesse ici, c'est il y a un-demi siècle et en guise de bel aujourd'hui, on a un parti moribond. L'histoire vintage, c'est l'histoire qui piétine, qui tourne en rond, qui vient renifler ses traces d'hier pour se justifier de faire du surplace. Si j'étais jeune, ces trucs-là m'excèderaient.

Mme Chat - Mais mon pauvre minou, tu es toujours jeune...

M. Chat - Non, mais je suis tout aussi excédé. Bon, cela dit j'ai fouillé dans ces bouquins, et tout en-dessous, caché par le vintage, j'ai trouvé ça :







...et je me suis souvenu de ces militants étudiants qui avaient un beau jour (ou l'autre) décidé de déménager là-bas, du côté des cimenteries ou des usines de colle d'abord, et droit dans la gueule de l'usine ensuite, ouvrière/ouvrier, pour de longues années ou pour la vie (1). 

(Je me souviens de cette époque où, quand on s'enquérait d'Untel ou Unetelle
- On ne les voit plus dans le quartier ?
On nous répondait
- Ah, ils ont déménagé à Aubergenville
Moi qui ai attendu d'avoir quarante ans pour m'aventurer à bosser au-delà du périphérique - et encore, pas loin - cela m'impressionnait, dit M.Chat)

Ceci est donc une publicité gratuite pour le livre de Fabienne Lauret, qui vous fera oublier bien des bouquins moyens ou inutiles. C'était l'époque où un lycéen d'Henri IV pouvait tranquillement envisager de travailler pour le reste (disons, une bonne partie du reste) de son existence en 2x8 à la chaîne, et écrire tout aussi tranquillement par la suite "ces neuf ans et demi d'usine sont un grand moment de bonheur dans ma vie" (2). Combien d'élèves du même lycée aujourd'hui...? Plus d'un peut-être après tout, ne soyons pas victime de l'effet vintage.

Il faut rappeler aux mémoires oublieuses (3) ce qu'était l'usine de Flins à cette époque, 10.000 ouvriers en 68, plus de 20.000 en 72, les marocains, algériens, portugais venant s'ajouter aux ruraux (les "betteraviers") des débuts, une usine jeune, plus ouverte que Billancourt aux étudiants venus de Paris, les combats en pleine campagne du 10 juin 68 quand les étudiants viennent prêter main-forte aux ouvriers refusant de reprendre le travail, la mort de Gilles Tautin, puis tout de suite les tentatives gauchistes d'implantation, la Gauche Prolétarienne d'abord, le groupe VLR ensuite avec les assemblées de la Base Ouvrière, et enfin ces quelques militants plus tenaces...

Fabienne Lauret, étudiante en histoire à Censier, membre, à l'époque, du groupe Révolution ! (avec un !), entre à l'atelier de couture des housses de sièges en 1972 pour devenir le matricule Renault 842 564/68. Syndiquée et déléguée, participant à l'organisation de plusieurs grèves, elle y reste jusqu'en 1982, date à laquelle cette activité est externalisée puis délocalisée dans les pays de l'est européen. Elle reste ensuite à Flins, salariée du CE quand la CFDT (4) y devient majoritaire, subit une période de harcèlement managérial quand FO reprend ledit CE, est menacée de licenciement, mise à pied, est réintégrée par les prud'hommes... jusqu'à sa retraite en 2008.

Fabienne Lauret était mécanicienne, c'était ainsi qu'on appelait à Flins les ouvrières qui cousaient les housses de sièges des 4L et R5 de notre jeunesse. Avant de quitter l'atelier de couture, elle aura le temps de participer à sa grève victorieuse de 81, où les ouvrières obtiendront l'échelon P1 - c'est-à-dire le statut d'ouvrières professionnelles et le salaire qui  va avec. Certes le P1 ce n'est pas la révolution, mais je voudrais vous y voir, à coudre les housses. Et, quand elle écrit dans son livre...

Même encore aujourd’hui, je ne manque pas d’examiner les sièges d’une voiture inconnue lorsque je monte dedans, et parfois d’y déceler certains petits défauts ou la perfection de la façon. Quarante-cinq ans après, les restes d’une déformation professionnelle un peu nostalgique !

...il n'y a plus rien de l'effet vintage, sentez-vous, dans le regard averti posé sur ces sièges de voiture - le regard d'un ouvrière sur le travail cristallisé d'autres ouvrières, aujourd'hui comme hier et ailleurs comme ici. L'histoire piétine peut-être, mais cette nostalgie, cette déformation professionnelle restent un point d'appui et, qui sait, un point de départ.




(1) Lire Nicolas Dubost, Neuf ans et demi d'usine : aucun regret ? Jacques Verlhac, Quarante ans à Renault Flins, Fabienne Lauret, Une vie de femme à Renault Flins (1972-2008), Les Temps Modernes n°684-685 de Juillet-Octobre 2015, Ouvriers volontaires, les années 68, "l'établissement" en usine.
Egalement, l'excellent Flins sans fin de Nicolas Dubost, Maspero éd. 1979, épuisé. Il existe une réédition électronique, et on peut en lire 15% gratuitement sur Gallica...

(2) Nicolas Dubost, Neuf ans et demi... p. 249.

(3) Mais la mémoire est faite pour l'oubli, comme l'oubli fait pour le rappel.

(4) La CFDT de Flins gagna ces élections après avoir mené une grève victorieuse à l'atelier peinture. C'était la CFDT de son lieu et de son époque, pas celle d'aujourd'hui et du boulevard de la Villette.



24/05/2018

Signes et prodiges : rien dans les mains


Raymond Queneau (photo Studio Limot, Wurtz, Paris)
Via garadinervi







Raymond Queneau - Lorsque l'esprit, 1928-1929



Raymond Queneau - Texticules (à partir de 1949)

23/05/2018

Philosophie


Bakolo Music International - Philosophie (de Gérard La Viny)
Mis en ligne par Jeanne Vu Van





Bakolo Music International est le plus ancien groupe de rumba congolaise, formé par Wendo Kolosoy en 1946 à Kinshasa (Léopoldville à l'époque) sous le nom de Victoria Kin, aujourd'hui Bakolo Misiki International. Il est composé des musiciens de Wendo qui n'ont pas cessé de jouer depuis sa mort en 2008. En concert Samedi 26 mai par ici.