14/08/2019

Ayons congé : le gant et les genêts


Max Klinger - Entführung / Enlèvement, n°9 de la série Ein Handschuh / Un gant, 1881
Eau-forte
Source





Et, sans prendre de gants (1)...





Achille Laugé - Route bordée de genêts, 1920
Huile sur toile



...les chats se sont mis en vacances.



(1) Ce gant a déjà été volé, ici et .

13/08/2019

Langue politique, langue littéraire (une semaine italienne, bonus non sous-titré du 9ème jour)


Pier Paolo Pasolini - interview pour l'émission Sapere, l'uomo e la società, RAI, 22 février 1968
Mis en ligne par Flavio Gipo





"Alors que le français s'est constitué comme langue unitaire pour des raisons politiques, bureaucratiques, étatiques, l'italien est devenu une langue unitaire pour une raison purement littéraire..."

12/08/2019

L'ange du ghetto (une semaine italienne, prolongation du huitième jour)


Giorgio de Chirico - L'angelo ebreo / L'ange juif, 1916





Le 23 mai 1915, l'Italie déclare la guerre aux puissances centrales. Giorgio de Chirico et son frère Andrea (Alberto Savinio) quittent Paris pour s'enrôler, profitant ainsi de l'amnistie accordée aux déserteurs - Chirico, appelé en 1912, avait quitté Turin pour Paris, échappant au service.

Les deux frères ne seront pas envoyés au front, mais au 27ème régiment d'infanterie à Ferrare. De Chirico y reste deux ans avant d'être déclaré inapte et transféré à l'Hôpital neurologique militaire de Villa Del Seminario (1), non loin de la ville - il y rencontrera le peintre Carlo Carrà (2).

A Ferrare les frères font en 1916 la connaissance de Filippo de Pisis, qui habite alors, avec sa famille, le palais Calcagnini où il a transformé une série de pièces en collection d'objets  chinés - tabatières, dentelles, bagues, éventails, oiseaux empaillés... (3). Il est possible que l'atmosphère des chambres, des stanze de De Pisis ait joué un rôle dans l'évolution de De Chirico qui passe alors des extérieurs vides, places et palais, aux intérieurs déstructurés, les  grands intérieurs métaphysiques.




Giorgio de Chirico - Grand intérieur métaphysique, 1917




Sur ces tableaux de la période on retrouve les pains...








...ou la Coppia ferrarese...




Giorgio de Chirico - Il linguaggio del bambino, 1916
Huile sur toile




...que les frères De Chirico voyaient aux devantures des boulangeries dans les petites rues...




Le Ghetto de Ferrare
Source



...du Ghetto.

C'est donc là, faut-il croire, dans les Stanze de De Pisis et les rues étroites du Ghetto que naquit l'école métaphysique et, incidemment, un bon morceau du surréalisme et de ses proches banlieues.

Car en un sens, sans les Grands intérieurs métaphysiques...




Giorgio de Chirico - Grand intérieur métphysique (avec une grande usine), 1916
Staatsgalerie Stuttgart



...n'aurait-il rien manqué à Magritte, Max Ernst, Salvador Dali - et à la Neue Sachlichkeit ? On sait ce que pensait De Chirico devenu âgé - et passablement bougon...



Si j'étais mort à 31 ans, comme Seurat, ou à 39 ans, comme Apollinaire, je serais considéré aujourd'hui comme l'un des peintres majeurs du siècle. Vous savez ce qu'ils diraient, ces critiques imbéciles? Que le grand peintre surréaliste, c'était moi, Chirico. Pas Dalí, pas Magritte, pas Delvaux. Moi.


Effectivement, à 31 ans (comme Seurat...) Chirico retourne (apparemment) au néo-classicisme, écrit Il Ritorno al mestiere - le Retour au métier qu'il conclut en proclamant Pictor classicus sum - et un peu plus tard, André Breton le traitera d'escroc (4). Mais on sait qu'il revient spectaculairement à la peinture métaphysique dans les années 1950. Certes, on l'accusera alors de se pasticher lui-même, mais il est intéressant de comparer à l'Ange juif...




Giorgio De Chirico - Intérieur métaphysique à Manhattan, 1972



...cette toile du dernier De Chirico. Ici un assemblage du même type s'intègre à un intérieur - L'Ange juif de 1916 est contemporain des premiers intérieurs métaphysiques, mais se détache sur un fond nu. Sur l'intérieur de Manhattan les éléments assemblés sont les mêmes, à l'exception...







...de l'œil, cet œil qui se retrouve aussi...




Giorgio de Chirico - Le salut de l'ami lointain, 1916
Collection particulière




...dans ce tableau de la même année, toujours en compagnie de la Coppia Ferrarese. Le coin corné rappelle, selon le frère de De Chirico, la forme des cartes que leur mère laissait quand elle faisait des visites, accompagnée des enfants, et qu'elle ne pouvait pas s'attarder.

L'ange, conformément à son étymologie (5), est avant tout un messager, et cette carte cornée annonce une visitation. Cela dit, cet ange est aussi juif, et arpente les rues du Ghetto - ceux qui imaginent un De Chirico versé dans la Kabbale (6) voient donc ici l'œil du Maggid mais ce pourrait être aussi (en même temps ?) un souvenir de l'enseigne d'un oculiste du Ghetto...

Quant aux objets accumulés qui constituent l'ange, ils mêlent les instruments du peintre et, dit-on, ceux de l'ingénieur-dessinateur (le père de De Chirico construisait des chemins de fer). A moins que ce ne soient des instruments de couture...







...utilisait-on vraiment des courbes françaises pour dessiner les clothoïdes des voies ferroviaires grecques ? Cela dit, on voit qu'avec cet ange on est bien dans le cercle de famille. Mais pourquoi un ange juif ? Des déclarations de De Chirico, il ressort toujours que son état d'esprit, sa Stimmung ferraraise vient de ces quelques boutiques, quelques devantures du Ghetto. Mais encore ?

Première hypothèse : De Chirico, issu d'une famille habitant Salonique depuis deux siècles, et qui a passé une bonne partie de sa vie à Athènes, Munich et Paris, a les plus grandes difficultés à se sentir italien. Mais, comme le dit Giovanni Lista (7)


"Son angoisse de déraciné (...) a pris fin dès que le port de l'uniforme militaire lui fait vivre le sentiment d'avoir une identité et une patrie. Dès son arrivée à Ferrare, sa peinture commence ainsi à changer (...) Le peintre ne subit plus l'image, il la construit au contraire en élaborant un langage culturel précis, fait de citations et de mémoire"

L'ange - comme tout de qu'on trouve entassé dans les intérieurs métaphysiques - n'est qu'une accumulation de citations et de mémoire. Et, vu les instruments qui la composent (ceux du peintre, du concepteur, du constructeur) cette accumulation est une (re)composition, une (re)construction.

Seconde hypothèse : l'ange juif nous ramène à cet autre tableau :



Giorgio De Chirico - Le songe de Tobie, 1917


Dans le Livre de Tobie, le jeune Tobie pêche un poisson, et c'est l'archange Raphaël, dont c'est la seule apparition dans la Bible, qui révèle au jeune Tobie que le fiel de ce poisson guérira son père de sa cécité. Où l'on retrouve donc le père (8) dans le cadre d'une révélation et d'un dévoilement. Les lettre AIDEL sont généralement interprétées comm elle début du mot grec aidèlon...




...et le thermomètre contient du mercure. Mercure, Hermès, est le dieu préféré de De Chirico - c'est le dieu messager, et aussi celui de l'interprétation. Il ya encore d'autre hypothèses possibles, et qui ne s'excluent pas entre elles, mais il reste que cet ange est bien juif.

Il y a deux types de De Chiriquistes : ceux qui pensent que 1916 est le début de la fin, et qu'au fond le vrai De Chirico est celui de Turin, celui des énigmes, que le reste est radotage - et ceux pour qui de toute façon la vie du maître est un voyage comme toute autre vie, avec ses allers-retours, ses remords, voire ses verifalsi. Mais en général tout le monde est d'accord : Ferrare est le point d'inflexion.

C'est le moment des intérieurs, et celui de l'intériorisation, celui où l'on reprend les vieux maîtres, les vieux mythes, où on se connaît suffisamment pour les travailler, entre quatre murs.









(1) Initialement une colonie de vacances pour séminaristes, transformée en hôpital psychiatrique pour les soldats traumatisés au front. Certaines choses ne s'inventent pas.

(2) Carrà, partagé entre anarchisme et futurisme, fit partie des interventionnistes (partisans de l'entrée en guerre de l'Italie) mais, prudent, attendit la mobilisation générale pour partir au front - d'où il revint atteint de ce qu'on appelait alors une névrose de guerre - et qu'on nomme depuis la guerre du Viêt Nam un PTSD.

(3) Cf. par exemple Mario Ursoni, L'effetto metafisico, Gangemi ed. 2010 p. 54.

(4) Chirico en avait autant à son service.

(5) Ne pas oublier que De Chirico vient de Grèce, où il est né à Volos - l'antique Iolcos, cité d'où partirent les Argonautes.

(6) Ou, plutôt, la théosophie dont la sœur de De Pisis était fervente.

(7) Giovanni Lista, De Chirico et le kunstwollen identitaire de l'art moderne italien, Cat. de l'exposition De Chirico et la peinture italienne de l'entre-deux guerres, Silvana Editore & Musée de Lodéve, 2003.

(8) De Chirico a 17 ans quand son père meurt en 1905, ce qui amène le reste la famille à quitter la Grèce.

11/08/2019

Ronde de nuit : Cremonini (une semaine italienne, #7)


 Leonardo Cremonini - La nuit chaude, 1998-2001





Leonardo Cremonini - La fin d'une fête, 1984-1985






Et (à propos) de Cremonini, déjà.

10/08/2019

Arlequins et Muselmänner (une semaine italienne, #6)


Aldo Carpi - L'arrestation des Arlequins, 1944






Carpi, qui fut professeur à l'Académie des Beaux-Arts de Brera (Milan), était le petit-fils d'un juif converti au catholicisme. En 1944 il est dénoncé aux Allemands par un collègue, pour avoir pris la défense d'une élève juive persécutée par ses camarades et ses professeurs.





Aldo Carpi - L'arrestation du Muselmann, ca 1950



Il est transféré au camp de Gusen, annexe de Mauthausen, où il parviendra à survivre. Il en rapporte un journal, publié comme le Journal de Gusen, et des dessins témoignant de l'existence dans un camp de concentration "de catégorie III". Carpi a réalisé certains des vitraux du Dôme de Milan.




09/08/2019

Polichinelles et fascistes (une semaine italienne, #5)


Gino Severini - L’équilibriste, 1928
Collezione Banca Monte dei Paschi di Siena


Gino Severini - Affiche pour le le journal Il lavoro fascista


08/08/2019

Ché la diritta via era smarrita (une semaine italienne, #4)


Mario Sironi - Nature morte à la Divine Comédie, 1920-22
Huile sur toile
Collection particulière






Et de Sironi, déjà.

07/08/2019

Avec vues sur la sainteté (une semaine italienne, #3)


Gregory Gillespie - Intérieur romain (nature morte), 1966-67
Huile, technique mixte sur bois
Via Thunderstruck





Jørgen Sonne - Un soir à Rome, 1866



06/08/2019

Transports en commun : Bonzagni (une semaine italienne, #2)


Aroldo Bonzagni - Il tram di Monza, ca 1910-15
Collection privée
Source





Signataire du premier Manifeste Futuriste, Bonzagni s'éloigne très vite du mouvement. Peintre de genre, satiriste et caricaturiste, il meurt en 1918 de la grippe espagnole - comme Apollinaire. Son œuvre la plus connue est Rifiuti della società / Les rebuts de la société.

04/08/2019

L'Egypte, King Kong et l'Iowa


Grant Wood - Shrine Quartet, 1939
Lithographie



Cette litho fait partie d'une série de 19 exécutées pour les Associated American Artists, une galerie de New York qui vendait au grand public à des prix abordables (5 $ pièce pour les lithos noir et blanc de Wood) tout en aidant ainsi les artistes paupérisés par la Grande Dépression.

Les Shriners (Ancient Arabic Order of the Nobles of the Mystic Shrine) sont une branche "Fun" (Harold Lloyd fut un temps leur Imperial Potentate) de la Franc-maçonnerie états-unienne. Fondés vers 1870, ils ont adopté des tenues orientales - dont le Fez - et, pour leurs temples, des décorations pseudo-islamiques (1). 




Walter Millard Fleming, le fondateur


Originellement issus du Rite écossais, les Shriners étaient en fait une fraternité de fêtards excentriques et, surtout, fortunés, amateurs de rituels bizarres, de défilés festifs et déguisés. Leurs exhibitions pouvaient être assez voyantes mais, s'agissant de notables, la police fermait les yeux. Ils s'achetèrent une respectabilité en fondant des hôpitaux pour enfants et en soutenant à fond les chasses aux sorcières communistes de l'époque McCarthy : J. Edgar Hoover fut un de leurs fervents supporters et même, semble-t-il, un membre, de même que John Wayne.

Le Shrine était riche, et l'est toujours - de quoi entretenir vingt-deux hôpitaux gratuits, avec les acrobaties comptables qui vont de pair, et bâtir une kyrielle de temples fastueux dont le Los Angeles Shrine Auditorium, 6300 places assises, qui abrita longtemps la cérémonie des Oscars et autres awards...





Le Los Angeles Shrine Auditorium & Temple Al-Malaïkah



...et où Cooper et Schoedsack tournèrent la scène où King Kong se libère de ses chaînes.




Le sujet de Grant Wood, dans cette litho, c'est évidemment l'imposture. Non seulement l'orientalisme de bazar ou la fable mystique, mais leur transplantation dans le Midwest profond où, effectivement, les Shriners faisaient recette. Il faut imaginer un Rotary tendance Groucho de petits entrepreneurs  au pays de Grant Wood - Cedar Rapids, Iowa - chantant coiffés de fez devant un décor égyptien dont leurs ombres projetées dénoncent la facticité. Leurs visages éclairés de bas en haut comme par la rampe d'une scène, ils font participer le spectateur, nolens volens,  à une scène où le ridicule se mue en un sentiment d'inquiétante étrangeté.

Par son thème (la fable, le faux semblant et leur critique en sous-main) comme par sa construction en deux plans distincts, l'œuvre est à rapprocher de Daughters of Revolution (1932) ainsi que de Parson's wheem fable qui date de la même année,1939 (2).

L'Unheimlich, l'inquiétante étrangeté dans notre bizarre traduction française, ne va pas en allemand sans le sentiment persistant du Heim, du foyer ; et Grant Wood, ce régionaliste à double fond, sait parfaitement peindre ce moment où le local, le tranquille et le bien-de-chez-nous vire à l'angoisse indicible et à la frayeur latente.



À propos de Grant Wood déjà, ici, , ou encore .


(1) Sur l'orientalisme états-unien des années 1870-1930 et le mythe des Mille et Une Nuits, voir Susan Nance, How the Arabian Nights Inspired the American Dream, 1790-1935, University of North Carolina Press, 2009.

(2) Pour une analyse de Parson's wheem fable, qui ironise sur la fameuse anecdote du jeune Washington et de l'arbre, voir  R. Tripp Evans, Grant Wood, a life, Knopf ed. 2010, pp. 266-269.

02/08/2019

Parcs et jardins : Francis Speight, usines et pommes de terre


Francis Speight - Depression garden, 1939




Il y a un jeu dans ce titre. Le potager est installé dans une légère dépression du terrain. Mais on appelait aussi Depression Gardens les jardins potagers que les ménages appauvris par la Grande Dépression de 1929 cultivaient pour survivre, derrière leur maison ou, parfois même, dans des terrains fournis par les entreprises. Ainsi ce Depression Garden organisé par la Sheet & Tube de Youngstown pour ses ouvriers : 









Les logements ouvriers à droite, l'aciérie au fond.
Source :  Donna M. DeBlasio - Images of America : Youngstown, Arcadia Pub. 201,  p. 88.


Au plus fort de la Dépression les aciéries de Youngstown fonctionnaient au quart de leur capacité. Jusqu'à trois mille ouvriers ont travaillé dans les Depression Gardens de Youngstown, surnommée Hungry City - la cité de la faim. 

A Detroit à la même époque, cela s'appelait les Thrift Gardens - jardins économiques.







Et toujours à Detroit aujourd'hui, après l'effondrement de l'industrie automobile, cela s'appelle l'Urban Farming, avec différents modèles, depuis Earthworks jusqu'à l'Oakland Avenue Farm et au mégaprojet de la Michigan Urban Farming Initiative...





Le projet MUFI




...tout cela donnant lieu à des débats fort intéressants, en anglais ou en français. Mais de toute façon, une chose est certaine : les usines passent, les pommes de terre resteront.

01/08/2019

Solitaire, mais deux fois


Modern Jazz Quartet - Lonely Woman (Ornette Coleman, 1959)
également sur l'album du même nom, 1962
Milt Jackson, vib - John Lewis, p - Percy Heath, b - Connie Kay, d
Mis en ligne par Fotis Xenakis





Ornette Coleman - Lonely Woman de l'album The Shape of Jazz to come, 1959
Ornette Coleman, as - Don Cherry, c -  Charlie Haden, b - Billy Higgins, d
Mis en ligne par Zaanjam Studios