30/05/2018

Ronde de nuit : jamais du réel


Richard Tuschman - Couple in the street, 2014, de la série Once upon a time in Kazimierz



Lorsque quelque chose est mauvais, disait mon maître (Mairena s'adresse ici à ses élèves), efforçons-nous d'imaginer quelque chose d'autre, qui soit bon; si d'aventure nous trouvons cette chose-là, essayons de trouver mieux encore. Il faut toujours partir de l'imaginé, du supposé, de l'apocryphe. Jamais du réel.
Antonio Machado - Juan de Mairena - maximes, mots d'esprit, notes et souvenirs d'un professeur apocryphe, 1936
Trad. française de Catherine Martin-Gevers, Anatolia éd. du Rocher, 2006



Tuschman fabrique à la main ses dioramas miniatures, à la dimension d'un théâtre de poupées, pour y incruster les modèles qu'il a photographiés grandeur nature. Il a ainsi réalisé les Hopper Meditations, puis ces fables de Kazimierz - le vieux quartier juif de Cracovie, où la famille de l'artiste et celle de son épouse résidaient jusqu'au début du XXème siècle. Les tableaux décrivent le quotidien et les tourments intimes d'une famille juive des années 1930, dans un quartier alors habité par la part la plus pauvre et la plus religieuse de la communauté.

D'après ceux qui l'ont connu, Hopper pouvait raconter l'histoire supposée des personnages de Nighthawks ou d'Office at night, et Tuschman imagine ici aussi le bref roman de la femme du tailleur. Car Kazimierz a disparu, englouti, et tous ses habitants sont partis dans le réel. Aujourd'hui Kazimierz est un quartier plutôt branché où les seuls juifs sont des touristes. Comme pour le bar de Nigthawks, que tout le monde cherche en vain dans le New York réel, tout ce qui reste de Kazimierz il faut le trouver dans l'apocryphe, comme dirait Juan de Mairena, dans le drame minuscule qui se joue aux maisons de poupées de Richard Tuschman. Partons du supposé, même si c'est un drame ce sera toujours mieux que le réel.

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