30/03/2008

Le greffe : Vallotton

Félix Vallotton - Deux chats passent

25/03/2008

The cat's meow : Trane's Design




John Coltrane - Giant Steps
mis en ligne par madafonka2

23/03/2008

L'hôtellerie de pensée #3 : deux ducs d'Orléans, un censeur et quelques ptérodactyles


Denise Duchateau-Destours - Vüe des Ecuries du duc d'Orléans mort à Sainte-Geneviève, 1807 - vue prise en regardant vers l'Ouest, juste avant la destruction de la première basilique, dont on voit encore le pignon entre la Tour Clovis, alors son clocher, à gauche, et St-Etienne-du-Mont à droite. La nef de cette première basilique occupait l'emplacement de l'actuelle rue Clovis. Au fond, le dôme du Panthéon.

Je despens chaque jour ma rente
En maints travaux aventuriers,
Dont est Fortune mal contente
Qui soutient contre moi Dangiers ;


1966. C'est l'année des désarrois de l'élève Törless.

L'hôtellerie a une curieuse histoire. D'abord abbaye, elle fut surtout
bibliothèque, un temps une des plus grandes d'occident, enrichie sans discontinuer depuis que le cardinal de la Rochefoucauld, nommé en 1624 abbé de Sainte-Geneviève "n'y trouva pas un seul ouvrage imprimé, ce qui l'obligea à envoyer chercher cinq à six cents volumes de sa bibliothèque, pour l'usage des chanoines réformés" (1). Les Augustins de France n'étaient pas aussi aventureux que leurs cousins d'Erfurt et de Cambridge, ces moinillons hardis qui, sola gratia, dynamitèrent le catholicisme au début du XVIème siècle. Mais ils étaient prudemment rétifs - sans trop de prudence pour certains d'entre eux comme Le Courayer, bibliothécaire à partir de 1717, qui fut excommunié dix ans plus tard pour avoir trop penché du côté anglican et dut alors se réfugier à Londres jusqu'à sa mort. Ou comme ces chanoines jansénistes auxquels Louis XV dut envoyer les flics - le lieutenant général de police, Feydeau de Marville - pour qu'en 1745 seulement ils acceptent de se soumettre à la bulle Unigenitus. Ou comme Louis, duc d'Orléans, le fils neurasthénique du Régent - "vous ne serez jamais qu'un honnête homme" lui aurait dit ce dernier, furieux d'avoir échoué à le dévergonder en lui envoyant des demoiselles de l'Opéra. Après la mort de sa femme en 1726 il vint s'enfouir à l'abbaye, étudiant le grec, le syriaque et l'hébreu, hanté par des hallucinations, suivi de son secrétaire le célèbre Monsieur de Silhouette, et si profondément janséniste lui aussi que le curé de Saint-Etienne-du-Mont lui refusa l'absolution à ses derniers moments en 1752. Premier prince du sang, il fut un des rares membres de la famille à se gagner la réputation d'un père des pauvres, une foule accompagna son convoi (2) et Jean-Jacques Rousseau lui écrivit une oraison funèbre.

Ce n'est que par la suite que l'hôtellerie devint le prototype du lycée caserne, après qu'en 1790 l'abbaye eut été supprimée comme toutes les communautés religieuses de France, et "
qu'un grand nombre de génovéfains adhérèrent aux nouvelles convictions, quittèrent le froc et se marièrent" (3).

Alexandre Bourla (fils) d'après une esquisse de son père "Vue générale de la crypte de l'Abbaye Sainte-Geneviève après la profanation des tombeaux en 1793", 1850

En l'an II, pour en clore symboliquement le chapitre, le département de la Seine décida de déposer la châsse de Sainte-Geneviève qui était à Saint-Etienne-du-Mont. La section du Panthéon s'exécuta et le 1er Frimaire (21 Novembre 1793) le Conseil général de la Commune de Paris délibéra des résultats de son action, dans un langage qui a l'âpre et expéditive poésie des périodes révolutionnaires.

"
Le Conseil entend ensuite lecture du procès-verbal du dépouilement de la châsse de Sante-Geneviève, et arrête que ce procès-verbal sera envoyé à toutes les sections, ainsi qu'au pape.
Arrête, en outre, que les ossements et les guenilles qui se sont trouvés dans cette boîte seront brûlés sur-le-champ sur la place de Grève, pour y expier le crime d'avoir servi à propager l'erreur et à entretenir le luxe de tant de fainéants.
La dépouille de cette châsse a produit 23.830 livres. Un membre observe que ce produit lui paraît bien médiocre, attendu que l'on pouvait à peine supporter l'éclat du brillant de cette châsse. Le rapporteur répond que tous les objets qui l'ornaient sont encore en nature, et que la majeure partie des diamants sont faux..."

Les reliques furent brûlées en place de Grève le 3 décembre. Dix ans plus tard, sous Napoléon 1er redevenu catholique, on exhumait pieusement le fond du sarcophage présumé de Sainte Geneviève dans la crypte de l'Abbaye, et on le déposait à Saint-Etienne ainsi que "la terre qui avait reçu les émanations du corps de la sainte". Passons sur les dernières aventures de la châsse, rétablie en 1822 au Panthéon redevenu basilique par la grâce de la Restauration, cachée lors de la révolution de 1830, puis livrée "par trahison" mais respectée, finalement remise à l'archevêque...


Alexandre Bourla (fils) d'après une esquisse de son père "Vue générale des fouilles exécutées en 1807 dans la crypte de l'abbaye Sainte-Geneviève", 1850 Le père d'Alexandre Bourla était l'architecte des domaines chargé en 1807, avant la démolition de la première basilique, de la campagne de fouilles qui mit à jour trente-deux sarcophages mérovingiens. Parmi eux, ceux que l'on désigna, probablement à tort, comme ceux de Clovis et Clotilde.

A l'hôtellerie, bibliothèque et école-caserne cohabitèrent à partir de 1791, mais
après des années de complots pour expulser les successeurs des Génovéfains les autorités du collège obtinrent finalement gain de cause et en 1851 on déménagea les livres dans le bâtiment actuel de la bibliothèque Sainte-Geneviève, place du Panthéon sur l'emplacement de l'hôtel de Montaigu, lui-même ancien collège devenu prison militaire, caserne d'infanterie puis dépôt de recrutement - éternel échange de mauvais procédés. C'est dans ce collège de Montaigu, quelque trois siècles et demi plus tôt, qu'Erasme crevait de faim sous les coups du sinistre Jean Standonck, ce même Standonck qui aimait venir étudier la nuit au sommet de la tour Clovis, "à la clarté des astres".

Une fois vidés les rayonnages génovéfains, la caserne triomphante y aligna ses chambrées - nos dortoirs, et nous rêvions dans la bibliothèque absente, sous la coupole où le Saint Augustin de Restou foudroie les hérésiarques. Nous étions la dernière couvée.

Comme toutes les dernières couvées depuis que le monde est monde, nous nous agitions. En 1966 L'UNEF suivait une ligne "syndicale". Défense des intérêts étudiants, Groupes d'études, polycopiés, "jeunes travailleurs intellectuels", Bapu... tout cela ne dit plus rien à personne, et surtout aurait dû ne rien dire à nos prépas qui s'écarquillaient sur leurs thèmes grecs. Pourtant, signe des temps, les classes se vidaient comme un seul homme aux mots d'ordre de grève, et la
Shtrasse devenait nerveuse. Un beau soir, las d'être pris pour des demeurés, les internes préalablement bourrés de sandwichs refusèrent en bloc, à l'appel de la section UNEF, la nourriture infâme qu'on nous servait au réfectoire. Un surgé s'égosilla en vain et, les chers petits ayant de la famille, un article du Monde informa le surlendemain la nation ébahie que l'hôtellerie avait fait la grève de la faim. Nous demandions simplement le minimum vital, un foyer des élèves sans pion à demeure. Grinçant des dents et jurant in petto de se venger plus tard, la Shtrasse nous ouvrit un cabanon au fond de la cour des internes. Il y avait un baby-foot et un pick-up du genre Teppaz, ce n'était pas grand-chose mais nous passions de la caserne à l'auberge de jeunesse et cela nous l'avions conquis de haute lutte. Sans compter que je pouvais enfin écouter autre chose que le transistor :




Charles Mingus - Haitian fight songMis en ligne par MasterXelpud



Presque quarante ans plus tard je hurlais de rire à la lecture du numéro 1 du gentil Ravaillac (4)...


cliquer pour agrandir, comme d'habitude...


...nous étions en 2001 et la Shtrasse, non content d'avoir fermé notre vieux foyer, s'arc-boutait encore pour ne pas en ouvrir d'autre. Nos dignes successeur(e)s se battirent courageusement jusqu'au numéro 2, après lequel ils furent virés, bien sûr.

Revenons à 1966, soit trois ans bien tassés avant l'érotisme. C'était un temps déraisonnable, Napoléon IV venait de se faire réélire en 1965 et à cette occasion notre cercle de l'UEC s'était rangé sur les positions du secteur lettres trotskysant : pas question d'accepter que le PC appelle à voter dès le premier tour pour Mitterrand, qui était toujours un mauvais souvenir...


L'enthousiasmante campagne présidentielle de 1965


...voici qu'à peine devenus bolcheviks, nous nous découvrions déjà dissidents. Comme c'était l'usage en pareil cas, la Fédération de Paris du PC nous envoya un surveillant. A la librairie Clarté du 3 place Paul-Painlevé, dans le sous-sol où se réunissait notre cercle au milieu des piles de journaux que nous refusions de vendre car nous étions en désaccord, G., qui ne croyait pas trop à son rôle, et qui lui-même allait plus tard se faire maltraiter par les pontes du Colonel-Fabien, subissait avec calme nos lazzi et nos jugements sommaires. Dans mon souvenir lointain et peut-être faussé, G. a une voix lasse de prolo ashkenaze - "vous verrez bien, les gars..." Pour nous, c'était tout vu.

En 1965 le bureau national oppositionnel et "italien" (5) de l'UEC avait été déposé par une brillante manoeuvre d'appareil. La nouvelle direction alliait les staliniens standard et les althussériens maoïstes de la rue d'Ulm. Puis, au début de l'année 66, dans un deuxième mouvement le secteur lettres fut exclu par cette coalition - en coulisse Roland Leroy était à la manoeuvre. Notre petit cercle de l'hôtellerie fut viré en parallèle, officiellement pour non-paiement de cotisations, au cours d'une réunion houleuse vite expédiée par des maoïstes sardoniques qui ne l'emporteraient pas en paradis. Il fallut faire des choix, le secteur lettres venait de fonder la JCR (Krivinienne), allions-nous nous y rallier? Après un débat bref et intense, seuls les cloutards y entrèrent. Nous autres khâgneux, trouvant la Chkreuh décidément trop petite-bourgeoise, prîmes langue avec les vrais prolétaires de l'UC-VO.

Ainsi les dramatis personae des années politiques à venir étaient déjà en place :

- la JCR (6) familièrement la Chkreuh, qui genuit la Ligue Communiste, qui se travestit plus tard en LCR, qui produisit à son tour le Facteur, qui lui-même prépare le Nouveau Parti Anticapitaliste.

- Quant aux très althussériens maoïstes un peu staliniens de la rue d'Um, leur seule utilité aux yeux du Parti (le grand, le vrai) était d'avoir aidé à exclure les trotskystes. Ils furent donc exclus eux aussi, troisième mouvement, quelques mois plus tard et formèrent l'UJC-ml (7), la Chmeul pour les intimes, qui se métamorphosa après 68 en Gauche Prolétarienne, qui engendra le journal Libération, qui fut racheté par Edouard de Rothschild (8).

- L'UC-VO (9) est une bête bien plus ancienne, puisqu'elle est issue d'un petit groupe de trotskystes roumains actif en France dès les années trente, le groupe Barta, qui devint le groupe Voix ouvrière, dissous en Juin 68 et vite repeint en Lutte Ouvrière, qu'Arlette incarne aux yeux des profanes, avant d'être un jour prochain remplacée dans ce rôle par Isabelle Bonnet, Farida Megdoud, Valérie Hamon ou Nathalie Artaud, le choix n'est pas encore définitif.



La façade Ouest, sur la place du Panthéon / Charles Meryon, le Collège Henri IV, détails


Mais Espoirs, s'ils sont droicturiers,
Et tiennent ce qu'ils m'ont promis,
Je pense faire telle armée
Qu'aurai, malgré mes ennemis,
L'hôtellerie de Pensée.


A l'été 66 nous dîmes au revoir à ceux de notre groupe qui ne passeraient pas en khâgne et en étaient assez heureux. A la rentrée nous nous réinstallions à l'hôtellerie. Les deux classes de Khâgne fonctionnaient dans deux salles jumelles, toujours au fond de la cour des internes. Avec un côté Kant et un côté Hegel.

J'étais tombé du côté Kant. K. était un mythe khâgnal vivant - il s'installait à son bureau à l'heure exacte comme à Königsberg, sortait fatidiquement de son cartable fatigué la Cripure Tremesaygues-Pacaud et la posait sur le coin droit de la table, où elle atterrissait avec le bruit mat que fait la vérité tombant sur le dogme. Avec une intelligence qui n'avait d'égale que sa gentillesse, il dépiautait l'incertain pour trouver trace du possible, puis en extrayait le probable à partir duquel il pouvait distiller le doute qui lui permettrait de s'interroger finalement sur les conditions de possibilité de la connaissance du vrai. De temps en temps, pour relâcher la tension il se payait la tête de Heidegger, alors il fallait rire. Mais la plupart du temps régnait un silence terrifié au milieu duquel les raisonnements synthétiques a priori dépliaient des ailes parcheminées de ptérodactyles avec une trompeuse lenteur. Car sitôt qu'on croyait avoir anticipé leur développement, les arguments de K. se retournaient dans une direction imprévue et filaient...



Max Klinger, de la série Le gant : Entführung / Enlèvement



...insaisissables.

Ce qui était le plus frustrant, c'était d'ouïr à travers la cloison l'écho des mélopées hégéliennes de B. - la concurrence - entrecoupées des hourras de son auditoire captivé. A la sortie les deux petits peuples germaniques confrontaient leurs notes, alors qu'est-ce qu'il a dit, car il fallait garder deux cordes à son arc pour le Khâl et dans cet exercice d'équilibre si B. était le fil de fer K. était réputé être le balancier, la voix de la sagesse. Dans mon souvenir d'ailleurs je confonds cette voix avec celle de G. dans le sous-sol de Clarté.

Ainsi allait notre petit monde, dualiste sans être simplet, combat d'animaux héraldiques - Kant contre Hegel, Althusser contre Sartre, La Chkreuh contre la Chmeul, Trotsky contre Mao, le dogme contre la spontanéité, griffons et léopards, anges contre fantômes.

Notre petit groupe consacrait maintenant ses rares sorties à des entretiens obligatoires avec un commissaire politique de Voix Ouvrière, qui nous entretenait un par un à la Chope Monge, chacun sous un pseudonyme différent qu'il nous choisissait à la suite sur le plan de la ligne 8 du métro parisien - j'étais Reuilly, Diderot c'était un autre. Nous découvrions VO et son univers romanesque et tatillon, sa clandestinité de carbonaro imperturbable, ses cercles extérieurs où il n'y avait de contacts qu'individuels avec un membre anonyme de cercles intérieurs dont on ignorait tout du fonctionnement, sauf qu'il devait être à coup sûr ultradémocratique. Suivant la sainte règle du groupe, la lecture et le commentaire obligatoire d'un livre par semaine (10) s'ajouta donc à nos petit grec et petit latin. Ce qui pour l'essentiel me fit découvrir Victor Serge.

Pour une bonne partie, nous restions étrangement cathos, et notre coach nous abreuvait donc de tout un fatras matérialiste primaire : brochures puériles de Plékhanov et rengaines tirées de Matérialisme et empiriocriticisme (11). En bon khâgneux nous nous récriions - et les Manuscrits de 1844 ? Qu'est-ce que VO pensait d'Henri Lefebvre et de Lukacs ? Quid de l'alénation, Entäusserung ou Entfremdung ? Et la réification ? Pour toute réponse on nous fit commenter Que Faire, (Что делать?) et on nous exhorta à la militance pratico-pratique.

J'ai l'air de me gausser mais il ne faut pas oublier que ceux qui nous parlaient étaient, au moins en esprit, les héritiers de ceux qui avaient mené les grèves de 47 à Billancourt, les seuls militants que les staliniens n'avaient pas réussi à chasser des boîtes. Nous fîmes donc notre apprentissage, le mur de l'hôtellerie pour vendre V.O. à la criée,

et pour distribuer les tracts dans les halls de gare ou à la sortie d'ateliers lointains. Cela n'allait évidemment pas sans quelques acrobaties et, petit à petit, sans quelque péril. Par principe nos commissaires ne s'intéressaient pas au milieu étudiant, encore moins aux prépas, et nous interdisaient de toute façon de nous réunir entre nous. Toute notre activité était donc tournée vers l'extérieur et nous nous mîmes à délaisser l'UNEF. Nos petits camarades de la
Chkreuh, de leur côté, nous regardaient d'un air dubitatif. Parmi eux, Guy Hocquenghem venait d'intégrer la rue d'Ulm à la promotion précédente et repassait de temps en temps à l'hôtellerie pour surveiller ses oisillons. Il était encore, pour peu de temps, dans une phase syndicale - et même à la MNEF, si je me rappelle bien. Hocq gérant la Sécu, souvenir paradoxal.

C'était un temps schizophrène. Les imprécations de Lénine contre le Rabotchéïé Diélo se mélangeaient ans nos têtes avec celles de l'Antigone de Sophocle et j'étais, cet hiver-là, en proie à d'abstraites fureurs (12).


Domenico Beccafumi - Saint Michel chassant les anges rebelles, 1528, détail


Mais je ne partis pas en Sicile. Suite à une altercation un peu plus vive que d'habitude, un pion de dortoir alla se plaindre au censeur de l'époque, un petit homme qui promenait le soir son chien autour du Panthéon. Tenant sa vengeance, la Shtrasse décida de me virer illico de l'internat. Et j'allais profiter de l'occasion qui m'était donnée pour déserter les cours... Des profs illuminés nous exhortaient à tenir jusqu'à leur fichu khâl - comment leur expliquer que le vrai déchirement était de quitter nos amis, et le soulagement qu'il y avait au contraire à sauter en marche de leur infernal paradis ? Urge for going.


La Tour Clovis et l'église St-Etienne-du-Mont, gravure / Domenico Beccafumi - Saint Michel chassant les anges rebelles, 1524, détail


En partant ce soir-là avec mes petites affaires pour une pension de famille à Cachan, je me retournais pour jeter un dernier coup d'oeil à l'hôtellerie, et les anges étaient bien là, glissant dans le ciel du soir au-dessus de la tour Clovis - je vis le mien lever le bras en signe d'adieu.


ENVOI
Prince, vrai Dieu de paradis,
Votre grâce me soit donnée,
Telle que trouve, à mon devis,
L'hôtellerie de Pensée.

Charles de Valois, duc d'Orléans (1394-1465).


Le duc Charles, qui aimait s'en aller et qui resta longtemps prisonnier, aurait apprécié, un demi-millénaire plus tard, Urge for going.
I get the urge for going but I never seem to go. Joni Mitchell, 1965.







Notre gruppetto continua tant bien que mal à étudier dans la militance (ou à militer dans l'étude ?) puis se dispersa peu à peu, l'un après l'autre quittant l'hôtellerie. Je ne crois pas que l'un quelconque de mes amis ait jamais réussi au Khâl, ou s'y soit même présenté, mais ne consultant pas les annuaires je ne saurais en jurer. Un temps une partie d'entre nous se retrouva bizarrement et charitablement hébergée dans le très roubaldien presbytère des Blancs-Manteaux chez les religieux de Notre-Dame de Sion, dont je peux jurer qu'ils n'étaient pas trotskystes. Un temps, ensuite, nous nous rencontrions au premier étage du Cluny et c'était bien trente ans



avant qu'il devienne tristement une Pizza dell'Arte. L'une des dernières fois où nous nous sommes revus fut dans l'hôtellerie occupée, brièvement libérée en Mai 68. Puis nous avons perdu le contact, emportés par d'autres fleuves. Je ne sais pas combien restèrent à V.O. - l'un de nous au moins, l'archéologue fondu d'hébreu et de syriaque, y était toujours quand je le croisai dix ans plus tard dans un café, attendant un de ses contacts - il faisait toujours lire Balzac à de jeunes ouvriers en révolte. Quand on se moque devant moi des militants, c'est à lui que je pense, et cela m'évite de partager toute cette hilarité sinistre.

Et pour ma part je dérivai vers d'autres horizons, le Buffet, puis la Zone
(à suivre...)





(1) Alfred de Bougy et Pierre Pinçon Histoire de la Bibliothèque Sainte-Geneviève précédée de la chronique de l'Abbaye, de l'ancien Collège de Montaigu et des monuments voisins, d'après des documents originaux et des ouvrages peu connus, Paris, Comptoir des Imprimeurs-Unis, 1847, p.96. 

(2) Les ecclésiastiques jansénistes persécutés expliquaient partout que " Dieu avoit enlevé ce prince du monde pour ne pas lui donner le chagrin de voir plus longtemps les horreur que le gouvernement toléroit, et dans l'église et parmi le peuple, qui n'avoit pas de pain, que ce prince avoit la plus vive douleur, de ne pouvoir remédier à tous ces maux, ayant été forcé de se retirer du conseil, l'avis des mechans prévalant sur le sien" selon le rapport d'un informateur de police, cité par Dale K. Van Kley, Les origines religieuses de la Révolution française 1560 - 1791, Ed. du Seuil, 2002 

(3) Alfred de Bougy et Pierre Pinçon Histoire de la Bibliothèque Sainte-Geneviève... p. 78. En fait, treize chanoines prêtèrent serment à la Constitution civile du clergé, onze refusèrent et vingt-deux s'abstinrent, cf. Catherine Echalier, L'abbaye royale Sainte-Geneviève, Alan Sutton éd. 2005, p. 151. 

(4) Bien entendu Ravaillac était - est toujours, je pense - le cri du sursaut de vie et de bon sens à l'hôtellerie. Quand le ciel et les études pesaient sur vous comme un couvercle, ce nom murmuré à l'une des tables du fond de la classe, répété de bouche en bouche, d'abord comme un soupir pour finir en cri de guerre, mettait une note vermillon dans notre brouillard quotidien. 

 (5) Les "italiens" ( Pierre Kahn, Alain Forner, André Sénik, Bernard Kouchner) étaient ainsi nommés parce que proches de la ligne du Parti Communiste Italien, qui à la différence du PCF avait pris ses distances vis-à-vis du PC soviétique. 

 (6) Jeunesse Communiste Révolutionnaire. Je sais, il va vous falloir de la patience. 

 (7) Union des Jeunesses Communistes (marxistes-léninistes). Vous progressez. 

 (8) C'est bien entendu un raccourci, mais finalement guère plus que de constater que le communisme chinois lui-même était destiné à dominer quarante ans plus tard le capitalisme mondial, grâce à l'intervention miraculeuse de Deng-Xiao-Ping. 

(9) Union Communiste - Voix Ouvrière. Vous voilà au top. 

(10) Depuis bientôt un demi-siècle ce programme régulier - pas seulement les classiques du marxisme-léninisme et les oeuvres de Trotsky, mais aussi la littérature classique depuis Balzac jusqu'à Zola et Malraux, se déverse avec une régularité d'instituteur de campagne sur les populations sympathisantes, faisant de l'UC un des derniers véhicules de la culture populaire sous le soleil de l'abrutissement contemporain. 

(11) Vladimir Ilitch dans ce qu'il avait de pire, voir ce qu'en dit Nicolas Valentinov dans ses Rencontres avec Lénine

(12) "J'étais, cet hiver-là, en proie à d'abstraites fureurs. Lesquelles ? Je ne le dirai pas, car ce n'est point là ce que j'entreprends de conter. Mais il faut que je dise qu'elles étaient abstraites, et non point héroïques ni vives ; des fureurs, en quelque sorte, causées par la perte du genre humain. Cela durait depuis longtemps, et j'avais la tête basse. Je voyais les manchettes tapageuses des journaux et je baissais la tête ; et j'avais une maîtresse, ou une épouse, qui m'attendait, mais, même avec elle, je restais muet, même avec elle, je baissais la tête. Cependant, il pleuvait, et les jours, les mois passaient, et j'avais des souliers troués, et l'eau entrait dans mes souliers, et il n'y avait plus que cela : plus que la pluie, les massacres des manchettes de journaux, et l'eau qui entrait dans mes souliers troués, des amis silencieux, et la vie, en moi, comme un rêve sourd, et la non-espérance, le calme plat. C'était là le terrible : ce calme plat de la non-espérance. Croire le genre humain perdu, et ne pas avoir l'envie fiévreuse de, faire quelque chose en réaction, ne pas avoir, par exemple, l'envie de me perdre avec lui. J'étais agité d'abstraites fureurs, mais non point dans mon sang, et j'étais calme, je n'avais envie de rien." Elio Vittorini, Conversation en Sicile, 1941, trad. Michel Arnaud. "lo ero, quell'inverno, in preda ad astratti furori. Non dirò quali, non di questo mi son messo a raccontare. Ma bisogna dica ch'erano astratti, non eroici, non vivi; furori, in qualche modo, per il genere umano perduto... Vedevo manifesti di giornali squillanti e chinavo il capo; vedevo amici, per un'ora, due ore e stavo con loro senza dire una parola, chinavo il capo; e avevo una ragazza o moglie che mi aspettava ma neanche con lei dicevo una parola, anche con lei chinavo il capo. Pioveva intanto e passavano i giorni, i mesi, e io avevo le scarpe rotte, l'acqua che mi entrava nelle scarpe, e non vi era più altro che questo: pioggia, massacri sui manifesti dei giornali, e acqua nelle mie scarpe rotte, muti amici, la vita in me come un sordo sogno, e non speranza, quiete. Questo era il terribile: la quiete nella non speranza. Credere il genere umano perduto e non aver bisogno di fare qualcosa in contrario, voglia di perdermi, ad esempio, con lui. Ero agitato da astratti furori, non nel sangue, ed ero quieto, non avevo voglia di nulla." Même dans les traductions, il arrive que les amis disparaissent... 

On vient de rééditer Sicilia, le beau film construit par Huillet et Straub sur le texte de Vittorini.

12/03/2008

The cat's meow : Alela Diane


Alela Diane - The Rifle
mis en ligne par lablogotheque

Oh I've been knocking on that door in my sleep
Fight my fireplace glow
I've been knocking on that door in my sleep
Fight my fireplace glow to keep me away,
To keep me away from home

Papa get the rifle from its place above the french doors
They're coming from the woods
Oh they're coming from the woods

And mama you're running too
Oh my mama your running too
Mama you're running too
Oh my mama your running too

Brother I'm so sorry that you watched the Patens burn
And I've been holding onto the gold
When lettin' go would free my hands
And I've been tying your tongue in a knot
Oh I've been tying your tongue in a knot
To wrap this death, to wrap this death in a sheet

And Papa get the rifle from its place above the french doors
They're coming from the woods
Oh they're coming from the woods

And mama you're running too
Oh, my mama you're running too
Mama you're running too
Oh, my mama you're running too

Brother I'm so sorry that you watched the Patens burn
I can't hide the dirty pads down there carpet anymore
No, no I can't hide the dirty pads down there carpet anymore
There were too many heavy boots
There were too many heavy boots
There were too many heavy boots
And there were too many big black boots
And there were too many little brown shoes marching though

So I'm countin' it to the sky
Oh I'm countin' it to the sky
I'm countin' it to the sky
Oh I'm countin' it to the sky
And moving back
Oh I'm moving back to
Face the lack of home

04/03/2008

Le bar du coin : Wilson/Kollwitz/Fassbinder



Le bar du coin n'est pas toujours folâtre ni accueillant. Il est parfois taiseux...


May Wilson-Preston, Illustration pour Scribner's Magazine

...et même conspiratif...

Käthe Kollwitz - Vier manner in der kniepe
/ Quatre hommes dans la taverne, 1892-1893

Käthe Kollwitz - Beratung / Conseil, 1895

...voire carrément teigneux...

Rainer Werner Fassbinder - Berlin Alexanderplatz

...mais justement, le bar du coin, c'est souvent le seul. Imaginez la détresse du poète dans ces villes où il n'existe même pas.

Imprécation

Si jamais j'entre dans Evreux,
Puissé-je devenir fiévreux!
Puissé-je devenir grenouille!

Puissé-je devenir quenouille!

Que le vin me soit interdit,

Que nul ne me fasse crédit,

Que la teigne avec la pelade

Se jette dessus ma salade,

Que je serve de Jacquemart,

Qu'on me coupe le bracquemart;

Bref, que cent clous gros d'apostume,
Noirs et gluants comme bitume

M'environnent le fondement,

Si j'y songe tant seulement.

Qu'à jamais la guerre civile
Trouble cette maudite ville;

Que Phébus, qui fait tant le beau,
N'y porte jamais le flambeau;

Qu'il y pleuve des hallebardes,

Que tout ce que jadis nos bardes

Ont prophétisé de malheurs,

D'ennuis, d'outrages, de douleurs,

De poison, de meurtre, d'inceste,

De feu, de famine et de peste,
S'y puisse bientôt accomplir,

Et tout son domaine en remplir.


Voilà ce qu'une ire équitable

Fit prononcer, étant à table,

De haine ardemment excité

Contre cette infâme cité,

Au plus bénin de tous les hommes

Qui boivent au temps où nous sommes.


Ô bon ivrogne! ô cher Faret!

Qu'avec raison tu la méprises!

On y voit plus de trente églises,

Et pas un pauvre cabaret.


Marc-Antoine de Saint-Amant (1594-1661)


May Wilson-Preston (1873-1949), dut se battre pour pouvoir assister, bien que femme, aux cours de dessin d'après nature dans son Ohio natal. Elle fut l'élève de John Sloan à New-York et fit partie de l'Ashcan School, l'école de la poubelle, avant de travailler régulièrement pour les plus fameux magazines de la côte Est. Grâces soient rendues à Paul Giambarba, qui conserve pour nous ces trésors.

La grande Käthe Kollwitz , qui fut en 1920 la première femme à entrer à l'Académie de Prusse, grava en 1892-1893 sa série sur la révolte des tisserands silésiens de 1844.

C'est en 1979-80 que R.W. Fassbinder a adapté, en 13 épisodes et un épilogue, Berlin Alexanderplatz, le roman du "Berlin de Weimar", qu'Alfred Döblin publia en 1929. Bavaria Films et la Fondation Fassbinder ont patiemment restauré le film qu'on peut maintenant trouver ici ou pour une somme modique.