29/02/2020

Une remarque en passant à propos de l'interféromètre de Michelson (une semaine de chansons, #3)


Colette Magny - Choisis ton opium
Mis en ligne par Colette Magny





"Raffiniert ist der Herrgott, aber boshaft ist er nicht" "Dieu est subtil, mais pas malicieux (ou malveillant)", aurait dit Albert Einstein à Princeton en 1921. En fait, il voulait parler des expériences de Dayton Miller (à l'interféomètre de Michelson) sur le Vent d'éther. Et, exclusivement pour les obsédés de précision (ce que les chats [1] ne sont pas), plus de détails ici.

Et, à propos de Lénine, déjà ici ou .


[1] A part, peut-être, les chats de Schrödinger, mais il est vrai qu'il y va de leur peau.

28/02/2020

Célébrations : le retour des vieilles gloires (une semaine de chansons, #2)






Public Enemy - Fight the Power, 1989
(Vidéo prod. & dir. Spike Lee, Brooklyn, 1989)
Mis en ligne par TheRappShow


 

27/02/2020

Une semaine de chansons, #1 : dans la soupe du jour y a pu tellement d'amour


Les cow-boys fringants - L'Amérique pleure, de l'album Les Antipodes, 2019



Encore un jour à se lever en même temps que le soleil
La face encore un peu poquée, mon 4h de sommeil yeah
J'tire une couple de puffs de clope
Job done pour les vitamines
Pis un bon café à l'eau de moppe
Histoire de s'donner meilleure mine
Yeah

J'prends le Florida Turnpike pis demain soir j'ta Montmagny
Non trucker ç'pas vraiment l'Klondike mais tu vois du pays, yeah
Surtout que ça te fait réaliser que derrière les beaux paysages
Y a tellement d'inégalités et de souffrance sur les visages

La question que j'me pose tout le temps
Mais comment font tous ces gens
Pour croire encore en la vie dans cette hypocrisie
C'est si triste que des fois quand je rentre à la maison
Pis que j'park mon vieux camion
J'vois toute l'Amérique qui pleure dans mon rétroviseur

Moi je traîne dans ma remorque tous les excès de mon époque
La surabondance surgelée, shootée suremballée, yeah
Pendant que les vœux pieux passent dans le beurre
Que notre insouciance est repue
C'est dans le fond des containers que pourront pourrir les surplus

La question que j'me pose tout le temps
Mais que feront nos enfants
Quand il ne restera rien que des ruines et leur faim
C'est si triste que des fois quand je rentre à la maison
Pis que j'park mon vieux camion
Je vois toute l'Amérique qui pleure dans mon rétroviseur

Sur l'interstate-95 partent en fumée tous mes rêves
Un char en feu dans une bretelle, un accident mortel, yeah
Et au milieu de ce bouchon
Pas de respect pour la mort
Chacun son tour joue du klaxon, tellement pressé d'aller nulle part

La question que j'me pose tout le temps
Mais où s'en vont tous ces gens
Y a tellement de chars partout, le monde est rendu fou
C'est si triste que des fois quand je rentre à la maison
Pis que j'park mon vieux camion
Je vois toute l'Amérique qui pleure dans mon rétroviseur

Un autre truck-stop d'autoroute, pogné pour manger d'la schnoutte
C'est vrai que dans la soupe du jour y a pu tellement d'amour yeah
On a tué la chaleur humaine avec le service à la chaîne
À la télé un autre malade vient d'déclencher une fusillade

La question que j'me pose tout le temps
Mais comment font ces pauvres gens
Pour traverser tout le cours d'une vie sans amour
C'est si triste que des fois quand je rentre à la maison
Pis que j'park mon vieux camion
Je vois toute l'Amérique qui pleure dans mon rétroviseur

Rien n'empêche que moi aussi, quand j'roule tout seul dans la nuit
J'me demande des fois ce que je fous ici, pris dans l'arrière-pays, yeah
J'pense à tout c'que j'ai manqué avec Mimi pis les deux filles
Et j'ai ce sentiment fucké d'être étranger dans ma famille

La question que j'me pose tout le temps
Pourquoi travailler autant
M'éloigner de ceux que j'aime, tout ça pour jouer la game
C'est si triste que des fois quand j'suis loin de la maison
Assis dans mon vieux camion
J'ai toute l'Amérique qui pleure quelque part au fond du cœur

26/02/2020

Les intérieurs sont habités : souverainisme pandémique


Mauro Biani - Le rêve souverainiste : chacun chez soi, dessin pour La Repubblica, 22 février 2020
Source

25/02/2020

L'art de la rue : devuélveme la libertad


Tino Tovar - ¡Oh capitán, my capitán!
Mis en ligne par ONDA CÁDIZ CARNAVAL


Dans la catégorie Comparsa, c'est le groupe de Tino Tovar qui a donc gagné la grande finale du COAC, le concours officiel du Carnaval de Cadix 2020, au Gran Teatro Falla ce dernier samedi. Ci-dessous, les paroles de la première partie, la Presentación. On trouvera le texte complet de la suite  par ici

Il s'agissait de la partie officielle, depuis samedi toutes les troupes, y compris les ilegales, jouent dans les rues. Hier, c'était le Lundi de la gueule de bois.

Et, sur le Carnaval de Cadix, déjà


Oh capitán
Tu que quiebras mis cadenas
Tu que me haces tiritar
Tu mi patria sin bandera
Tus mis alas pa volar
Tu mi desgarro de anhelos
Tu la voz de mis desvelos
Tu presente tempestad
Devuélveme
La libertad
Devuélveme
La libertad
Tu que desenredas nuestra sombra
Tu que resucitas mi compás
Tu luchando al frente de los míos
Tu mi más febril debilidad
Tu mi planetario de canciones
Tu mi gaditano despertar
Tu mi trono en piedra ostionería
Tu el que manda en mi trinchera
Tu mi vicio y mi pecado
Mas mortal
Mi realidad más pura y más bonita
de diez a doce encerrao en un portal
Allí donde mis sueños cobran vida
Allí donde me haces especial
Soñando con que abras cortinas
Y otra vez contigo
Y otra vez mi hogar
Soñando con venirte aquí a cantar
Oh capitán, mi capitán
Oh capitán
Eres música y letra
Un estribillo
Un trabalenguas
Y eres piñatav Disfraz y canción
Y eres guitarra
Y mi clave de sol
Y eres tanguillo
Bombo y platillo
Faro de presentación
Y eres papelillos
Y eres serpentinas
Y eres plumero y pregón
Y eres un tachin tatachin
Tretoreto tachin
A nudillo y pulgón
Y eres gaditana y los Duros Antiguos
Y Antonio
Cantando Charlot
Y eres
El Carota y Fletilla
El Sopa y el Peña
Y Aguillo y Pepón
Y eres la magia del caos
La más pura anarquía de la creación
Oh capitán
Oh capitán mi carnaval
Oh carnaval mi capitán
Oh capitán mi carnaval
Oh capitán
Tu carnaval

24/02/2020

Voyageuse en Ré majeur

 
Félix Mendelssohn - Romance sans paroles en Ré majeur, dédiée à Mlle Lise Cristiani op.109, pour violoncelle et piano, 1845
Jacqueline du Pré, violoncelle
Mis en ligne par baroquevoice




C'est vers le milieu du XIXème siècle que l'invention de la...





...pique de violoncelle...




...permit aux femmes de briller sur cet instrument sans être gênées par les robes d'époque. La première virtuose à bénéficier de cette amélioration fut Lise Cristiani.

C'est à Leipzig, à l'occasion d'un concert qu'elle y donna en 1845, que Mendelssohn fit sa connaissance. Il lui dédia cette Romance sans paroles, qui ne fut connue et publiée qu'après sa mort.

Lise Cristiani fut très probablement la première violoncelliste à pénétrer au Kamtchatka, au cours d'un long voyage...








...qui la mena donner ses concerts de Saint-Pétersbourg à Irkoutsk, puis à la Léna, jusqu'à Iakoutsk, Okhotsk et Pétropavlovsk. 



 Le Tour du Monde, VII, 1863, p. 397



Revenue épuisée à Moscou elle se découvre atteinte de la tuberculose, ce qui ne l'empêche pas de repartir pour l'Ukraine, puis le Caucase, toujours accompagnée de son violoncelle Stravidarius et du vieux pianiste qui la chaperonne. Sur le chemin du retour elle n'a pas encore vingt-six ans quand elle meurt du choléra à Novotcherkassk, chez les cosaques du Don.

De sa correspondance, on a tiré un récit de ses voyages à la première personne, publié en 1863 dans la revue Le Tour du Monde. On peut le lire ici sur Gallica ou là chez François Collin.

 

" Partie à la fin de décembre 1848 et revenue à Kasan au commencement de janvier 1850, mon voyage a duré un an et vingt-cinq jours environ. J'ai parcouru plus de dix-huit mille verstes de route, un peu plus de cinq mille lieues de France; j'ai visité quinze villes de la Sibérie, dont les principales sont Ekaterinenbourg, Tobolsk, Omsk, Tomsk, Irkoutsk, Kiachta, sur la frontière chinoise, Yakoutsk, Okhotsk, Petropaulowski et Ayane, aux bouches de l'Amour, villes toutes nouvellement fondées. J'ai traversé plus de quatre cents cours d'eau petits, moyens et grands , dont les plus considérables sont l'Oural, l'Irtish, le Ienisseï, la Léna, l'Aldan, l'Amour, à son embouchure. J'ai fait tout ce chemin en brishka, en traîneau, en charrette, en litière, tantôt traînée par des chevaux, tantôt par des rennes, tantôt par des chiens; quelquefois à pied, et plus souvent à cheval, surtout dans le trajet d'Iakoutsk à Okhotsk. J'ai aussi navigué pendant plusieurs centaines de lieues sur des fleuves qui avaient six ou sept cents lieues de cours, et, pendant plus de cinquante jours, sur l'océan Pacifique. J'ai reçu l'hospitalité parmi les Kalmouks, les Kirghis, les Cosaques, les Ostiaks, les Chinois, les Toungouses, les Yakoutes, les Bouriates, les Kamtschadales, les sauvages du Shagalien, etc., etc. Je me suis fait entendre en des lieux où jamais artiste n'était encore parvenu. J'ai donné en tout environ quarante concerts publics, sans compter les soirées particulières et les occasions que j'ai pu trouver de faire de la musique pour mon propre plaisir. " " Tel est le bilan de ma téméraire entreprise. Pierre qui roule n'amasse pas de mousse, dit un vieux proverbe; j'ai vérifié par moi-même l'exactitude de ce dicton. J'ai la mort dans l'âme .... je suis heureuse comme un galet en pleine tempête .... mes douleurs croissent; mes forces diminuent; que devenir donc? J'ai tout essayé, même de ce damné pays où chaque buisson cache une embuscade; mais je n'ai pas de chance, et au lieu de la balle que j'y cherchais, je n'ai attrapé que des bonbons enlevés à Schamyl dans une escarmouche! N'est-ce pas du guignon?... "


 


 Ill. pour Le Tour du Monde 







Ceux qui s'intéressent aux grandes voyageuses comme Lise Cristiani feront bien des découvertes chez Françoise Lapeyre.

23/02/2020

Les occupations solitaires : épouse (Laugé, encore)


Achille Laugé - Portrait de Madame Astre, 1892, Salon de 1894
Musée des Beaux-Arts de Carcassonne



On sait peu de choses de Madame Astre sinon, bien entendu, qu'elle fut l'épouse de Monsieur Astre.

22/02/2020

L'art de la rue : Bang


Marcel Gromaire - Tir forain, 1933
Huile sur toile
Musée d'Art moderne de la Ville de Paris

21/02/2020

Les occupations solitaires : joker, encore


Elena & Michel Gran - Sans titre (Le joker) 
Huile sur toile
Via Kafka's Apartment





20/02/2020

Louons maintenant les modèles : la compagne de l'amiral


Elisabeth Vigée Lebrun - Lady Hamilton en Sibylle de Cumes, 1792
Huile sur toile
Collection privée



Alexandre Dumas - Lady Hamilton ou Souvenirs d'une favorite, T. III, p. 68 : la rencontre de Nelson (1)






Elisabeth Vigée Lebrun - Portrait d'Emma, Lady Hamilton, en bacchante, ca 1790
Huile sur toile
Walker Art Gallery, Liverpool





Alexander Korda - Lady Hamilton, 1941
Mis en ligne par Jonny Yordanova





(1) Faut-il le rappeler, Amy Lyons, dite Emma Hart puis lady Emma Hamilton, qui fut à Londres prostituée, danseuse nue puis un des grands modèles d'art de son temps, est alors l'Ambassadrice, femme de William Hamilton, ambassadeur d'Angleterre à la cour de Naples, et favorite de la reine Marie-Caroline. Elle sera, jusqu'à la mort de l'amiral, la compagne d'Horatio Nelson et la mère de sa fille


19/02/2020

Ronde de nuit : Shaun Tan


Shaun Tan - The Arrival / Là où vont nos pères, 2006 : La nuit des géants




Et, de Shaun Tan, déjà

18/02/2020

A une passante : Laugé/Satie


Achille Laugé - Une Toulousaine, Mary Jane, 1904
Fusain et pastel sur toile
Via Mathieu Néouze





Erik Satie - Pièces froides (Airs À Faire Fuir, Danses De Travers) - Reinbert De Leeuw, piano
Mis en ligne par nadaniente115a



17/02/2020

L'art de la rue : Karl Holtz


Karl Holtz - Berliner Straße (Engelhardt), 1920
Tempéra sur papier





Et, de Karl Holtz, déjà




16/02/2020

Ronde de nuit : Helge Hommes


Helge Hommes - Helge macht feuer / Helge fait du feu, de la série Folge mir, 2010
Huile et peinture émulsion sur toile
Source

15/02/2020

Ronde de nuit : Daussy, enfin


Raymond Daussy - Tour Eiffel, 1946



Raymond Daussy fait partie des artistes dont la trajectoire hésite entre le surréalisme et le réalisme socialiste, ce qui peut s'expliquer par une proximité avec le PCF au moment et au sortir de la seconde guerre - mais pas seulement ; si les rapports du surréalisme avec le réel ont été parfois compliqués sur le plan politique (1), ces intermittences sont aussi celles, plus largement,  des rapports entre le réel et sa représentation.





(1) C'est ainsi que Daussy fut parmi les signataires du  Manifeste de Surréalistes Révolutionnaires de 1947.






(...)






14/02/2020

Les occupations solitaires : le dehors (Daussy, encore)


Raymond Daussy - L'homme au bunker, n/d
Huile sur toile
Via amare-habeo





Remarquez que le mot occupation est polysémique.


13/02/2020

12/02/2020

Peindre ne voir : Hélène Delmaire


Hélène Delmaire - Sans titre
Huile sur panneau de bois
Via Red Lipstick Resurrected






Hélène Delmaire - Quickie 2




Hélène Delmaire a, entre autres, peint les tableaux que l'on voit...


...dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma.






Et, dans le même ordre d'idées : peindre ne dire


 

11/02/2020

Les occupations solitaires : le banc


Vassili Pérov - Le vieil homme sur le banc, 1880




Et pendant ce temps-là...

10/02/2020

Tableaux parisiens : petits métiers dans un œil russe


Ilia Répine - Vendeur de nouveautés à Paris, 1873



Vassili Pérov - Joueuse d'orgue de barbarie à Paris, 1864







...où l'on reconnaît, d'ailleurs, le spectateur 'yau de poêle

09/02/2020

08/02/2020

Compensation et maléfice


George Grosz - Ill. pour Rudolf Omansen, Das unheimliche Huhn, 1958
Coll. privée



George Grosz fuit l'Allemagne en janvier 1933, pour les Etats-Unis. Sous le régime nazi, des centaines de ses œuvres sont confisquées, détruites ou perdues. Grosz et sa femme ne reviennent en Allemagne qu'en 1959 ; ils ont déjà entamé une procédure pour être dédommagés conformément aux lois dite de restitution et de compensation (en abrégé, Bundesentschädigungsgezetz & Bundesrückerstattungsgesetz).

Les procédures sont lentes et labyrinthiques ; Grosz est malade, alcoolique et dépressif ; pour appuyer sa demande il a recours au docteur Rudolf Omansen, du Bureau berlinois des compensations.

Omansen devient son ami. Grosz illustrera sa nouvelle, Das unheimliche Huhn / Le poulet maléfique, l'histoire d'un poulet imaginaire qui devient de plus en plus réel et persécute un pauvre professeur d'archéologie - métaphore des blessures psychiques que diagnostiquait Omansen - entre autres, chez ses patients en attente de compensation.




J. G. Jung - George Grosz dessinant dans les ruines de Berlin, 1958
© Archiv Ralph Jentsch



Grosz mourra deux mois après son retour en Allemagne, d'une chute dans les escaliers après avoir trop bu une nuit durant. La nouvelle d'Omansen attendra soixante ans avant d'être publiée.







Il existe un excellent (et maléfique) roman sur le retour des exilés allemands, aux prises avec les procédures de restitution/compensation en Allemagne fédérale après la seconde guerre mondiale : d'Ursula Krechel,  Landgericht / Terminus Allemagne dans la traduction française, Carnets Nord éd. 2014.

07/02/2020

Tableaux parisiens : Lionel Fourneaux


Lionel Fourneaux - La Tour Eiffel vue d'un bateau-mouche, 1980
Photolithographie
Via un regard oblique


06/02/2020

L'art de la rue : Nelson/Cornell


Kenton Nelson - Charitably Inclined 
Huile sur panneau



Matthew Cornell - Inheritance





05/02/2020

On ne se méfie jamais assez : Kubarev/Magritte


René Magritte - Eternité, 1935 
Huile sur toile




 Philipp Kubarev - Вечные ценности / Valeurs éternelles





Et de Kubarev, déjà.

04/02/2020

Portrait craché : eau-forte et résine pure


Charles Meryon - Portrait de M. Edmond de Courtives élève pharmacien ami de Charles Meryon et cousin d'Edouard Foleÿ fait et donné par Meryon à E. Foleÿ fait vers 1853
Eau-forte
Source : Gallica/BnF


Une des premières eaux-fortes de Meryon (1), elle porte le n°9 dans le catalogue de Schneiderman, qui donne 1849? pour date.

Foleÿ faisait partie, avec Meryon,  des officiers  de la corvette Le Rhin dans son voyage vers la Nouvelle-Zélande. Tous deux regagnent Paris en 1846, Foleÿ partageant l'appartement de Meryon, rue Neuve-Saint-Etienne-du-Mont, pendant deux ans jusqu'en 1853. C'est probablement pendant cette période que ce dessin est réalisé. De Courtives est l'auteur d'une thèse sur Le haschish en 1848.

"Il m'a fait cadeau d'un exemplaire, que je garderai soigneusement comme un échantillon de son esprit, qui me remet souvent Hoffmann en mémoire"
Charles Meryon, lettre à Edouard Foleÿ, 29 avril 1848




 


De Courtives a pratiqué à Bicêtre aux côtés de Jacques-Joseph Moreau, dit Moreau de Tours, pionnier de la recherche scientifique des effets des drogues sur le système nerveux central, et auteur de l'étude inaugurale sur le sujet, le traité Du haschisch et de l'aliénation mentale (1845).

Il faut rappeler que Moreau de Tours est aussi l'initiateur de ces soirées sur invitation que Théophile Gautier a nommées Le club des haschischins, au cours dequelles les effets de la substance étaient expérimentés par des participants qui pouvaient se nommer Baudelaire, Nerval, Daumier, Balzac. 

Le club se réunissait hôtel de Pimodan (aujourd'hui de Lauzun) dans l'Ile Saint-Louis au 17 quai d'Anjou...



 Eugène Atget - Hôtel de Lauzun, 17 quai d'Anjou, ca 1900



...à l'étage noble, dans l'appartement que Boissard de Boisdenier - peintre romantique un peu oublié aujourd'hui (2) - partageait avec Joséphine Bloch dite Marix, un des plus beaux modèles de l'époque, qu'on peut reconnaître dans




Charles de Steuben - La Esmeralda, 1839, détail.




Boissard, qui est dans ces années, après Emile Deroy, le second vrai contact de Baudelaire avec le monde de l'art, s'installe vers avril 1845 à l'hôtel de Pimodan, juste au-dessous de l'appartement que Baudelaire loue depuis octobre 1843 :

"sous les combles, un appartement de trois cent cinquante francs par an composé (...) de deux pièces et d'un cabinet. Je revois en ce moment la chambre principale, chambre à coucher et cabinet de travail, uniquement tendue sur les murs et au plafond d'un papier rouge et noir, et éclairée par une seule fenêtre dont les carreaux, jusqu'aux pénultièmes inclusivement, étaient dépolis «afin de ne voir que le ciel», disait-il" (3).




 Appartement de Baudelaire à l'hôtel de Pimodan





Baudelaire quitte l'hôtel de Pimodan à la fin de septembre 45, mais continue à visiter Boissard et Marix - c'est probablement ainsi qu'il participe à quelques-unes des séances mensuelles du club des haschischins. La première qui soit connue des biographes (4) date du 3 novembre 1845, la seconde du 22 décembre suivant - en présence entre autres de Balzac, pour une scène qu'on retrouve dans Les paradis artificiels.

C'est un ou deux ans plus tard, vers 1846 ou 47, que de Courtives, au contact de Moreau lors de son séjour à Bicêtre, goûte au haschisch - sous forme de résine pure, et non pas mélangée comme le faisait Moreau - avant de publier sa thèse et d'être dessiné par Meryon. Cette gravure prend donc place dans le réseau d'affinités et de coïncidences qui relient Meryon et Baudelaire, le poète et le peintre graveur, chacun par excellence,  du XIXème siècle parisien.





(1) "Cette pièce, une des premières donc que j'ai gravées, est assez mauvaise, je n'ai besoin de le dire. Ce jeune homme était de St Florentin, où il venait de s'établir,  quand je terminai cette petite pièce, faite d'ami à ami. Je lui en envoyai quelques épreuves, dont une où il était représenté à mi-corps, comme dans mon dessin original, ayant à côté de lui un violon dont il jouait assez bien, et quelques instruments de chimie. C'est dans celle-là surtout qu'on peut constater l'infériorité et la gaucherie de mon dessin ; aussi, après avoir corrigé de mon mieux le modelé du visage, m'arrangeai-je, en l'imprimant, de manière à le réduire à cette dernière partie seulement, dans un cadre circulaire." Charles Meryon, Mes observations, 1863.

(2) Il est surtout connu pour son tableau d'un Episode de la retraite de Russie.

(3) Charles Asselineau, Charles Baudelaire : sa vie, son œuvre, pp. 7-8.

(4) Par un billet de Boissard à Théophile Gautier, conservé dans les papiers de ce dernier, cf. Claude Pichois & Jean Ziegler, Charles Baudelaire, Fayard éd. 1996, p. 219.