30/03/2009

Fantômes à la rencontre : Sound mirrors

Le miroir d'Abbott's Cliff
photographie de
Mike Franklin Photography sous licence CreativeCommons


Les Sound Mirrors ou miroirs acoustiques sont aux côtes anglaises ce que les Moaï sont à l'Ile de Pâques. Depuis près d'un siècle, ils cherchent à gagner quelques minutes sur un envahisseur oublié. Ils sont les fantômes d'une attente.

Avant le radar, avant les satellites d'observation, il y avait déjà des bombardements aériens, et la nécessité de guetter leur approche pour alerter la chasse et la DCA. D'où les sound Mirrors, qui eurent leur heure de gloire dans les années 20 et 30.

Le principe : un réflecteur en forme de miroir hémisphérique concave, généralement en béton, concentre les ondes sonores vers un microphone mobile qui permet à un opérateur de détecter l'approche des avions mais aussi de déterminer leur distance et leur direction. Les sound mirrors étaient une application des recherches effectuées par William Sansome Tucker et William Lawrence Bragg sur les enregistreurs galvanométriques à fil de platine, déjà utilisés pendant la première guerre mondiale pour trouver l'emplacement d'une batterie d'artillerie à partir des ondes émises par les obus qu'elle tire.

En Angleterre ils furent développés par le laboratoire de Biggin Hill sur les plans de Tucker et installés par la Royal Air Force sur les côtes orientale et méridionale. On peut encore en voir sur les falaises du Yorkshire ou du Kent, le plus connu étant celui d'
Abbott's Cliff, entre Folkestone et Douvres, mais il y en a bien d'autres.




Deux vues du miroir d'Abbott's Cliff
photographies de Between a Rock sous licence CreativeCommons


Pour augmenter la portée la RAF bâtit des prototypes de miroirs de 30 pieds et même un mur-miroir en béton de 500 pieds, on les visite sur le site de
Denge, dans le Kent.



Les miroirs prototypes de 20 et 30 pieds à Denge
photographie de
the justified sinner sous licence CreativeCommons


Les miroirs étaient reliés entre eux par un réseau pour faciliter la triangulation. La portée des plus puissants était au maximum de 20 miles, ce qui permettait de gagner 5 à 10 minutes de délai. Auraient-ils suffi pour gagner la bataille d'Angleterre ? On peut en douter et on ne le saura évidemment jamais puisque Sir Robert Watson-Watt avait déjà mis sur pied le Chain Home, le réseau anglais de radar, quand la Luftwaffe a attaqué. Mais le réseau d'interconnexion des miroirs a été réemployé pour la veille radar, et les miroirs eux-mêmes étaient encore utilisés en support à courte portée, quand le temps nuageux rendait inopérants les instruments optiques.

On peut en apprendre plus sur les Sound mirrors ici ou . Et, sur leurs homologues...



Mis en ligne par jeanbaptisteparis sous licence CreativeCommons


...plus ou moins transportables...



Le prototype de Jean Auscher, parmi les failed projects collectés par David Self


...ou sur les célèbres tubas japonais...



L'empereur Hiro-Hito inspectant avant la seconde guerre mondiale
les localisateurs acoustiques de l'armée japonaise



...on en apprendra encore plus sur le passionnant site de David Self.




29/03/2009

The cat's meow : Remembering



Avishai Cohen trio - Remembering
Mis en ligne par cthutqitcnfrjd

C'était hier, près de chez les chats, mais ils étaient en quintet : première représentation en public des titres du dernier album "Aurora".

26/03/2009

Detroit : positivons



cliquer sur l'image pour passer sur FLYP...


Via Grace Boggs et le
Boggs Center, des nouvelles de quelques-uns de ceux qui refusent de s'abandonner à la déprime dans la bonne ville de Detroit, née Fort Pontchartrain du Détroit lors de sa fondation par le marquis de la Mothe Cadillac le 24 Juillet 1701 - deux ans avant Saint-Pétersbourg.

Il faut dire qu'ils en ont parfois assez, les habitants de Detroit, qu'on vienne de loin
faire de superbes photos de leurs ruines.


(Et dans le même numéro de FLYP, quelques nouvelles, aussi, des Bad Plus et de Bill Plympton.)

Detroit, jumelée avec Turin, et avec Toyota - oui, c'est une ville, Toyota. Mais pas avec Billancourt, ce qui est bizarre - on ne voulait pas désespérer Billancourt ? Toutes ces Motowns, ces villes-moteurs du capitalisme automobile agonisant.



Detroit City
Mis en ligne par bumpinrunner


Comme dit le Bardamu de Céline en revenant d'Amérique dans sa banlieue imaginaire et emblématique de Rancy "la lumière du ciel à Rancy, c'est la même qu'à Détroit, du jus de fumée qui trempe la plaine depuis Levallois. Un rebut de bâtisses tenues par des gadoues noires au sol. Les cheminées, des petites et des hautes, ça fait pareil de loin qu'au bord de la mer les gros piquets dans la vase. Là dedans, c'est nous."
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit.

C'est nous tous dans les villes-moteurs en décomposition - et en reconstruction, bientôt, peut-être : c'est le printemps, positivons.




Motown sound medley : The Supremes - Shack
Martha Reeve and the Vandellas - Nowhere to run
8 mars 1965
Mis en ligne par ricardo266

Les occupations solitaires : la pomme



cliquer pour agrandir

Godfried Schalcken -
Jeune fille mangeant une pomme, circa 1675

22/03/2009

Les occupations solitaires : la puce et la mouche



cliquer pour agrandir

Georges de La Tour - La femme à la puce




cliquer pour agrandir

William Orpen - The flycatcher - L'attrapeur de mouche, 1905

20/03/2009

Le greffe : Black Cat Bones



Black cat Bones : Death Valley blues
Mis en ligne par maciekstudio


C'est le second titre de Barbed Wire Sandwich, seul LP du groupe anglais Black Cat Bones, enregistré en Novembre 1969... le chant du cygne du British blues, mais quel chant !

Brian Short - lead vocals; Rod Price - lead guitar; Derek Brooks - rhythm guitar; Stuart Brooks - bass; Phil Lenoir - drums.

18/03/2009

Transports en commun : limon intime

cliquez sur l'image pour écouter la chanson, et revenez...

Raphael Soyer : Subway platform
Léo Ferré : Les passantes

17/03/2009

Le greffe : moresca





...et, non, ce n'est pas Me-ow de Kerr et Kaufman, mais Moresca mia par la Nuova Compagnia di Canto Popolare

16/03/2009

Ronde de nuit : les messagers




The Jazz Messengers - A night in Tunisia
Mis en ligne par sukapura

10/03/2009

La ville qui n'était pas New-York, mais...



cliquer pour agrandir (je ne le répèterai pas)

Sur Piazza San Carlo, le duc Emmanuel Philibert, dit Tête-de-fer...



...rengaine interminablement son épée. Comme il fait face à la Via Roma, vers Piazza Castello, on peut présumer qu'après avoir une nouvelle fois pourfendu les Français, récupéré son duché et transféré sa capitale de Chambéry à Turin, il rentre à la maison...




...et chacun des mascarons de la place semble lui hurler sa malédiction personnelle.


Turin est une des capitales du mystère, qu'on dit placée à l'intersection...




...des deux triangles que forment les villes de magie blanche (Lyon et Prague, avec Turin) et les villes de magie noire (Turin, avec Londres et San Francisco). La magie blanche aurait son centre Piazza Castello, précisément là ou Tête-de-fer avait élu domicile après en avoir chassé l'évêque, au Palazzo Reale dont les grilles, dans la géomancie turinoise...






...sont censées séparer le Bien et le Mal...




...sous l'oeil des cavaliers dioscures.
On raconte que sous le Palazzo Reale courent des souterrains qui communiqueraient avec le Palazzo Madama tout proche et avec les grotte alchemiche, les cavernes alchimiques où selon la même légende Emmanuel Philibert aurait eu son propre laboratoire, installé bien sûr par Nostradamus qu'il aurait mandé à Turin pour soigner la stérilité de la duchesse, Marguerite de France. Les mêmes souterrains dans lesquels, dit-on encore, la régente Marie-Christine, la première Madama, faisait perdre les amants dont elle se lassait, quand elle ne les faisait pas jeter dans le Pô. Certaines nuits son fantôme nostalgique revient visiter le palais, et peut-être qu'alors...




...s'animent les demi-déesses rococo de la salle d'apparat...





...et les chiens de porcelaine du dernier étage.
Quant aux fantômes qui parcourent la nuit les arcades de Turin, ce seraient les amants perdus ou noyés de la Régente.
Tout à côté, les mêmes nuits peut-être, la déesse Sekhmet se réveille et se promène dans les salles du musée égyptien...



Il vaut mieux ne pas la rencontrer, Sekhmet est un caractère.
Entre autres choses c'est la déesse de la guerre, du vent brûlant qui souffle du désert, du feu destructeur et des maladies épidémiques.



C'est elle que le dieu Râ, quand il n'est pas content, envoie décimer le genre humain.



Le problème avec Sekhmet, c'est qu'elle ne sait pas s'arrêter de tuer, aussi le seul moyen de sauver les derniers hommes c'est de lui faire boire la bière rouge comme le sang qui l'enivre et l'endort. Alors, on peut enfin danser.


Mais le musée égyptien, vous l'aurez compris, est situé du côté obscur de la force. Symétrique de celui de Piazza Castello, le sommet de la magie noire à Turin se situe, selon la tradition populaire, sur Piazza Statuto (1), ancienne nécropole romaine, ancien gibet de la ville, à l'emplacement du monument du tunnel ferroviaire du Fréjus...



...qui représente, pour les guides officiels,
le génie de la raison triomphant des titans de la montagne, pour les gens de Turin, les quarante-huit mineurs disparus dans les travaux, et pour les férus d'ésotérisme l'ange de la connaissance cachée symbolisée par la plume qu'il tient de la main droite tandis que de la gauche il repousse le commun des mortels. Tout près de la statue, un petit obélisque marque l'emplacement du 45ème parallèle, point précis où culminent les forces maléfiques. Sur la place s'ouvre l'accès principal aux égouts de la ville - on s'accorde généralement à Turin pour y situer la Porte de l'enfer.


Piazza Statuto en 1962
Dario Lanzardo - La rivolta di Piazza Statuto, Feltrinelli 1979, p. 16

C'est sur cette place que l'on retrouve l'histoire contemporaine de Turin, c'est-à-dire celle des usines Fiat. En Italie, comme aux Etats-Unis, c'étaient les échéances des grands contrats collectifs de travail du secteur automobile qui rythmaient la vie syndicale. A la fin juin - début juillet 1962, à Turin, entre Lancia, Michelin et Fiat il y a quelque 250.000 ouvriers de l'automobile en grève. Le syndicat UIL (un peu l'équivalent du FO de l'époque en France) signe avec le syndicat patronal SIDA un accord que des milliers de jeunes ouvriers méridionaux en grève considèrent comme une trahison.


Le trajet de la première manifestation
Dario Lanzardo - La rivolta di Piazza Statuto, Feltrinelli 1979, pp. 82-83


Les 7, 8 et 9 Juillet les ouvriers déclenchent une véritable révolte urbaine qui débouche sur l'attaque en masse des locaux de l'UIL, Piazza Statuto. La police ne peut reprendre la Piazza qu’après trois jours d’affrontements (douze heures de combats le 7, 14 heures le 9) et après avoir reçu des renforts en provenance d’autres villes - il y a 1000 arrestations, et des procès suivront. Les syndicats, y compris la CGIL, et le PC italien traitent les insurgés de «voyous» et de « provocateurs fascistes ». Piazza Statuto est un point de départ historique : celui du long Mai, plus précisément du mouvement des années 60-70, à la fois ouvrier et étudiant (2).

Bien sûr, comme toute période celle-ci a une fin, qui se joue précisément aussi à Turin, en 1980 lors de la longue grève - et grande défaite - de la Fiat Mirafiori. Entre-temps et surtout à partir de 1978, la ville avait été aussi celle des tirs à balle et des règlements de compte aveugles, la Torino violenta de cette vidéo qui détourne (ou contourne ?) une vieille chanson d'Enzo Maolucci, Torino che non è New-York...



Enzo Maolucci - Torino che non è New-York - Mis en ligne par taumi977



Turin qui n'est pas New-York, mais pourtant... On peut trouver ici les paroles et la valise de références (en italien). Bien sûr pour Maolucci en 1978 New-York est une città violenta, la ville de Taxi Driver, pas la cité sécurisée et gentrifiée des années post-Rudy Giuliani. Maolucci a fait au moins un vraiment bon disque, Barbari e bar, où on trouve cette autre chanson, Al bar Elena.

Il faut aller de l'autre côté de la ville, par la via Pô vers le fleuve, et à travers le fleuve vers la Gran Madre di Dio, cette église au nom bizarre qui rappelle que la Madonna c'est aussi la copie conforme de la grande mère, Isis-Artémis, la déesse majeure de l'antiquité, et c'est ici que se trouve, promis juré, caché et bien caché, le Saint-Graal, complément indispensable de la Sindone, le Saint-Suaire de Turin conservé sur l'autre rive.

La statue allégorique de la foi devant la Gran Madre, qui est censée indiquer du regard l'emplacement où se trouve le Graal.
Le fait que faute de pupilles ce regard soit aveugle ne fait évidemment qu'ajouter au mystère
.Mis en ligne par AngeloBellotti sous CreativeCommons

Après une pensée pour Joseph d'Arimathie et le roi pêcheur on grimpe au Monte dei Cappuccini, d'où on peut jeter un nouveau coup d'oeil sur la Gran Madre...





...admirer le panorama des Alpes...






...et au passage...





...la Casa Scott, chef d'oeuvre du stile floreale...





...avec dans sa cour ce pélican pensif qui a sûrement un sens ésotérique. Et puis il faut retraverser le fleuve pour s'arrêter Piazza Vittorio dans ce bar où vous attendrez longtemps vos tramezzini, mais le temps ne compte pas...



Enzo Maolucci - Al bar elena - Mis en ligne par john58paul


...vous penserez à Nietzsche qui prenait son café ici avant de devenir fou, à Turin, fou de pitié en voyant un homme battre un cheval à bout de forces...



et à Cesare Pavese qui aimait venir ici, au
Caffè Elena...



avant de se tuer, à Turin, en laissant sur sa table de nuit, magie noire et magie blanche, son dernier poème :
la mort viendra et elle aura tes yeux - ce poème qui depuis rend jaloux tous les jeunes italiens parce qu' "il fait pleurer toutes les filles de l'école" comme le dit Maolucci dans la première chanson...



Cesare Pavese - Verrà la morte e avrà i tuoi occhi - Lu par Vittorio Gassman - Mis en ligne par dagherottipo


Verrà la morte e avrà i tuoi occhi
questa morte che ci accompagna
dal mattino alla sera, insonne,
sorda, come un vecchio rimorso
o un vizio assurdo. I tuoi occhi
saranno una vana parola,
un grido taciuto, un silenzio.
Cosi li vedi ogni mattina
quando su te sola ti pieghi
nello specchio. O cara speranza,
quel giorno sapremo anche noi
che sei la vita e sei il nulla.

Per tutti la morte ha uno sguardo
Verrà la morte e avrà i tuoi occhi.
Sarà come smettere un vizio,
come vedere nello specchio
riemergere un viso morto,
come ascoltare un labbro chiuso.
Scenderemo nel gorgo muti.

La mort viendra et elle aura tes yeux -
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu'au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. O chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.

La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir resurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets.



(1) Pour les romains de l'antiquité la porte occidentale d'une ville était un lieu plutôt néfaste, associé à la mort provisoire du soleil. La Piazza Statuto est située sur l'emplacement de la Porta Segusina, entrée ouest de l'enceinte romaine. La Piazza Castello est à l'endroit de la porte orientale.

(2) C'est à ce moment que le groupe des Quaderni Rossi se radicalise et donne naissance à Classe Operaia et Potere Operaio puis, par contagion ou scissiparité, à une grande partie du mouvement italien : "l'émeute de Piazza Statuto fut notre congrès fondateur" Potere Operaio, 1973. A la même époque aux Etats-unis seul le mouvement des droits civiques a émergé, le Free Speech Movement de Berkeley date de 1964. Le seul à précéder le mouvement italien est au Japon - autre laboratoire socio-politique du monde moderne avec l'Italie - celui du Zengakuren-Bund de 1960 contre le traité américano-japonais. Pour les cinéphiles, c'est ce mouvement qui est décrit dans le détail dans le film de Nagisa Oshima, Nuit et brouillard au Japon. Encore est-il très différent du mouvement japonais proprement "soixante-huitard", celui qui débute en 1965. Cette antériorité explique pourquoi, après Piazza Statuto, les membres de la fraction de gauche des Quaderni Rossi étaient surnommés les "Zengakuren".