Mme Chat rencontre un Yōkai
Makiko Furuichi - Rattraper le pain perdu, Artothèque de Caen, jusqu'au 15 février 2025
Makiko Furuichi explique que ce Yōkai est inspiré d'une nouvelle de Ray Bradbury, La corne de brume, où deux gardiens de phare voient apparaître...
nous étions tous deux seuls dans la haute tour
et là-bas, devant nous, encore assez loin, il y avait un remous, suivi d’une
vague, et quelque chose qui s’élevait dans un bouillonnement d’écume. Tout à
coup, à la surface glacée de la mer, une tête parut, une grosse tête sombre
avec des yeux immenses ; puis un cou. Venait ensuite – non pas un
corps mais le cou interminable, encore et toujours. La tête se dressait à
présent à quarante pieds au-dessus de l’eau sur un cou frêle, beau et sombre.
C’est alors seulement que peu à peu, le corps sortit de la mer, pareil à une
petite île de corail noir, couverte de coquillages et de crustacés. Enfin, on
vit ondoyer une queue. En tout, de la tête au bout de la queue, j’estime que le
monstre devait avoir quatre-vingt-dix à cent pieds.
Ray Bradbury - The Fog Horn / La corne de brume, 1950 - trad. Richard Négrou sous le titre La sirène, in Les pommes d'or du soleil, Denoël éd. 1956
...un monstre des profondeurs qui répond encore et toujours à l'appel de la corne de brume.
— Ça crie comme une bête, n’est-ce pas ? »
McDunn opina de la tête pour lui-même. « Une grosse bête solitaire,
hurlant à la nuit. Debout au seuil de dix millions d’années, appelant vers les
profondeurs : je suis là ! Je suis là ! Je suis là ! Et les
profondeurs vont répondre, oui, elles vont le faire. (...) Depuis des années, Johnny, ce pauvre monstre vit en
rampant, loin d’ici, à vingt lieues de profondeur peut-être, attendant que sa
vie s’achève ; car elle a peut-être un million d’années, cette créature.
Penses-y un peu, attendre un million d’années ; pourrais-tu attendre si
longtemps ? (...) et à présent tu es seul, tout seul, dans un monde qui n’est
pas fait pour toi et où tu dois te cacher. Mais le chant de la Sirène arrive
jusqu’à toi puis s’en va, revient, puis repart, et tu te dresses au fin fond
boueux des profondeurs et les yeux grands ouverts comme les lentilles d’un
énorme objectif, tu te mets à avancer lentement, lentement, car tu as sur tes
épaules tout l’immense poids pesant de l’Océan.
Le monstre était à présent à une centaine de pieds
seulement, échangeant des cris avec la Sirène. Et la lumière créait entre eux
comme un lien : les yeux du monstre étaient tour à tour de feu, de glace,
de feu, de glace (...) — C’est ça la vie, dit McDunn. Attendre toujours
quelqu’un qui ne revient pas. Aimer toujours plus quelqu’un qui vous aime
toujours moins. Et au bout d’un certain temps arriver à vouloir le tuer pour
qu’il ne puisse plus vous faire souffrir.
Dans la même salle on fait d'ailleurs d'autres rencontres...
Meeting, 2021
...voire des auto-rencontres.
Après tout, comme le dit Bradbury :
— Ce n’est pas possible, je rêve !
— Non,
Johnny, c’est notre vie actuelle qui est un rêve. Ce que tu vois devant
toi, c’est la vie telle qu’elle était il y a dix millions d’années.
Elle, elle n’a pas changé. C’est nous qui avons changé, nous et la
terre, et c’est nous qui vivons dans un rêve. Nous.