Huile sur toile
Museum of Modern Art, New York
– Pourquoi tout rabaisser ? Ne pouvait-il aussi bien se passionner pour la liberté, dit Brandal. La preuve que Vaillant comprenait que l’autorité est la source de tous nos maux, c’est son attaque peu équivoque aux représentants du pouvoir.
– La bombe est autoritaire, remarqua Meyrargues.
– Qui donc est libre ? dit Marchand. Quel est celui qui a rompu complètement avec le monde, avec les sentiments ? Il y a les femmes, la vie, la famille, les amis, et tant de considérations dont on ne peut faire fi… que par sécheresse de cœur.
– On peut avoir connu ces joies, dit Meyrargues, et les dépasser, en chercher d’autres, aller plus loin. Toute jouissance est une destruction ; la destruction consciente, la grande négation sans bornes, l’ivresse de la nuit définitive, c’est peut-être la plus haute jouissance ! Ne rien espérer, ne rien craindre et s’anéantir, c’est peut-être se posséder éternellement dans une minute supérieure au temps. Mon âme n’est point capable de ces mouvements, mais je les comprends. Pour ma part, j’ai choisi l’amour qui nous disperse et la critique intellectuelle qui nous éloigne des choses. La mort !… mais ce serait trop beau. Elle reste insaisissable !
Il eut, en disant cela, un sourire de mansuétude indicible, un long regard sur soi-même, les yeux mi-clos, en dedans. Sa physionomie aux grands traits asymétriques et ses petits yeux bridés reflétaient le ravissement intérieur d’un Bouddha, et la troublante componction d’un Anatole France.
Robert seul le comprit et lui répondit par une pensée italienne :
– La bombe est autoritaire, remarqua Meyrargues.
– Qui donc est libre ? dit Marchand. Quel est celui qui a rompu complètement avec le monde, avec les sentiments ? Il y a les femmes, la vie, la famille, les amis, et tant de considérations dont on ne peut faire fi… que par sécheresse de cœur.
– On peut avoir connu ces joies, dit Meyrargues, et les dépasser, en chercher d’autres, aller plus loin. Toute jouissance est une destruction ; la destruction consciente, la grande négation sans bornes, l’ivresse de la nuit définitive, c’est peut-être la plus haute jouissance ! Ne rien espérer, ne rien craindre et s’anéantir, c’est peut-être se posséder éternellement dans une minute supérieure au temps. Mon âme n’est point capable de ces mouvements, mais je les comprends. Pour ma part, j’ai choisi l’amour qui nous disperse et la critique intellectuelle qui nous éloigne des choses. La mort !… mais ce serait trop beau. Elle reste insaisissable !
Il eut, en disant cela, un sourire de mansuétude indicible, un long regard sur soi-même, les yeux mi-clos, en dedans. Sa physionomie aux grands traits asymétriques et ses petits yeux bridés reflétaient le ravissement intérieur d’un Bouddha, et la troublante componction d’un Anatole France.
Robert seul le comprit et lui répondit par une pensée italienne :
Due cose belle ha il mondo : Amore e Morte.
— J’appelle ça ne pas répondre, dit Marchand en se levant. Ils se taisaient.
Sans trop forcer les clefs dans un roman à clef, mettons que Brandal soit (un peu) Signac et Meyrargues (beaucoup) Fénéon, vus par quelqu'un qui les connaissait bien.
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