Susana Rinaldi - Sin piel paroles et musique : Eladia Blázquez extrait du film Solamente ella de Lucas Demare (1975) accompagnement : Sexteto Tango Mis en ligne par agujavier
Haunted Love (Rainy McMaster & Geva Downey) - Librarian Mis en ligne par HauntedLove
Au début des années 1980, l'université de Houston, Texas éprouvait le besoin de donner un lustre nouveau à son cursus de creative writing - cette discipline qui ne coûte pas cher en équipements, mais permet de mettre en vedette des écrivains lors des campagnes de levées de fonds. Cynthia Mcdonald se mit en quête de candidats et son choix se porta bien vite sur un enfant du pays. En ce temps-là DonaldBarthelme faisait partie des cinq ou six écrivains qui donnaient forme nouvelle à la prose américaine - en commençant pour sa part par celle du New-Yorker. Il avait déjà derrière lui ses grands livres, Come back Dr Caligari, City life, Sadness, Snow white, et même The dead father. Et il avait besoin d'argent.
Barthelme's Syllabus (1) The Believer, Octobre 2003
Pendant les dernières années de sa vie, l'homme qui avait écrit Me and Miss Mandible (1) inculqua de sains principes à des jeunes gens : ne pas parler du temps qu'il fait, éviter le Faulkner ersatz, et surtout ne pas écrire pour dire qu'on ne se sent pas bien. Puis il leur faisait corriger et réécrire Islands in the streams, le dernier roman de Hemingway.
Barthelme's Syllabus (2) The Believer, Octobre 2003
De cette période il reste les souvenirs qu'égrènent les anciens élèves (3), et cette redoutable liste de lecture qu'il leur distribuait. Aux charmes habituels de tels programmes - leurs faux espoirs de complétude et leur amère vérité, qui est d'être interminables, celle-ci ajoute le soupçon typiquement barthelmien que, sous l'apparent coq-à-l'âne, se dissimule un petit roman bien agencé ou un poème fait de titres. The believer en avait publié un exemplaire il y a quelques années : quatre-vingt-un livres dont deux seulement (4) datent d'avant le vingtième siècle. "Tout Samuel Beckett". Et Flannery O'Connor. Et même Tommaso Landolfi. Barthelme recommandait de commencer n'importe où dans n'importe quel ordre, mais de lire. Lisez, c'est votre cadeau de Noël.
Barthelme's Syllabus (3) The Believer, Octobre 2003
(1) une histoire où - apparemment - un homme de trente-cinq ans se retrouve sur les bancs d'une classe du 6th grade, l'équivalent de notre sixième, suite à une erreur administrative. Miss Mandibule et moi, in Voltiges, Denoël 1990, trad. Isabelle Chedal et Maryelle Desvignes.
Porta Romana chanté par Roberto Vecchioni (principalement), Lucio Dalla et Francesco Guccini en 1977, à la trattoria Da Vito à Bologne, Via Mario Musolesi. Quanti anni fa ?
Porta Romana bella, Porta Romana ci stan le ragazzine che te la danno, ci stan le ragazzine che te la danno, prima la buonasera e poi la mano.
E gettami giù la giacca ed il coltello che voglio vendicare il mio fratello, e voglio vendicare il mio fratello, e gettami giù la giacca ed il coltello...
...et quand les grilles s'ouvrent sur la liberté c'est toujours la même sensation, brève. Août 1969. C'est l'année où
Lindsay Anderson - If... (1968)
Les troubadours du roi Baudouin - Sanctus de la Missa Luba
Mis en ligne par D Rez
...a reçu la palme d'or à Cannes - à l'époque ça ne s'appelait pas la palme d'or, d'ailleurs.
Les canons s'étaient tus et je rentrais chez moi. Je décrochai mon téléphone, et vérifiai rapidement que les amours de l'année précédente resteraient à l'état d'esquisse. Ne répondait même plus le numéro qui, selon une procédure un rien paranoïaque, me permettait de rester en contact avec une organisation tout juste sortie de la clandestinité. C'était les vacances.
Je descendis vers le quartier latin. A Censier sur le mur de la fac vide s'étalaient ces mots
"Charognes, vous voulez faire de la révolution un souvenir. Attendez et vous verrez bientôt..." Cela se chantait...
Lise Medini - Charognes!
suivi d'une chanson de Jean Sommer
Mis en ligne par DominiqueHMG
...et cela reflète bien notre état d'esprit de l'époque : schématique, mais highly positive, comme on dit maintenant.
Désoeuvré, je remontai dans mon septième étage. Les pas des pigeons cliquetaient sur la terrasse au-dessus de ma tête. Unique distraction dans ces hauteurs, ma voisine de l'autre côté de la cour était toujours allergique aux rideaux, et toujours ostensiblement désapprobatrice.
Les pensées qui mènent le monde
viennent sur des pattes de colombes.
Jefferson Airplane - Two heads Mis en ligne par JeffersonJukebox
...j'attendais. (à suivre)
Note sur Two heads
You want two heads on your body / And you’ve got two mirrors in your hand. / Priests are made of brick with gold crosses on a stick / and your nose is too small for this land. / Inside your head is your town / inside your room your jail / inside your mouth the elephant’s trunk and booze, / the only key to your bail. / Two heads can be put together. / And you can fill both your feet with sand. / No one will know you’ve gutted your mind / but what will you do with your bloody hands? / Your lions are fighting with chairs, / your arms are incredibly fat; / Your women are tired of dying alive / if you’ve had any women at that. / Wearing your comb like an ax in your head / List’ning for signs of life; / Children are sucking on stone and lead / And chasing their hoops with a knife; / New breasts and jewels for the girl, / Keep them polished and shining; / Put a lock on her belly at night, sweet life, / For no child of mine. (Paroles : Grace Slick)
Cette version vidéo de Two heads a été enregistrée le 14 septembre 1967 pour l'émission The Rock Scene : Like It Is, CBC TV Studios, Toronto et diffusée le 16 octobre de la même année. Les chansons étaient les versions de studio jouées en lip-synch et ça se voit, mais Grace Slick disposait d'un micro pour répondre aux spectateurs.
Two heads a été chantée en live pour la première fois le 7/7/67 au Fantasy Fayre, Los Angeles, puis le 2/8/67 à l'O'Keefe Center, Toronto, le 15/9/67 à l'Hollywood Bowl et le 31/12/67 au Winterland, San Francisco. Dernière représentation documentée : le 31/01/68, The Matrix, San Francisco (1).
La version disque a été enregistrée à la fin du mois de Juin 1967 et éditée sur l'album After bathing at Baxter's, RCA 1511 en décembre 1967, ainsi que sur la version single en face 2 de The ballad of you and me and Pooneil. Le single a fini n°42 au classement des radios AM, qui étaient plutôt conformistes. Les managers de la RCA furent grandement déçus - on peut se demander s'ils avaient seulement écouté les chansons (2).
Le prestige de la mort, chanson du film de Luc Moullet Paroles : Luc Moullet, musique : Patrice Moullet, chant : Claire Bouanich Mis en ligne par Telluom
Il y a cinquante ans, Sir Stanley Spencer quittait définitivement le Berkshire. L'inspirateur de Lucian Freud, de Francis Bacon et de bien d'autres peintres anglais, l'homme qui avait un jour salué Chou En Laï en se présentant "Hello, I'm Stanley from Cookham" avait peint toute la population de son village, lui-même compris, sortant du tombeau pour une résurrection sans jugement, où tous étaient sauvés.
Le film de Moullet traite de la recherche de la gloire posthume - un réalisateur met en scène sa propre mort pour mieux vendre ses films lors des rétrospectives télé qui ne manqueront pas de s'ensuivre. Comme souvent chez Moullet cela se passe en moyenne montagne.
C'est Jean-Jacques Lefrère, le dénicheur, qui a le premier remarqué que les animaux - chouette, coq battant des ailes et rhinocéros - qui peuplent le chant VI de Maldoror hantaient effectivement (1) en effigie les alentours de la Bibliothèque nationale.
Tout particulièrement au coin de la rue Vivienne et de la rue Colbert, que Ducasse devait bien connaître puisqu'il habitait à deux pas.
"Une chouette, volant dans une direction rectiligne, et dont la patte est cassée, passe au-dessus de la Madeleine, et prend son essor vers la barrière du Trône, en s'écriant: « Un malheur se prépare. » Or, dans cet endroit que ma plume (ce véritable ami qui me sert de compère) vient de rendre mystérieux, si vous regardez du côté par où la rue Colbert s'engage dans la rue Vivienne, vous verrez, à l'angle formé par le croisement de ces deux voies, un personnage montrer sa silhouette, et diriger sa marche légère vers les boulevards" (2). Mais, comme Lefrère nous l'explique, il ne peut s'agir là que d'une hantise par anticipation puisque la chouette et le coq qui ornent l'horloge monumentale de Barrias datent de 1903. Quant au Rhinocéros d'Auguste Cain il n'a été installé aux Tuileries qu'en 1884, quatorze ans après la mort solitaire de Ducasse, rue du Faubourg Montmartre, plus haut vers les boulevards, dans un Paris assiégé grelottant de froid et de faim.
C'est sous le coq et la chouette, à cette encoignure...
...que les animaux familiers du cauchemar parisien font escorte au jeune Mervyn, à la fin de 1868 - ou au début de 69 ? On ne sait évidemment pas à quelle date précise fut composé le chant VI. Attention, c'est à ce coin de rue que le roman gothique engendre le poème urbain moderne, et que la hantise devient hasard objectif.
"Mais, si l'on s'approche davantage, de manière à ne pas amener sur soi-même l'attention de ce passant, on s'aperçoit, avec un agréable étonnement, qu'il est jeune! De loin on l'aurait pris en effet pour un homme mûr. La somme des jours ne compte plus, quand il s'agit d'apprécier la capacité intellectuelle d'une figure sérieuse. Je me connais à lire l'âge dans les lignes physiognomoniques du front: il a seize ans et quatre mois! Il est beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces; ou encore, comme l'incertitude des mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure; ou plutôt, comme ce piége à rats perpétuel, toujours retendu par l'animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie! " (2)
Et, encore un peu plus plus loin...
"Pourquoi ne se retourne-t-il pas? Il comprendrait tout. Songe-t-on jamais aux moyens les plus simples de faire cesser un état alarmant? Quand un rôdeur de barrières traverse un faubourg de la banlieue, un saladier de vin blanc dans le gosier et la blouse en lambeaux, si, dans le coin d'une borne, il aperçoit un vieux chat musculeux, contemporain des révolutions auxquelles ont assisté nos pères, contemplant mélancoliquement les rayons de la lune, qui s'abattent sur la plaine endormie, il s'avance tortueusement dans une ligne courbe, et fait un signe à un chien cagneux, qui se précipite. Le noble animal de la race féline attend son adversaire avec courage, et dispute chèrement sa vie. Demain quelque chiffonnier achètera une peau électrisable."
Steinlen - Un chat
(1) Jean-Jacques Lefrère, Isidore Ducasse, auteur des chants de Maldoror, par le comte de Lautréamont, Fayard, 1998, pp. 494-500.
La libertat - J. Clozel musique : Manu Théron - chant : Lo còr dau Lamparò Mis en ligne par BigStecky
Tu que siás arderosa e nusa Tu qu'as sus leis ancas tei ponhs Tu qu'as una votz de cleron Uei sòna sòna sòna a plens parmons Ò bòna musa.
Toi qui es ardente et nue Toi qui as les poings sur les hanches Toi qui as une voix de clairon Aujourd'hui appelle appelle à plein poumons Ô bonne muse.
Siás la musa dei paurei gus Ta cara es negra de fumada Teis uelhs senton la fusilhada Siás una flor de barricada Siás la Venús.
Tu es la muse des pauvres gueux Ta face est noire de fumée Tes yeux sentent la fusillade Tu es une fleur de barricade Tu es la Vénus.
Dei mòrts de fam siás la mestressa, D'aquelei qu'an ges de camiá Lei gus que van sensa soliers Lei sensa pan, lei sensa liech An tei careças.
Des meurt-de-faim tu es la maîtresse De ceux qui n'ont pas de chemise Les gueux qui vont sans souliers Les sans-pain, les sans-lit Ont tes caresses.
Mai leis autrei ti fan rotar, Lei gròs cacans 'mbé sei familhas Leis enemics de la paurilha Car ton nom tu, ò santa filha Es Libertat.
Mais les autres te font roter Les gros parvenus et leurs familles Les ennemis des pauvres gens Car ton nom, toi, ô sainte fille Est Liberté.
Ò Libertat coma siás bela Teis uelhs brilhan coma d'ulhauç E croses, liures de tot mau, Tei braç fòrts coma de destraus Sus tei mamèlas.
Ô Liberté comme tu es belle Tes yeux brillent comme des éclairs Et tu croises, libres de tout mal, Tes bras forts comme des haches Sur tes mamelles.
Mai puei, perfés diés de mòts raucs Tu pus doça que leis estelas E nos treboles ò ma bela Quand baisam clinant lei parpèlas Tei pès descauç.
Mais ensuite tu dis des mots rauques, Toi plus douce que les étoiles Et tu nous troubles, ô ma belle Quand nous baisons, fermant les paupières, Tes pieds nus.
Tu que siás poderosa e ruda Tu que luses dins lei raions Tu qu'as una vòtz de cleron Uei sòna sòna a plens parmons L'ora es venguda
Toi qui es puissante et rude Toi qui brilles dans les rayons Toi qui as une voix de clairon Aujourd'hui appelle, appelle à pleins poumons L'heure est venue.
On ne sait pratiquement rien de J. Clozel sauf que cette chanson a été publiée le 6 février 1892 dans le journal Marseillais "la Sartan" et qu'elle est dédiée à Pèire Bertas (Fernand Antoine, 1864-1950), instituteur marseillais révoqué pour avoir pris la défense d'un collègue, et qui fut adjoint aux Beaux-Arts sous la municipalité socialiste de Flaissières (1). Socialiste Fédéraliste, Bertas suivra la même évolution qu'un autre admirateur d'Aubanel et du Félibrige, Charles Maurras, en devenant royaliste. Ce qui n'empêche pas la liberté et la chanson qui lui est dédiée d'être bien belles, voyez-vous.
(1) Maire de Marseille à partir de 1892 - un peu d'histoire sociale portuaire ? Ici, là, encore là ou ailleurs ?
Raúl González Tuñon - Eche veinte centavos en la ranura Musique : Cuarteto Cedron chant : Juan Cedron Mis en ligne par desatormentandome
Fernand Pelez - Grimaces et misère, 1888, détail
Difficile devant cet orchestre français de ne pas penser à nos maîtres de l'heure, qui vont poussant leur limonaire patriotique dans les sous-préfectures éberluées. Comme dit le poète portègne, mets vingt centimes dans la fente, on te fera oublier tes misères, on te montrera des nains et des femmes à barbe, on te parlera du Vieux Pays.
Fernand Pelez a connu des hauts et des bas. Elève de Cabanel, après des débuts académiques il se fait peintre de la misère parisienne, dans une manière naturaliste originale qui allie l'onirisme à une précision glacée. Plus tard il se rapproche du symbolisme - au cabaret des Quat'z'arts, en bas de son immeuble, on le trouvait à la même table que Puvis de Chavannes. Et il meurt dans l'oubli.
Aujourd'hui encore, pourtant, on reçoit comme une gifle la vision des cinq grands panneaux de Grimaces et misère, les saltimbanques - mais si vous ne vous précipitez pas au Petit Palais vous risquez de ne pas revoir de sitôt la sublime Vachalcade, ni ce que Pelez a produit de meilleur, les grands crayons préparatoires des Danseuses moroses et des Petites figurantes.
Ensuite, retournez regarder les clowns tristes. Il défilent sous vos fenêtres - si vous ne les applaudissez pas, ils deviendront méchants.
Fernand Pelez, la parade des humbles, Musée du Petit Palais jusqu'au 17 janvier 2010.
On en parle mieux et plus en détail ici ou là.
Milonga de Manuel Flores Paroles : Jorge Luis Borges, Musique : Anibal Troilo Extrait du film Invasión, 1969 réalisateur : Hugo Santiago, scénario : Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares et Hugo Santiago Mis en ligne par DrStrangeflick Via (et merci aux) avant-dernières choses
Manuel Flores va a morir. Eso es moneda corriente ; Morir es una costumbre Que sabe tener la gente.
Manuel Flores va mourir Celà est monnaie courante Mourir est de tradition Que tout le monde respecte.
"Invasion est la légende d’une ville, imaginaire ou réelle, assiégée par de puissants ennemis et défendue par une poignée d’hommes, qui peut-être ne sont pas des héros. Ils lutteront jusqu’à la fin, sans soupçonner que leur combat est infini" (synopsis du film).
Censuré par la dictature militaire argentine, le négatif ensuite reconstitué à partir de huit bobines volées, le film a été restauré par le MALBA de Buenos-Aires. On peut avoir un aperçu du film iciet en savoir un peu plus ailleurs.
Naturally Seven - Feel in the air tonight, dans le métro parisien Mis en ligne par lapapsprod
Les Naturally Seven jouent du human beatbox, leur corps est leur seul instrument. Et ils étaient de passage, dans la salle comble près de chez les chats, vendredi dernier.
Stivostin - Je Veux Travailler Mis en ligne par lolaken
Lavorate, schiavi ! Ludovico Massa, dit Lulù (GianMaria Volonté) travailleur de choc, raconte ses rêves à ses camarades de chaîne Elio Petri - La classe ouvrière va au paradis Grand prix du festival de Cannes 1972, ex aequo avec L'affaire Mattei de Francesco Rosi (c'était en d'autres temps) Mis en ligne par diegozn
Dupain - Feniant (paroles : Joan Lo Rebeca) Séquence extraite du film Attention danger travail de Pierre Carles, Christophe Coello et Stéphane Goxe Mis en ligne par FictionRomance
La période qui va de 1938 à 1950 est la grande période créatrice de Landeck, celle des paysages urbains vides. En 38 il habite Greenwich Village au coin de 8th Street et University Place. La banque Manufacturers Trust donnait sur University Place, et la planche montre ce que voyait Landeck depuis sa fenêtre. Cette année-là il avait été désigné pour produire la gravure annuelle de présentation de la Society of American Etchers. Ce fut Manhattan nocturne, qui souleva un tollé parmi les sociétaires : le sujet n'était pas assez noble à leurs yeux. John Taylor Arms, le président, dut envoyer aux membres une lettre de deux pages pour le défendre.
Quand Tooker peint ce tableau en 1964, les événements auxquels il se rapporte sont connus de tout citoyen des Etats-Unis. Quatre ans plus tôt, le 1er février 1960, Ezell Blair Jr., Franklin McCain, Joseph McNeil et David Richmond, étudiants au North Carolina Agricultural and Technical College de Greensboro (Caroline du Nord) entrent dans un de ces cafés-restaurants que les Etats-uniens nomment lunch counter, situé dans le magasin Woolworth's.
Blair demande un café, la serveuse lui répond "désolée, on ne sert pas les noirs" mais les quatre hommes refusent de partir. C.L. Harris, le gérant, s'adresse au plus proche poste de police et le chief Paul Calhoun lui répond qu'il ne peut rien faire tant qu'une plainte n'a pas été déposée. Courageux mais pas téméraire, Harris n'ira pas jusque là. A la fermeture les quatre hommes quittent le café en promettant de revenir avec le reste du Collège.
Une partie du Lunch counter du Woolsworth's de Greensboro,
conservée au Smithsonian Institution National Museum of American History
Photo Wikimedia Commons
Le lendemain 2 février à 10h trente-et-un étudiants noirs se présentent à Woolworth's et y restent jusqu'à midi et demie, entourés de journalistes. La serveuse les ignore. Le 3 février au matin ils sont soixante-trois, des blancs en colère commencent à les insulter.
Le jeudi 4, les participants au sit-in trouvent tous les sièges occupés par des blancs - ils se rendent alors dans un autre lunch counter tout proche, Kress's, également whites only. Le vendredi 5, la confrontation s'étend à de nombreux cafés de Greensboro, le samedi des centaines de personnes y participent de part et d'autre et Woolworth's est évacué suite à une alerte à la bombe.
Très vite les lunch counters sit-ins s'étendent à Nashville, Chattanooga, Richmond... et tout le Sud des Etats-Unis. Quand les magasins de Greensboro acceptent de négocier avec les étudiants noirs et la municipalité, cette dernière propose l'intégration des lunch counters avec maintien d'une petite section whites only. Les magasins refusent et les sit-ins reprennent en avril. Les gérants finissent par fermer et cadenasser leurs magasins et le 21 avril les étudiants noirs pénètrent de force dans le café Kress's fermé. Quarante-huit d'entre eux sont arrêtés puis libérés. Ils continuent à défiler sur les trottoirs devant les cafés jusqu'au mois de juillet.
Incidents entre racistes blancs et participants aux Lunch counter sit-ins, à Nashville, Tennessee
Photo : Vic Cooley, Nashville Banner
Le 25 juillet le lunch counter du Woolworth's de Greensboro est ouvert aux noirs. Kress's suit le même jour. A partir de cette date, les autres établissements du Sud prennent progressivement les mêmes mesures.
Aujourd'hui, devant la North Carolina A&T University, s'élèvent les statues de bronze des Greensboro Four, un des rares monuments au monde érigé en l'honneur des clients d'un bar.
On définit souvent Tooker comme le peintre de l'aliénation et de la foule solitaire, en s'appuyant sur ses peintures "sociales" les plus connues comme Waiting ou Government Bureau. En fait son travail est plus complexe, reprenant les schémas figuratifs classiques - souvent à partir des vieux maîtres du Quattrocento - avec un arrière-plan autant religieux que social. Et pour revenir à Lunch counter, même si Tooker ne s'est officiellement converti au catholicisme qu'après la mort en 1973 de son compagnon le peintre William Christopher, comment ne pas remarquer l'atmosphère sacramentelle qui se dégage de ce tableau : les yeux baissés, le pain partagé par les personnages dont on aura noté qu'ils sont au nombre de douze comme les apôtres - en comptant celui dont seule une partie du crâne dépasse du pilier. Parmi eux, le seul à être vu entièrement de face est le client noir vers lequel converge toute la construction de ce qui n'est pas une Cène - puisque y manque un Christ - mais à proprement parler une communion.
Communion ambigüe toutefois, puisque chacun des clients est d'autant plus isolé des autres qu'il leur ressemble et qu'il accomplit le même rituel. Parabole de l'intégration donc, où ce qui a été gagné n'est que l'égalité abstraite dans un monde indifférent.