- Quel est ce bruit soudain ? dit M. Chat, interrompant sa lecture
- La Diane du matin sonnait dans les casernes, soupire Mme Chat, il est six heures...
- Toujours dans Robert Pinget ? interroge Mme Chat
- Bien sûr, tu sais que j'ai décidé de le relire dans l'ordre chronologique, car
- Et tu en es où ? bâille-t-elle
- en 1952 - année où, juste après Entre Fantoine et Agapa, Pinget publie
Dans Mahu, on sent que Pinget a lu Beckett - Molloy est de 1951. Alors que dans son premier livre, Entre Fantoine et Agapa, on pense plutôt à Michaux et à Max Jacob.
- Max Jacob, ronronne Mme Chat... on retournera à Saint-Benoît-sur-Loire ?
- Je ne sais pas... (M. Chat se renfrogne) depuis que leurs chants grégoriens sont en français...
- (elle persifle) Mon pauvre minou... tu sais que si tu continues, la prochaine fois tu te réincarneras en Philippe Muray ?
- (Il la griffe) Plutôt me réincarner en escalope ! En fait je me souviens de cette petite mélodie du dimanche de Pâques (il chantonne)
Dic nobis Maria
Quid vidisti in via...
Wipon de Bourgogne (attr.) - Séquence grégorienne Victimae paschali laudes
- Très joli en effet, mon minou, mais tout ça c'est ta prime jeunesse catholico-trotskyste, c'est du réchauffé plus de saison...Et à propos d'in via, si nous allions marcher un peu ?
Il se dirigent vers le métro - Mais, juste comme ils y parviennent...
...Ciel ! s'écrie M. Chat Comment ai-je pu oublier que le mois d'Août...
...est le mois des héros - et des pires, les héros à bon marché, ceux qui ne sont de sortie que pour les plus longs congés scolaires...
Tous deux se blotissent contre le mur tandis que les premiers salariés matinaux descendent l'escalier, bombant le torse dès qu'ils ont vu l'affiche, rentrant le ventre, les maxillaires saillants et le poignet crispé sur un désintégrateur heureusement inexistant - on les sent prêts à rugir, aujourd'hui la concurrence n'aura qu'à bien se tenir...
- Ces images ont un incroyable pouvoir de suggestion, murmure M. Chat, elle font appel aux couches les plus archaïques du cerveau reptilien, et justement le salarié mal réveillé...
Il n'a pas le temps de terminer, trois guerriers bottés de cuir noir le piétinent au passage - prudent, il ne moufte pas.
Mme Chat le déplie, le relève et l'époussète, puis le traîne jusqu'au quai. Là, ils lèvent les yeux... et se figent, tétanisés jusqu'au dernier poil.
Enfer ! éructe M. Chat, comment avons-nous pu nous laisser surprendre ainsi, tu sais bien que le mois d'août est le mois...
...des bonnes causes, et des plus menaçantes, les causes à bas prix, celles qui profitent des tarifs de l'affichage ? Ferme les yeux ! Les paralogismes de ces slogans sont encore plus destructeurs pour l'équilibre mental que le leveraged buy-out pour l'économie réelle... (il la secoue mais elle ne réagit pas - les yeux fixes et vitreux elle répète sans cesse je veux donner... je veux être bénévole...)
M. Chat (tout en criant il cherche désespérément des yeux un défibrillateur) : Réfléchis ! Quand on te dit nous sommes tous la solution c'est uniquement pour t'inculquer que c'est toi le problème - et, pareillement...
...au nom de quoi un sport, fût-il le plus médiatisé au monde, qui n'a jamais amélioré d'un iota les conditions de vie de ceux qui ont déjà un toit, pourrait-il résoudre le problème des sans-abri ? Il s'agit tout bonnement de la énième propagande pour l'esprit de compétition, et de plus, là où il a le moins à faire...
Madame Chat, faiblement : Tu ne crois plus en Lilian Thuram ?
Pendant le trajet, M. Chat cherche à distraire Mme Chat de ses récentes émotions - il imagine diverses Coupes du Monde propres à mobiliser les sponsors afin de ne pas laisser vierges les affichages du mois d'Août :
La Coupe du monde de football des lecteurs inconditionnels de Claude Allègre - le prix serait un exemplaire de luxe, hors commerce et numéroté, de Faut-il avoir peur du nucléaire (2011), ouvrage présenté sous une superbe couverture amiantée destinée à le protéger de l'imposture du changement climatique
La Coupe du monde de football des dégustateurs inquiets de sanglier breton
La Coupe du monde de football des auditeurs infatigables d'Alain Finkielkraut - le prix serait un exemplaire de luxe, hors commerce et numéroté, du Nouveau désordre amoureux (1977) sous une couverture pleine peau de sanglier breton
La Coupe du monde de football des consultants en gestion du stress des salariés
La Coupe du monde de football des gérants de Hedge Funds investissant dans les cabinets de conseil en gestion du stress des salariés
La Coupe du monde de football des psychanalystes du Quatrième Groupe en recherche d'emploi de coach pour France Télécom-Orange
La Coupe du monde de football des héritiers spirituels de Charles Pasqua
La Coupe du monde de football des gardes du corps de Bernard-Henri Lévy
La Coupe du monde de football des ex-lieutenants de Bob Denard
La Coupe du monde de football des ex-sherpas de Bernard Kouchner
La Coupe du monde de football "spéciale droits de l'homme et pays en développement" réunissant les vainqueurs des quatre précédentes
La Coupe du monde de football des conseillers en communication potentiels de Nicolas Sarkozy
La Coupe du monde de football des personnes éventuellement intéressées par le processus de nomination du Procureur de la République de Nanterre (cette dernière se jouera sur invitation et dans la plus stricte intimité)
La coupe du monde de football des Blocs Identitaires Mâles Blancs Chrétiens Occidentaux (sous réserve, dans l'attente d'un généreux financement par l'émir du Qatar)
La coupe du monde de football des chargés de communication stagiaires de la Ville de Paris payés au lance-pierre pour trouver la moindre idée de ce qu'on pourrait bien foutre dans cette ville au mois d'août quand il pleut sur Paris-plage
Ils se dirigent vers la place de la Sorbonne - M. Chat tombe en arrêt devant la vitrine de la librairie philosophique...
Mme Chat : Je te préviens, je n'entre pas chez Vrin, je m'y ennuie à en sécher sur place...
M. Chat : c'est que... (il abandonne piteusement son plan qui était de rechercher pour la trente-et-unième fois un exemplaire d'occasion de
qu'il a perdu et qu'il recherche désespérément depuis douze ans) (1)... Habilement (pense-t-il) il change de sujet
- Tu as vu ? On écrit de plus en plus de ces trucs-là :
Tu te souviens d'Henri Lefebvre et de la Critique de la Vie Quotidienne ? Là c'est exactement l'inverse, une espèce de réenchantement en solde, Philippe Delerm déguisé en Walter Benjamin...
-Tss Tss, dit Mme Chat, ta prochaine réincarnation...
- Je t'assure, tiens justement, écoute (il sort Mahu de sa poche) à propos de la marche...
...n'est-ce-pas tout autre chose que faire corps, prendre corps... et tout ce baratin déclinable en magazine ?
- Peut-être... Allons donc jouer sur le velours au Luxembourg, tiens, ça te rappellera tes premières amours - allons mater les faunes.
Bronze pour bronze, dit M. Chat, j'aime autant le monument kitsch à l'autruche inconnue...
Auguste Cain - Le lion de Nubie et sa proie, 1870
Mme Chat : Pauvre bête...
M. Chat, rêveur : C'est là que je donnais rendez-vous, du temps de ma prime jeunesse précitée.
Mme Chat, émue : Mon minou, ce sera notre rendez-vous ?
M. Chat : Mmm...
Ils reprennent le métro.
Une violoniste dans le métro parisien
Mis en ligne par UnStevie
(1) Entre autres, ce livre comprend un intéressant chapitre sur Hegel lecteur de Louis-Sébastien Mercier, et de sa pièce Montesquieu à Marseille. Les sponsors seraient certainement intéressés par les réflexions de Hegel sur les tourments des Belles Âmes bienfaitrices qui refusent obstinément d'accepter les remerciements : "c'est la générosité qui se cache... un sentiment de honte devant une situation qui déçoit par son insuffisance." (Hegel, Première esquisse de l'Esprit du christianisme et son destin, éd. Nohl p. 389, citée par d'Hondt pp.156-157). La pièce de Mercier a pour thème un bienfaiteur qui cherche avec obstination à rester caché et anonyme.
"Brother, can you spare a dime" mis en ligne parIsthisnametook Chanté par Al Jolson
They used to tell me I was building a dream, and so I followed the mob,
When there was earth to plow, or guns to bear,
I was always there right on the job.
They used to tell me I was building a dream, with peace and glory ahead,
Why should I be standing in line, just waiting for bread?
"Brother, can you spare a dime" mis en ligne par2540252 Chanté par Charlie Palloy
Once I built a railroad, I made it run, made it race against time.
Once I built a railroad; now it's done. Brother, can you spare a dime?
Once I built a tower, up to the sun, brick, and rivet, and lime;
Once I built a tower, now it's done. Brother, can you spare a dime?
"Brother, can you spare a dime" mis en ligne parThespadecaller Chanté par Dr John et Odetta
Once in khaki suits, gee we looked swell,
Full of that Yankee Doodly Dum,
Half a million boots went slogging through Hell,
And I was the kid with the drum!
"Brother, can you spare a dime" mis en ligne parsrc66 Chanté par Bing Crosby
Say, don't you remember, they called me Al; it was Al all the time.
Why don't you remember, I'm your pal? Buddy, can you spare a dime?
"Brother, can you spare a dime" mis en ligne parsnapcracklepop54 Chanté par Ronnie Lane & Slim Chance
Once in khaki suits, gee we looked swell,
Full of that Yankee Doodly Dum,
Half a million boots went slogging through Hell,
And I was the kid with the drum!
"Brother, can you spare a dime" mis en ligne partallymcgee Chanté par Masters of Harmony
Say, don't you remember, they called me Al; it was Al all the time.
Say, don't you remember, I'm your pal? Buddy, can you spare a dime?
"Brother, Can You Spare a Dime" (1931), est une chanson dont les paroles ont été écrites par Yip Harburg, et la musique composée par Jay Gorney .
Ceci est un re-post de mon billet du 7 Octobre 2008, pour des raisons qui n'échapperont à personne. Je n'ai eu qu'à remplacer Bush par Obama et Paulson par Geithner. Lagarde, Trichet et Sarkozy étaient déjà là, on rajoute David Cameron (à tout seigneur tout honneur) mais on défère Strauss-Kahn au parquet. Finalement, l'économie, c'est fastoche (pour des chiffres et de plus amples informations, on peut toujours voir ici ou là...)
Et Max Ginsburg est un peintre réaliste social états-unien - si, si, il en existe. Le monde est rempli de choses étonnantes - et de capitaux déboussolés.
...donnant du musée sur le cimetière - celui que nous appelions, quand nous étions enfants, le cimetière martien.
Quand les bateaux reviennent d'un dernier voyage...
ils vont rouiller au bout du quai d'où l'on voit la Gardiole, là-bas...
où la maison de ton enfance, précisément, n'existe plus depuis longtemps.
Où est-il, ce levier secret de marche arrière
Dans le temps, que disaient les anges ingénieurs
Et dont ta main, sournoise essayeuse d'erreurs,
Cherche entre les aciers la chance et la matière ? (2)
On n'est pas toujours sûr d'avoir la chance et la matière. Alors, comme précisément quand nous étions enfants, on invente des histoires en mettant des images côte à côte, et puis on les mélange et on les réinvente - suivant en cela la recette immémoriale des graffeurs...
(1) Marcel Thiry, Plongeantes proues, 1925.
(2) Marcel Thiry, Astrale automobile, 1939. On republie (La Table Ronde, petite collection vermillon, 2011) les poèmes de Marcel Thiry, canonnier, avocat, marchand de bois et charbon, résistant et poète wallon.