William Orpen - The Café Royal, 1912
Huile sur toile
Musée d'Orsay
Le Café Royal à Regent Street était (1) le café des artistes et et des écrivains; quand il descendait de sa caravane on pouvait y entendre Nevinson vitupérer ses contemporains, et y croiser, bien sûr, T. S. Eliot. En Novembre 1921 et Janvier 22 ce dernier, de passage à Paris venant de Margate puis revenant de Suisse, confia à la critique acérée d'Ezra Pound les tapuscrits de The Waste Land.
Dans l'une des premières versions de The Fire Sermon (un peu après I Tiresias, old man with wrinkled dugs...), les vers 153-156 étaient les suivants :
He, the young man carbuncular, will stare
Boldly about, in ‘London’s one café’,
And he will tell her, with a casual air,
Grandly, ‘I have been with Nevinson today’
Il jettera un regard fier autour de lui,
Dans le café par excellence à Londres
Ce jeune homme carbonculaire, et puis
Désinvolte et pompeux, il lui fera entendre
"J'étais avec Nevinson aujourdhui" (2)
Que Pound corrigea ainsi :
T.S Eliot - The Waste Land, a Facsimile and Transcript of the Original Drafts including the Annotations of Ezra Pound
Edited by Valerie Eliot
Harvest Books, 1971, p.33
...et qu'Eliot, sur ses conseils, condensa de la sorte :
He, the young man carbuncular, arrives,
A small house agent’s clerk, with one bold stare,
One of the low on whom assurance sits
As a silk hat on a Bradford millionaire.
Il arrive, jeune gandin carbonculaire,
Petit gratte-papier d'agence immobilière
Et son aplomb lui sied comme un chapeau de soie
Au chef de quelque Bradfordien millionnaire (3)
On aura compris que Pound n'aimait pas Nevinson. Et peut-être que les sentiments d'Eliot lui-même étaient mitigés - ce jeune homme carbonculaire qui hante dix-huit vers du poème définitif - le double dans le tapuscrit - étant après tout fort peu sympathique.
Mais tout de même, pour un peintre un peu oublié aujourd'hui, être le seul contemporain à (faillir) être cité dans The Waste Land...
(1) Il a été fermé en 2008, transformé aujourd'hui en hôtel de (grand) luxe. La forme d'une ville change plus vite, hélas...
(2) Traduire un bout de T.S. Eliot avant tout le monde ? Oui, les chats osent tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît !
(3) Trad. Pierre Leyris, © éd. du Seuil 1947; non, les chats n'oseraient pas.
Ce billet, comme le précédent, doit beaucoup aux travaux de Michael J. K. Walsh sur Nevinson :
- Hanging a Rebel, The Life of C.R.W. Nevinson, Lutterworth Press, 2008 (biographie complète)
- C.R.W. Nevinson, This Cult of Violence, Yale University Press, 2002 (biographie limitée aux premières années et planches en couleur)
- A Dilemma of English Modernism, University of Delaware Press, 2007 (recueil d'articles de divers auteurs).