Ce duo, dont le nom de scène reprend phonétiquement en russe le two straight anglais, faisait des démonstrations de mnémotechnie, qui devaient plutôt tenir de la magie mnémotechnique (1) que de l'ars memoriae. Ici une affiche pour une représentation à l'Académie des arts du théâtre de Léningrad en 1937.
Cette Agrippine n'est pas aussi célèbre que la Sainte Face en un seul trait de burin, mais elle est bien plus problématique. D'abord, si elle a jamais été aux Tuileries, elle n'y est plus. Aujourd'hui aux Tuileries c'est une autre Agrippine par Doisy (1685), presque contemporaine donc de l'estampe de Mellan. Pourtant c'est encore une autre Agrippine, sculptée par Maillet en 1861, qu'Atget a photographiée aux Tuileries entre 1920 et 1927 - elle a depuis été déplacée au Mont Valérien. Bon. Mais en tout état de cause, aucune de ces deux Agrippine ne sort du bain.
L'Agrippine de Mellan, elle, ne ressemble pas vraiment au marbre antique conservé à Compiègne (comparez les drapés, par exemple).
Agrippine Mazarin, ou Julia Mammea, dite aussi Mnémosyne, Ier-IIème s. EC
Alors, trois statues, vraiment, ou la libre interprétation du graveur ? Je donne ma langue au chat.
Et puis quelle Agrippine au fait ? S'agit-il d'Agrippine l'aînée, dont Cyrano de Bergerac fit une sanglante héroïne baroque...
CORNÉLIE.
Madame, cependant Tibère vit encore.
AGRIPPINE.
Attends encor un peu, mon déplorable époux Tu le verras bientôt expirant sous mes coups, Et ravi par le sort aux mains de la Nature, Son sang à gros bouillons croître à chaque blessure ! Son esprit par le fer, dans son siège épuisé, Pour sentir tout son mal en tous lieux divisé, Entre cent mille éclairs de l'acier qui flamboie, Gémissant de douleur, me voir pâmer de joie, Et n'entendre, percé de cent glaives aiguës, Que l'effroyable nom du grand Germanicus !... Qu'il est doux au milieu des traits qu'on nous décoche De croire être offensé quand la vengeance approche ! Il semble que la joie au milieu de mes sens Reproduise mon coeur partout où je la sens; Pour former du tyran l'image plus horrible, Chaque endroit de mon corps devient intelligible, Afin que toute entière en cet accès fatal, Je renferme, je sente et comprenne son mal ; Usurpant les devoirs de son mauvais génie, Je l'attache aux douleurs d'une lente agonie ; Je compte ses sanglots, et j'assemble en mon sein Les pires accidents de son cruel destin ; Je le vois qui pâlit ; je vois son âme errante Couler dessus les flots d'une écume sanglante ; L'estomac enfoncé de cent coups de poignard, N'avoir pas un ami qui lui jette un regard, S'il pense de sa main boucher une blessure, Son âme s'échapper par une autre ouverture ; Enfin, ne pouvant pas m'exprimer à moitié, Je le conçois réduit à me faire pitié. Vois quels transports au sein d'une femme offensée Cause le souvenir d'une injure passée ! Si la Fortune instruite, à me désobliger M'ôtait tous les moyens de me pouvoir venger, Plutôt que me résoudre à vaincre ma colère, Je m'irais poignarder dans les bras de Tibère, Afin que soupçonné de ce tragique effort, Il attirât sur lui la peine de ma mort ; Au moins dans les Enfers j'emporterais la gloire De laisser, quoique femme, un grand nom dans l'Histoire ; Mais le discours sied mal à qui cherche du sang.
Cyrano de Bergerac - La mort d'Agrippine (oui, ça finit mal) Acte III scène I
...ou de sa fille, Agrippine la jeune, plus sobre mais tout aussi malchanceuse chez Racine ?
Et puis, de toute façon, comme le disait un expert...
Aubin Louis Millin - Description des statues des Tuileries, 1798, p. 102
...mais là, c'était à propos de la statue de Doisy, qui représente peut-être Plotine et non pas Agrippine. On s'y perd avec toutes dames romaines plus ou moins impératrices, sans compter que la statue de Compiègne c'est peut-être encore...
Julia Mammea, qui parvint au trône, contrairement aux Agrippine, mais mourut elle aussi de mort violente, dans un coup d'état militaire. Les Romains adoraient les coups d'état militaires.
Ou encore, est-ce enfin Mnémosyne - déesse de la mémoire et mère des muses ? On a peut-être donné son nom, parmi d'autres, à cette statue simplement parce qu'elle a l'air de se recueillir tout aussi bien que de sortir du bain ? Mnémosyne, ça me plaît bien, pour une statue dont on ne se souvient ni de qui l'a faite, ni d'où elle vient, ni finalement de qui elle représente. La mémoire, c'est tout à fait ça.
Albrecht Dürer - Le Christ aux limbes, de la Grande Passion, avant 1511 Gravure sur bois
Chez mes grands-parents, dit M. Chat, il y avait ce vieux recueil d'images religieuses, dans la veine sulpicienne fin XIXème, au temps où des missions couraient les villages pour tenter vainement de les rechristianiser. Quatre grandes planches rotogravées. Le Paradis, où on avait l'air de s'ennuyer ferme. Le Purgatoire, plutôt cool et reposant, on s'y promenait sous des bosquets, l'inconvénient c'est qu'on était obligé d'en sortir un jour ou l'autre - ma grand-tante Philomène était une spécialiste des neuvaines pour les âmes du Purgatoire, elle connaissait tous les morts du village qui y séjournaient. L'Enfer, beaucoup plus intéressant, là au moins il y avait de l'action. Et, suprêmement angoissants, Les Limbes.
On y voyait le Christ, enveloppé d'un élégant suaire, poser un pied prudent dans un espace nuageux d'où émergeaient des têtes d'angelots sans corps, pareils à ces minuscules chérubins de cire qui, posés sur du coton jauni sous une cloche de verre, trônaient sur les cheminées de mes grand-tantes ou pendaient aux murs décrépits des chapelles de cimetières. Le Grand Culpabilisateur qui avait fabriqué le bouquin avait évidemment confondu le Limbe des Pères (ou des Patriarches), celui de la gravure de Dürer, avec le Limbe des enfants morts sans baptême.
Détail
Le Limbe des Pères, c'est le réduit dont on voit l'entrée en bas à droite de la gravure. On y a enfermé tous les justes (1) morts entre le péché originel et l'an 33 après J.C. (2) date à laquelle JC, précisément, est mort, a été enseveli, est descendu aux enfers (3) pour les libérer : c'est cette descente que décrit Dürer.
Détail
J'aime beaucoup l'espèce d'autruche, probablement le gardien en second du réduit.
Donc, dès 33, si l'on s'en tient aux articles de foi, les pères étaient tirés d'affaire. Mais, comme il arrive souvent, en fermant une prison on en a rouvert une autre, celle des enfants morts avant le baptême. Ici, un bref rappel de théologie catholique.
Dans un premier temps les Pères de l'Eglise (Saint Augustin, en fait) estimaient que ces enfants allaient directement en enfer : pas de baptême, pas de salut. Après une rapide réflexion est venu ce correctif : ils n'étaient condamnés qu'au plus léger des châtiments infernaux (bien sûr qu'il y a une gradation, voyez chez Dante). A partir d'Abélard (1079-1142) les théologiens ont précisé ce qu'était ce châtiment : les mioches sont simplement privés de la vision béatifique de leur Dieu. Et donc, vers la fin du XIIème siècle (4) on a réalisé que, si l'enfer est conçu pour faire vraiment souffrir le pécheur, il est difficilement soutenable - et cela pourrait même prêter à confusion - d'y maintenir des innocents qui ne souffrent pas ou si peu. On a donc conçu ce lieu : Limbus, la Lisière - la lisière de l'enfer, mais ce n'est déjà plus tout à fait l'enfer, même si on y reste (restait ?) pour l'éternité.
Se sont ensuivis neuf siècles d'intense réflexion théologique, avec quelques zigzags (par exemple, les Jansénistes sont contre les Limbes, pour eux les mioches vont en enfer, point final) jusqu'à ce qu'enfin les instances responsables décident de baisser définitivement la grille sur les Limbes des enfants, le 19 janvier 2007 (5).
Que s'est-il passé alors, dans les nuages de coton où pâlissaient les angelots de mon vieux livre ? A-t-on entendu, ce 19 janvier au soir, la sonnerie de fermeture ? Est-ce que le gardien est passé en répétant Messieurs on va fermer, au revoir comme dans The Waste Land (6) :
(1) Quant
à savoir qui est juste et qui ne l'est pas, c'est une autre histoire, à
voir avec le Dieu de l'ancien testament - qui n'était pas un tendre.
(2) On dit maintenant 33 EC, pour ère courante, ce qui évite de parler à tout bout de champ de J.C. Pour avant J.C. on dit AEC, Avant l'ère courante. (3) C'est le texte du Symbole des Apôtres.
(4) A noter que c'est à peu près à la même époque et toujours à Paris sur la rive gauche que, selon Jacques Le Goff, on inaugure le Purgatoire.
(5) Plus précisément, dans une formulation diplomatique, lesdites instances constatent qu'on des raisons théologiques et liturgiques solides "d'espérer" que les Limbes n'existent pas, voir ici au paragraphe 102.
(6) T. S. Eliot, The Waste Land, II, A game of chess. Messieurs on va fermer Messieurs on va fermer 'Soir, Bill. 'Soir, Lou. 'Soir, May. 'Soir, Bob. A la prochaine. Bonsoir. Bonsoir. Bonsoir. (Dans la traduction de Pierre Leyris).
Pablo Picasso - Le repas frugal, 1904 Eau-forte et grattoir sur zinc Via Ma petite Médiathèque
C'est une des premières eaux-fortes (la seconde ou la quatrième, selon les sources) réalisées par Picasso, juste après que Ricardo Canals lui ait réenseigné la technique. La plaque de zinc avait déjà été utilisée par Joan González, un autre familier du bateau-lavoir. Regrattée par Picasso, on peut encore y voir des traces du travail de González, dans le coin supérieur droit.
Les personnages et le climat sont ceux de la période bleue, l'homme ressemble fort au personnage du Repas de l'aveugle de 1903 - le premier titre donné à cette estampe était L'aveugle. La femme pourrait être Madeleine, une des premières compagnes parisiennes de l'artiste, Madeleine dont personne n'entendit jamais plus parler et dont Picasso ne révéla l'existence qu'en 1968 à Pierre Daix (1).
Les premières épreuves furent tirées par Eugène Delâtre; puis Ambroise Vollard fit aciérer la plaque pour faire presser encore 277 estampes incluses dans la série des Saltimbanques en 1913. On en vole encore.
(1) "Devant un remarquable portrait de profil qu'il n'arrivait pas à retrouver jusque-là parce que le carton s'était encastré dans le cadre d'un des tableaux de sa collection, il déclara à Pierre Daix (2) «C'est la Madeleine...» puis, voyant sa surprise : «j'ai failli avoir un enfant d'elle... Tu me vois avec un fils de soixante-quatre ans ?» "
Pierre Cabanne, Le siècle de Picasso, 1 la naissance du cubisme, 1881-1912, rééd. Folio-essais 1992, pp. 228-229.
Francisco de Goya - Otras leyes por el pueblo / D'autres lois pour le peuple Eau-forte et aquatinte Planches supplémentaires pour Los Disparates (ou Los Proverbios) L'Art, 1877
Enfin la fatigue ménage une fente dans le non-dit avec un petit tournevis, et quelques mots suintent, comme la résine, l'humidité et le sang, puis tachent le papier comme un drap jeté sur le corps aux mains ouvertes.
Enfin, enfin les mots suintent, si lourds de silence et d'âge, comme s'ils étaient eux-mêmes des corps presque oubliés aux ailes cachées, retombées, comme des écussons sur les pages – enfin ! enfin !
Pierre Grouix a également produit une traduction légèrement différente pour une édition complète des poésies de Carpelan (à paraître), traduction qu'on peut lire ici.
Bo Carpelan (1926-2011) est un poète finlandais de langue suédoise.
Et
donc, en suivant les bords du Léman, en passant par Rolle
sans avoir vu Godard, on a laissé Pully sans voir l'expo Pajak. On l'a seulement su en arrivant à Sion. parce qu'il y a des
librairies à Sion - il y avait même une librairie avec, dans un rayon
tout en bas bien caché, la collection entière des Cahiers dessinés. Avec La véridique histoire des compteurs à air.
Même que c'est Pajak qui est allé voir Cardon dans son île sur la Loire, comme le dit Alain Paire, pour le persuader de la rééditer.