David Hockney - Shirley Goldfarb and Gregory Masurovsky, 1974 Acrylique sur toile The Doris and Donald Fischer Collection, San Francisco Museum of Art Source
7 mai, Atelier Hockney, Cour de Rohan, le matin.
Je suis assise chez David regardant « notre » portrait (moi, Gregory et Sardi). Ça avance...
Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, posant le mercredi 6 mai dernier avec le personnel de l'usine de filtrants Mortelecque à Annœullin (Nord), reconvertie dans la fabrication de masques. Source (sur abonnement)
Toute distanciation mise à part, Annœullin, dans le Nord, c'est aussi le village des fraisiers, comme le chantait Colette Magny dans...
Colette Magny - Chronique du Nord, 1972, de l'album Répression
On trouvera sur l'excellent blog consacré à Colette Magny le texte de la chanson, un commentaire très complet et une carte des enquêtes de la chanteuse sur le terrain (Waziers, les Asturies, Wagnonville...). On notera que la fonderie des Asturies (aujourd'hui propriété du groupe Umicore/Nyrstar, société belge ayant son siège en Suisse et cotée à Euronext/Bruxelles) est toujours en service à Auby.
Ma mère m'a dit : T'es qu'un godailleux (1), t'as dépensé des sous qu'on
n'avait pas dans la bourse ; faut payer la maison"
Y'a de jolies fraises, des jolies fraises à Anolin
(2) J'irai les cueillir chez le voisin à 4 h, tous les matins,
faut payer la maison...
mais y'a la grève à Flers
BOU BOU BOUYEYE BOU BOUYEYE...
(1) Godailleur, godailleux : terme populaire, vieilli. Fêtard, ivrogne.
Et
les chats, confinés pour un certain temps, voire un temps incertain,
s'occupent à autre chose, ouvrent leurs fenêtre, regardent le ciel, referment lesdites fenêtres, rangent leurs
bibliothèques...
En même temps, ils ont - ils ont eu, depuis longtemps, pour aboutir ici maintenant, et ils auront - la lenteur de phase, la très basse fréquence des ondes longues, des vagues imperceptibles, des changements climatiques, des mouvements tectoniques, des plaques continentales qui avancent millimètre par millimètre.
Et donc. Je me disais (se dit M. Chat) que de m'astreindre à ces billets quasi-quotidiens, cela reflétait bien l'humeur, le sentiment, cela respectait bien la pulsation, le rythme.
Mais voilà. Les temps ont changé. Et donc. Je me dis.
Que d'une part, pour se caler sur les ondes longues le rythme va considérablement ralentir sur la présente bûche (1). A l'avenir les publications seront ici de périodicité plus aléatoire, au plus hebdomadaire, peut-être même plutôt mensuelle, voire rare. Et idiosyncrasiques. Mais c'était déjà idiosyncrasique et allusif, alors, bon.
Sinon, et d'autre part, pour mieux écouter le be-bop les chats ont aussi un fil pour les petites nouvelles plus ou moins originales, si ça vous intéresse.
Prenez
soin - en respectant bien l'ordre suivant, sinon c'est de peu d'effet -
de vous, des autres, de la planète, des chauve-souris, des pangolins,
des virus, des gouvernements qui courent après les virus. Qui courent plus vite que les gouvernements. Bien des choses se sont mises à courir plus vite que les gouvernements, et pour longtemps. En même temps, entendez-vous ce silence ?
(1) Blog est le diminutif de weblog. Web, à l'origine, c'est du tissu (par extension, spider web, toile d'araignée, et web = toile, réseau). Log, à l'origine toujours, c'est une bûche. Comme celle que tient dans ses bras...
...la log lady de Twin peaks.
Puis c'est la bûche qui leste la corde jetée à l'eau derrière le bateau, pour en mesurer la vitesse. Un petit verre de rhum et, du coup, le log book c'est le journal de bord du navire, dans lequel on note cette vitesse (si on ne l'a pas oubliée, avec le rhum). Puis, par extension (l'influence de la marine, ou du rhum) tout journal de relevés. Enfin, pour les informaticiens du bon (2) vieux temps des salles blanches, la log file ou la log, le journal d'exploitation de la grosse bécane. Puis le weblog, journal sur le réseau (3). Bûche, j'aime bien, c'est joli, non ?
(2) Bon, mais froid. On se caillait dans les salles blanches. Et il fallait cacher la bouteille de rhum.
(3) Individuel. Compatible avec le verre de rhum, voire plus. Pas de chef pour vous surveiller. La navigation en solitaire. Le Challenge Havana Club de la bande passante de nuit. Cet universel tapotis sur les claviers derrière les persiennes closes. Et puis, un jour, ce silence. Si on écoutait bien ce silence - on pourrait croire à un bruit, dans le fond.
Première poule - Quel est cet animal gisant au sol ?
Deuxième poule - Homo sapiens, je crois.
Première poule - Pourquoi geint-il en frappant la terre de ses poings ?
Troisième poule - Il dit "je n'aurais pas dû construire si près des grottes à chauve-souris. Je n'aurais pas dû manger du pangolin. Je n'aurais pas dû jeter mon stock de masques pour faire plaisir à la Cour des Comptes".
Quatrième poule - C'est quoi la Cour des Comptes ?
Cinquième poule - Comme une basse-cour, mais plus haute.
Sixième poule - C'est lui qui ramassait nos oeufs ?
Cinquième poule - Ouais, et c'est lui qui a mangé grand-mère.
Deuxième poule - Alors, qu'il se démerde.
Troisième poule - Attendez, de temps en temps il nous filait à bouffer.
Deuxième poule - Tu parles, c'était ses ordures.
Quatrième poule - C'est pas tout ça, mais faudrait voir à voir.
Cinquième poule - Tout à fait, alors il est où, ce fameux trou dans le grillage ?
10 novembre 1914 De tout ce que Koch (1) nous a raconté à propos de Peter (2), je retiens deux choses qui m’ont fortement touchée : Tout d’abord lors de leur cantonnement chez des gens en Belgique. Peter jouait avec les enfants qui s’amusaient à lui grimper dessus. Et puis aussi, l’histoire d’un sale sujet, un homme antipathique qui se trouvait parmi eux. Quand Peter est mort, c’est lui qui a dit qu’il aimait bien Peter. Il a proposé de prendre des touffes d’herbe pour les mettre sur sa tombe. Et ils l’ont fait. Puis, ils ont piqué quelques feuilles de chêne entre les touffes et en ont décoré la croix. « C’était très beau » dit Hans Koch. « Je suis devenu un maître dans l’art de tisser chagrin et peine
Je tisse jour et nuit un lourd habit de deuil. » Gottfried Keller Le 10 novembre au soir, je suis allée voir Hans (3) à Tempelhof. Il était pâle, abattu. Je lui ai expliqué pourquoi, selon moi, il n’était pas obligé d’aller au front. Hans : « Et si je suis convaincu qu’après, je ne réussirai à rien si je n’ai pas vraiment vécu la guerre ? ». À quoi je lui ai répondu : « Soigner des blessés ou bien aller au front, n’est-ce pas dans les deux cas, vivre vraiment la guerre ? Karl (4) et moi n’avons-nous pas vécu cent fois plus la guerre que d’autres qui sont sous le feu des grenades ? » Je l’ai quitté et je suis rentrée à la maison. J’ai encore un petit espoir.
Käthe Kollwitz - Journal, trad. de Sylvie Pertoci
L'atelier contemporain éd., 2019
(1) A propos de Hans Koch, très proche ami de Peter Kollwitz, et de la Lebensreform, lire ici sur le site des Amis de Käthe Kollwitz. (2) Son second fils, mort au front le 23 octobre 1914 dans la première bataille d'Ypres.
(3) Son premier fils, alors étudiant en médecine. Hésitait entre partir se battre au front et entrer dans le service médical des armées.
Hélène Châtelain dans (l'introduction de) La Jetée (1962) de Chris Marker
Hélène Châtelain s'est éteinte ce matin. Comédienne inoubliable dans "La Jetée" de C. Marker, elle fut aussi scénariste, étroite collaboratrice d’A. Gatti, réalisatrice d’une trentaine de films, écrivaine et traductrice. Nos pensées les plus émues pour sa famille et ses proches.
Hélène Châtelain nous a quittés. Pendant 50 ans, ses questions sur le continent russe nous ont révélé l’actualité du
monde et ses écritures possibles. Avec Hélène, nous avons découvert Nestor Makhno, rencontré Leonid
Plioutch, parcouru Varlam Chalamov. Elle a traduit Vassili Golovanov et
nous l’avons lu. Elle nous a initié au poète Velimir Khlebnikov. Avec
ses films et ses images elle a matérialisé le goulag. La langue russe
était devenue une évasion verticale qu’elle nous a faite partager. Un jour, Armand Gatti m’a dit : Deux êtres
qui s’aiment, sont deux êtres qui marchent dans la même direction. Pour
Hélène et Dante, cette marche ne semble pas devoir s’arrêter. Hélène
avait décidé de partager avec Gatti un retour sur les lieux de la
résistance dans la forêt de la Berbeyrolle. Marquer le chemin d’une
pierre. C’est chose faite. Il y aura d’autres pierres. La marche
continue.
Ill. de couverture : Le diable emportant une femme Collections du Musée savoisien de Chambéry Cliché J.-C. Giroud
On peut lire, en accès libre sur Gallica, les 23 premières pages du livre de Catherine Maire, qui décrit une des dernières grandes visites du Diable en France.
Une des dernières seulement, car on a pu en documenter d'autres, ainsi, Lion Feuchtwanger...
Matías Segura - Projection de rue, Santiago du Chili, 30 octobre 2019 Source
Et pendant ce temps-là...
...s'il est soudainement possible de distinguer les emplois essentiels des « emplois à la con » [bullshit jobs], pourquoi ne pas continuer à le faire après cette crise ?
Il existe deux versions de la Chanson de la plus haute tour - la première date de Mai 1872...
Oisive jeunesse A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie,
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent.
Je me suis dit : laisse,
Et qu'on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête
Auguste retraite.
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Ainsi la Prairie À l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie ?
Oisive jeunesse
A tout asservie
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie. Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent ! ...et celle-ci a été chantée par Léo Ferré.
De l'album Léo Ferré chante Verlaine et Rimbaud, 1964
Mai 1872, c'est encore le temps de l'idylle avec Verlaine, c'est aussi le mois où Fantin-Latour expose au Salon le Coin de table...
Henri Fantin-Latour - Coin de table, 1872
Assis de g. à d. Verlaine, Rimbaud, Léon Valade, Ernest d'Hervilly, Camille Pelletan.
Debout : Pierre Elzéar, Emile Blémont, Jean Aicard.
A l'origine, le tableau devait être un hommage à Baudelaire.
...où figurent quelques-uns des Vilains Bonshommes, poètes, journalistes et littérateurs Parnassiens qui se réunissent tous les mois autour d'un repas suivi de lectures à l'absinthe. Ils ont posé au début de l'année 1872 - Rimbaud une seule fois, sans desserrer les dents (1). A part Verlaine et Rimbaud, le seul des modèles à être passé à la postérité est Camille Pelletan...
...devenu plus tard le leader de la gauche du parti radical-socialiste...
...obstiné défenseur des Communards et des grévistes, député et sénateur des Bouches-du-Rhône, ministre de la marine du petit père Combes, ce qui explique qu'une ribambelle de boulevards, de collèges et de lycées portent encore son nom.
Le bouquet, à côté de Pelletan...
.
..occupe la place du neuvième convive...
...Albert Mérat, poète mineur qui refusa de poser. Il ne voulait pas figurer à côté de Rimbaud qui, lors d'un précédent repas de Vilains Bonshommes, avait donné un coup de couteau à un de ses amis. Caractère difficile, Rimbaud.
Après le Salon ("c'est le repas des Communards !", aurait dit Charles Blanc, directeur des Beaux-Arts) Durand-Ruel expose le Coin de table dans sa galerie de Paris, puis dans celle de Londres, où Rimbaud et Verlaine se trouvent depuis le début de Septembre. Ils vont voir le tableau, rebaptisé A few friends. "Nous sortons de nous revoir. Ça a été acheté 400 Livres (10.000 fr.) par un richard de Manchester. Fantin for ever !" (Lettre de Verlaine à Lepelletier).
Fantin for ever ! Et les deux clochards célestes vont boire de l'absinthe - ou de la bière tiède ? - dans les bars préférés des Communards exilés à Soho. C'est leur premier séjour londonien, de Septembre 72 à Avril 73, ils logent au 34 Howland street, Fitzroy Square, dans une maison qui fut détruite en 1938. A sa place on mit le central téléphonique international et, en 1961, une autre plus haute tour - de 189 mètres, la British Telecom tower, sinistre fanal hertzien dont le restaurant panoramique tournait sur lui-même en 22 minutes. Il tourne encore parfois, pour les repas privés des huiles de BT, depuis qu'on a retrouvé des pièces détachées de son mécanisme. Mais il est fermé au public depuis 1981, comme bien d'autres choses de par le monde.
Dans la BD de V for vendetta, cette tour est le quartier général de la surveillance audio-vidéo des forces du mal, et on la détruit avec jubilation. Les anglais adorent casser la BT Tower, comme dans la série télévisée The Goodies...
. ...où elle était terrassée par KittenKong. Vengeance posthume des deux poètes, sans doute.
La seconde version de la Chanson de la plus haute tour, celle qui est chantée par Colette Magny, figure dans Une saison en enfer, c'est Alchimie du verbe :
"...J'étais oisif, en proie à une lourde fièvre : j'enviais la félicité des bêtes, — les chenilles, qui représentent l'innocence des limbes, les taupes, le sommeil de la virginité !
Mon caractère s'aigrissait. Je disais adieu au monde dans d'espèces de romances :
Qu'il vienne, qu'il vienne, Le temps dont on s'éprenne.
J'ai tant fait patience Qu'à jamais j'oublie.
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine Obscurcit mes veines.
Qu'il vienne, qu'il vienne.
Le temps dont on s'éprenne.
Telle la prairie
À l'oubli livrée, Grandie, et fleurie D'encens et d'ivraies, Au bourdon farouche Des sales mouches.
Qu'il vienne, qu'il vienne, Le temps dont on s'éprenne."
On pense que Rimbaud travaillait déjà sur Une saison en enfer à Londres, au cours du second séjour des deux poètes en Juin 1873 - ils habitaient alors à Camden Town, 8 Great College street, une maison qui existe toujours et qui a été sauvée des promoteurs par une campagne menée par Simon Callow, Julian Barnes, Patti Smith, Stephen Fry et autres. C'est là que le 3 Juillet 1873 Rimbaud se met à la fenêtre et voit Verlaine revenir des commissions, un maquereau à la main, enveloppé dans un journal. Il lui lance ce cri devenu célèbre :
"Mon pauvre vieux, ce que tu as l'air con avec ton maquereau !" (2)
Verlaine, vexé, lui jette le poisson à la tête, crie "j'en ai assez" et prend le bateau seul pour Anvers. Rimbaud reste sans le sou à Londres, vend les vêtements de son compagnon pour manger puis lui écrit une lettre, monument de tendre sadisme épistolaire qui commence sur un ton suppliant mais termine hautainement "...resonge à ce que tu étais avant de me connaître". La suite est bien connue, rapide et définitive : les retrouvailles à Bruxelles, l'hôtel rue des Brasseurs, les disputes qui reprennent tout de suite. Verlaine se rend à l'amurerie Montigny dans la Galerie de la Reine, il y achète le fameux revolver Lefaucheux 7 mm. à six coups, avec gaine et une boîte de cinquante cartouches, puis entre dans une taverne, boit, charge son revolver, change de bistro et boit encore.
" Je manifestais toujours le désir de retourner à Paris... ce matin il est allé acheter un revolver au passage des galeries Saint-Hubert, qu’il m’a montré à son retour vers midi; nous sommes allés ensuite à la Maison des Brasseurs, Grand'Place, où nous avons continué à causer de mon départ. Rentrés au logement vers deux heures, il a fermé la porte à clef, s’est assis devant; puis, armant son revolver, il en a tiré deux coups en disant: Tiens je t’apprendrai à vouloir partir ! Ces coups de feu ont été tirés à trois mètres de distance, le premier m’a blessé au poignet gauche le second ne m’a pas atteint..." Déposition de Rimbaud à la police "le 10 Juillet 1873 vers 8 heures du soir".
Puis Verlaine place le revolver dans les mains de Rimbaud et lui demande de le lui décharger dans la tempe.
A la fin de 1974, Bob Dylan, sous le coup d'une rupture avec Sara Lowndes, enregistre Blood on the tracks. Dans une des chansons, You gonna make me lonesome when you go, il se compare à Verlaine et Rimbaud au moment de leur séparation.
"Situations have ended sad
Relationships have all been bad
Mine've been like Verlaine's and Rimbaud
But there's no way I can compare
Al them scenes to this affair
You're gonna make me lonesome when you go"
Verlaine, menottes aux poignets, prend le chemin de la prison des Petits-Carmes et Rimbaud sorti de l'hôpital passe quelques jours de convalescence dans l'hôtel bruxellois où un certain Rosman fait son portrait.
"Epilogue à la Française - Portrait du Français Arthur Rimbaud blessé après boire par son intime le poète français Paul Verlaine. Sur nature par Jef Rosman. Chez Me Pincemaille, marchande de tabac, rue des Bouchers, à Bruxelles."
Les routes des des deux poètes divergent ensuite pour ne se recroiser que deux fois, très symboliquement. La première, c'est l'envoi par Rimbaud de la plaquette d'Une saison en enfer qu'il a fait imprimer en Belgique et que Verlaine reçoit dans sa cellule de la prison de Mons. La seconde, c'est leur seule rencontre après les coups de feu, deux jours à Stuttgart en 1875. Verlaine, retourné derrière les barreaux au bercail catholique, aurait alors vainement tenté de convertir Rimbaud, qui du coup lui aurait fait faire la tournée des brasseries. Puis selon Ernest Delahaye, seule source de cette histoire, il se seraient battus à coups de poings, des paysans retrouvant le lendemain Verlaine ivre mort au bord du fleuve - Verlaine qui revient pourtant avec le manuscrit des Illuminations dans ses bagages.
On a longtemps prétendu que les Illuminations avaient été écrites avant Une saison en enfer, et cette théorie allait bien dans le tableau claudélien d'un Rimbaud finalement converti. Il est beaucoup plus probable qu'Alchimie du verbe marque la rupture franche non seulement avec Verlaine mais surtout avec le lyrisme versificateur et cela avant les Illuminations. Entre les deux versions de la Chanson de la plus haute tour, celle oùles cœurs s'éprennent et celle où on s'éprend, bien plus vaguement, du temps, il y a deux coups de feu - et le mètre se met à claudiquer
des sales mouches...
venant ensuite, lors de son quatrième séjour à Londres en 1874, le temps où le moucheron Rimbaud cesse de se heurter à la vitre du vers et passe définitivement de l'autre côté - dix ans après le Spleen de Paris, six après Maldoror, les trois coups de la poésie moderne.
Un siècle plus tard, à la fin de 1974, Dylan s'est réconcilié encore une fois avec Sara Lowndes. Pourtant l'année suivante, après la tournée Before the flood il erre de nouveau, mal rasé, dans des clubs de Greenwich Village à la poursuite d'un fugace renouveau folk. Et le 5 Juillet on le traîne par surprise sur scène à l'Other End, pour ressusciter des chansons comme Goodnight Irene, Banks of the Ohio, Amazing grace et même Will the circle be unbrokenpour laquelle il côtoie Tom Verlaine et une chanteuse de vingt-neuf ans qui vient d'enregistrer son premier single, Hey Joe, avant Horses. Patricia Smith, fille d'un ouvrier ex-danseur de claquettes et d'une chanteuse de jazz devenue serveuse, est une fan qui un jour a acheté les Illuminations parce que Rimbaud ressemblait à Dylan sur la couverture. La face B de Hey Joe, c'est le célèbre Piss Factory, souvenirs de travail à la chaîne.
Sixteen and time to pay off I got this job in a piss factory inspecting pipe Forty hours thirty-six dollars a week But it's a paycheck, Jack. It's so hot in here, hot like Sahara You could faint in the heat But these bitches are just too lame to understand Too goddamned grateful to get this job To know they're getting screwed up the ass All these women they got no teeth or gum or cranium And the way they suck hot sausage But me well I wasn't sayin' too much neither I was moral school girl hard-working asshole I figured I was speedo motorcycle I had to earn my dough, had to earn my dough But no you gotta, you gotta [relate, babe,] You gotta find the rhythm within Floor boss slides up to me and he says "Hey sister, you just movin' too fast, You screwin' up the quota, You doin' your piece work too fast, Now you get off your mustang sally You ain't goin' nowhere, you ain't goin' nowhere." I lay back. I get my nerve up. I take a swig of Romilar And walk up to hot shit Dot Hook and I say "Hey, hey sister it don't matter whether I do labor fast or slow, There's always more labor after." She's real Catholic, see. She fingers her cross and she says "There's one reason. There's one reason. You do it my way or I push your face in. We knee you in the john if you don't get off your get off your mustang Sally, If you don't shake it up baby." Shake it up, baby. Twist & shout" Oh that I could will a radio here. James Brown singing "I Lost Someone" or the Jesters and the Paragons And Georgie Woods the guy with the goods and Guided Missiles ... But no, I got nothin', no diversion, no window, Nothing here but a porthole in the plaster, in the plaster, Where I look down, look at sweet Theresa's convent All those nurses, all those nuns scattin' 'round With their bloom hoods like cats in mourning. Oh to me they, you know, to me they look pretty damn free down there Down there not having crystal smooth Not having to smooth those hands against hot steel Not having to worry about the [inspeed] the dogma the [inspeed] of labor They look pretty damn free down there, And the way they smell, the way they smell And here I gotta be up here smellin' Dot Hook's midwife sweat I would rather smell the way boys smell-- Oh those schoolboys the way their legs flap under the desks in study hall That odor rising roses and ammonia And way their dicks droop like lilacs Or the way they smell that forbidden acrid smell But no I got, I got pink clammy lady in my nostril Her against the wheel me against the wheel Oh slow motion inspection is drivin' me insane In steel next to Dot Hook -- oh we may look the same-- Shoulder to shoulder sweatin' 110 degrees But I will never faint, I will never faint They laugh and they expect me to faint but I will never faint I refuse to lose, I refuse to fall down Because you see it's the monotony that's got to me Every afternoon like the last one Every afternoon like a rerun next to Dot Hook And yeah we look the same Both pumpin' steel, both sweatin' But you know she got nothin' to hide And I got something to hide here called desire I got something to hide here called desire And I will get out of here-- You know the fiery potion is just about to come In my nose is the taste of sugar And I got nothin' to hide here save desire And I'm gonna go, I'm gonna get out of here I'm gonna get out of here, I'm gonna get on that train, I'm gonna go on that train and go to New York City I'm gonna be somebody, I'm gonna get on that train, go to New York City, I'm gonna be so bad I'm gonna be a big star and I will never return, Never return, no, never return, to burn out in this piss factory And I will travel light. Oh, watch me now.
En 1967, dans l'usine de jouets de Philadelphie d'où vient cette chanson, "j'avais toujours les Illuminations sur moi. Parfois je le lisais en français. Bien que ne le comprenant pas, je pigeais la musique...mon contremaître, voyant que c'était un livre bilingue, m'a soupçonnée d'être communiste" (3).
Un an plus tard, plus à l'Est à Saint-Ouen une autre fille, à une autre sortie d'usine, tenait elle aussi à d'autres contremaîtres et/ou militants un discours très gonna get out of there - elle aussi est devenue une grande star introuvable.
L'usine s'appelait Wonder, ce qui, d'une langue à l'autre, veut dire Merveille - de même qu'Illumination, à peu près certainement, était dans l'esprit de Rimbaud un titre anglais signifiant Enluminure - à moins que ce ne soit, au sens de Swedenborg et de l'Illuminisme, un éclair de la pensée, un court-circuit, une syncope, une grève, un coup de revolver...
1) Il déteste Fantin. cf. Jean-Jacques Lefrère, Arthur Rimbaud, p. 417
(2) Récit de Verlaine rapporté par F.A. Cazals et cité par Lefrère, p. 594. Dans une autre version, le poisson est un hareng, dans une autre encore, Rimbaud lui crie de la fenêtre "Eh, Bobonne !"
(3) Patti Smith, entretien, in Robert Shelton, Bob Dylan, sa vie et sa musique, trad. Jacques Vassal, p. 448.