30/06/2010

L'art de la rixe : Carrà

Carlo Carrà - Rissa fra Statue e Modelli / Rixe entre statues et modèles, 1928
Via artistsandart 


Le futurisme, le vorticisme et les mouvements artistiques qui leur sont apparentés se développent dans un tension  entre géométrisme et dislocation/diffraction des objets et des corps. Cette contradiction porte en germe  un retour à des solutions néo-classiques qui s'imposent largement après le premier conflit mondial. Pour Carrà cette transition se double d'une crise personnelle : après avoir lancé des appels bellicistes à la Marinetti, il est envoyé au front en 1917 et y découvre à ses dépens que la guerre n'est pas une hygiène sociale mais une expérience traumatique. Souffrant de grave dépression (ce que nous appellerions aujourd'hui un War PTSD) il se retrouve hospitalisé à Ferrare avec d'autres artistes, dont Chirico et son frère Alberto Savinio. Carrà, qui avait dépassé dès 1916 le style du premier futurisme, ne pourra vraiment recommencer à peindre qu'en 20-21, d'abord dans une veine métaphysique précisément inspirée de Chirico. Il rejoint le mouvement de Valori plastici où on trouve aussi Severini, Morandi, Casorati... et qui témoigne en Italie du retour à l'ordre postfuturiste. Valori plastici est un de ces fascinants carrefours qui donnent aussi bien sur l'esthétique du fascisme Stracittà qui sera celle de Novecento que sur le surréalisme ou la Neue Sachlichkeit.

La rissa, l'émeute est un topos du futurisme - ainsi chez Boccioni et chez Carrà lui-même dans un de ses tableaux les plus connus. On est tenté de voir dans cette rixe statuaire de 1928 une allégorie post festum du combat, constitutif du modernisme, entre fixisme néo-classique et dissolution des formes.

Et pendant ce temps-là...
...ne pas oublier de faire refaire sa carte chez le tampographe...
...et de mauvaises nouvelles des baleines, très mauvaises (via Moby Dick)

29/06/2010

La forme d'une ville : Berlin, vers 1910




"Si on se dirige vers la gare en passant par la Friedrichstrasse, on voit souvent la puissante locomotive d'un express qui flotte en hauteur. Elle se trouve exactement au-dessus du milieu de la rue et appartient à quelque train de grande ligne qui vient de l'ouest ou va vers l'est. Fait-elle sensation dans la foule ? Non, personne ne la regarde. Les cafés, les étalages des vitrines, les femmes, les buffets automatiques, les gros titres des journaux, les enseignes lumineuses, les policiers, les omnibus, les photos de music-hall, les mendiants - toutes ces impressions à hauteur d'homme - accaparent trop l'attention du passant pour qu'il puisse appréhender comme il faut cette apparition qui surgit à l'horizon..." 





"...Les premiers étages de cette rue eux-mêmes s'évanouissent aux regards des citadins : les cariatides des façades n'ont pas de vis-à-vis, les encorbellements pourraient être en carton et les toits disparaissent dans le néant."

Siegfried Kracauer - Une locomotive sur la Friedrichstrasse, in Rues de Berlin et d'ailleurs
trad. Jean-François Boutout, Le Promeneur éd. 1995.





 "Ne pas trouver son chemin dans une ville, ça ne signifie pas grand-chose. Mais s'égarer dans un ville comme on s'égare dans une forêt demande toute un éducation..."





"...Il faut alors que les noms des rues parlent à celui qui s'égare le langage des rameaux secs qui craquent, et les petites rues au coeur de la ville doivent pour lui refléter les heures du jour aussi nettement qu'un vallon de montagne..."



 Berlin - Tiergarten


 "...Cet art, je l'ai tardivement appris; il a exaucé le rêve dont les premières traces furent des labyrinthes sur les buvards de mes cahiers."

Walter Benjamin - Tiergarten
in Enfance berlinoise vers mil neuf cent
trad. Jean Lacoste, Maurice Nadeau éd. 1978.


Berlin - cartes postales coloriées, ca 1910.

28/06/2010

A une passante : Britten/Longfellow/Pearce

 Charles Sprague Pearce - The Woodcutter's Daughter





I know a maiden fair to see,
Take care!
She can both false and friendly be,
Beware! Beware!
Trust her not,
She is fooling thee!

She has two eyes, so soft and brown,
Take care!
She gives a side-glance and looks down,
Beware! Beware!
Trust her not,
She is fooling thee!

Henry Wadsworth Longfellow - Beware!
Musique : Benjamin Britten

Et pendant ce temps-là...
J. D. Salinger chez Tom Sutpen

26/06/2010

Louons maintenant les modèles : Alma


 
Francis Criss - Alma sewing, ca 1935
High museum of art, Atlanta http://www.high.org/


Criss, qui suivit l'enseignement de Jan Matulka à l'Art Students League, est classé parmi les précisionnistes - cette école typiquement américaine qui allie un cubisme tempéré - ou plutôt un géométrisme - à une fascination pour l'architecture industrielle. Influencé par Léger et Chirico, il a produit par la suite des vues urbaines proches du réalisme magique d'un Tooker ou d'un Guglielmi. La peinture des précisionnistes est généralement d'une grande froideur - Criss représente l'exception. Ici, il s'est inscrit dans le globe de la lampe éteinte, façon de signaler, avec la présence du mannequin et du modèle articulé au mur, que ce tableau est une coproduction.

25/06/2010

Ayons congé : Les Filles du Calvaire sont toujours debout



La retraite, c'est pouvoir aller au Cirque d'hiver en été...





...voir la colonne de Juillet en Juin...





...ne pas passer à la trappe...
collectif osez le féminisme





...pouvoir dire "la barbe"...
Groupe d'action féministe "La Barbe"





...écouter de la musique sans se soucier des voisins...








Et, pour ceux qui ont une logique culturelle et sociale un peu de la planète Mars, ou qui n'ont pas la télé et pas de petits-enfants, ou pas la télé et des petits-enfants trop récents, le Shrek Puss in boots, récemment, a grossi.

23/06/2010

Dis maman, c'est encore loin la retraite : Paula Rego

Paula Rego - How many miles to Babylon ? - Nursery Rhymes, 1989




How many miles to Babylon?
Three-score and ten.
Can I get there by candle-light?
Yes, there and back again.
If your heels are nimble and light,
You will get there by candle-light.


Dis, Babylone est encore loin ?
- De toute une vie (1) c'est le chemin !
- Le temps que dure une bougie ?
- Aller-retour, comptes-y bien.
Si tu cours vite une bougie
Pour Babylone te suffit.


(1) En vieil anglais, three-score signifiait trois fois vingt. Three-score and ten, soixante-dix, était une expression pour la durée d'une vie.
The days of our years are threescore years and ten
dit le psaume 90 dans la King James version.  


How many miles est une vieille comptine anglaise qui remonte peut-être aux Croisades - ce qui ne nous rajeunit pas, mais nous avons besoin de vieillir, vous savez, pour la retraite. Un peu de pitié pour la traduction, merci. Et le rendez-vous de la manifestation à Paris, c'est ici - il y aura Jolie môme devant le Cirque d'hiver à 14h.  Et d'autres Paula Rego sur Giornale Nuovo (snif...)


Et pendant ce temps-là...
Ils osent jouer aux boules...

22/06/2010

Transports en commun : Pimenov

Youri Pimenov - Начало любви / Les débuts de l'amour, 1960.


Prenez une image de roman-photo, un arrière-plan khrouchtchévien humide et dépressif, une vitre de bus. Et l'essentiel, ces gouttes de pluie qui sont les larmes du peintre, même si Moscou n'y croit pas. Et vous avez du pur Pimenov, le réalisme socialiste devenu réalisme magique à force de regarder dans le vague en évitant les yeux du censeur. 

Youri Pimenov (1903-1977) a fait partie, comme Deineka, de la Société des peintres de chevalet (1925-1931). D'abord influencé par l'expressionnisme il évolue comme nombre d'artistes vers un réalisme plus tempéré au fur et à mesure de la reprise en main des avant-gardes (dissolution du Vkhoutemas en 30, de la Société des peintres de chevalet en 31, création de l'union des artistes en 32). Il produit alors des panoramas urbains comme la Nouvelle Moscou, son tableau le plus connu, des illustrations et surtout des décors de théâtre. A partir de ce moment, et surtout pendant la période du "dégel" khrouchtchevien ses aquarelles et peintures sont des transpositions poétiques du paysage urbain moscovite et de ses évolutions, à travers des scènes de genre aux couleurs généralement assourdies et aux touches translucides, avec un prédilection pour les reflets, les vitrages et la pluie. C'est le peintre par excellence des années 1960 et de leurs ambigüités.

La technique de Pimenov est plus complexe qu'il n'y paraît à première vue, il incorpore à son réalisme, plus ou moins discrètement, les distorsions et les audaces qu'il ne  s'autorise plus.  Dans Начало любви ci-dessus, le dynamisme des barres métalliques de la vitre du bus rappelle une autre époque de sa production. De même, ses tableaux superposent plusieurs niveaux de sens, mêlant optimisme de surface, mélancolie profonde et même parfois critique grinçante comme dans le célèbre Ожидание (En attente) ou encore de façon plus voilée dans...



Youri Pimenov - Конечная станция / Station terminus, 1955, aquarelle (source).


Passe dans ces scènes de tous les jours le fantôme persistant et timide de l'avant-garde, mais le geste conquérant des années 20 s'est transformé en autocritique de la vie quotidienne.


D'autres Pimenov ici chez Таtiana, ou encore là... 
Le film en lien : Moscou ne croit pas aux larmes, Vladimir Menshov, 1980 - Oscar du meilleur film étranger en 1981.



Et pendant ce temps-là...
Le nouveau plan du métro londonien par Barbara Kruger
La grève de l'entraînement et, au-delà : le footbal à trois côtés (via Espace contre ciment)

21/06/2010

Ayons congé : Berlin/New-York, samedi soir lundi matin


Hans Baluschek - Montag morgen (In der mansarde) / Lundi matin (dans la mansarde), 1898  
Märkisches Museum, Berlin - Source


Trois jeunes femmes, une quatrième dans la pièce voisine, probablement des employées partageant un minuscule appartement, chacune d'entre elles à un stade différent d'une toilette sommaire, ce qui marque la progression - la quatrième est déjà occupée, peut-être travailleuse à domicile. Elles ont fait la fête tout le dimanche et l'ont prolongée pendant la nuit pour ne pas penser au lundi à venir. En témoignent les bouteilles et les verres qui traînent, mais en haut à droite le balancier de la pendule - qu'on voit mieux dans cette autre reproduction - rappelle que va commencer une journée de travail qui était alors de 10 à 11 heures par jour, souvent encore plus pour les femmes.

Baluschek est un réaliste social  lié à la Sécession berlinoise. En 1933 il est classé par les nazis dans l'art dégénéré (Entartete Kunst), interdit de production et cloîtré dans son atelier. Il meurt en 1935.



John Sloan - Return from toil, 1915, eau-forte


Une bande de jeunes ouvrières enfin sorties de leur atelier  new-yorkais, sous l'oeil réprobateur d'un agent de police. Sloan reprend en l'amplifiant la couverture qu'il avait dessinée en Juillet 1913 pour The Masses...





...et qui avait déclenché une controverse : ces filles n'étaient-elles pas trop gaies et pleines de vie pour revenir du bagne, surtout dans un mensuel du parti socialiste ? On l'accusa d'ironiser sur le mot toil.

Ce qui était plutôt un contresens. Sloan est le peintre des moments volés et des éclats de lumière dans les tenements. C'est de Sloan, qui ne fut que brièvement son professeur mais  qui l'influença de bien d'autres manières (1), que Hopper a appris à capter les instants fugitifs à travers de forts contrastes entre ombres et lumières. 

Return from toil est un hymne à la liberté. Les filles de la gravure  sortent très probablement d'une sweat-shop dans ce qui est alors l'industrie new-yorkaise par excellence, la confection, le garment (2). Ce sont ces ouvrières qui ont mené la grande grève des couturières (shirtwaist makers) durant l'automne-hiver de 1909...



 Groupe de grévistes lors de la Shirtwaist strike, janvier 1910
Source : Library of Congress Via Wikimedia Commons



...vingt mille femmes (3) qui se sont battues pendant plusieurs mois pour arracher finalement la semaine de 52 heures, donnant le signal à l'autre grève massive des  cloakmakers l'année suivante et à un mouvement continu de syndicalisation, de hausse des salaires et de réglementation du temps de travail. C'est ce mouvement que symbolisent les ouvrières de Return from toil - précisément sans ouvriérisme, la meilleure preuve étant le débat moralisateur que le dessin déclenche dans la rédaction de The Masses.


Dans la photographie de 1910, sauf la fillette du premier plan et les deux bavardes au second rang, toutes ont l'oeil fixé sur l'objectif - dans tous les sens du terme. Dans les gravures de Sloan, comme dans le tableau de Baluschek, il n'y a pas deux filles qui regardent dans la même direction : chacune à sa joie, mais ensemble - ensemble, mais chacune à sa tristesse. Comme un signe de connivence, un clin d'oeil du samedi soir au lundi matin. Qui nous délivrera des lundis matin ?



(1) Hopper a écrit sur Sloan et s'est inspiré directement de plusieurs de ses oeuvres, notamment gravées, dans les années 1920-1930. A côté de Sloan il faudrait évidemment parler aussi de Meryon que Hopper étudie au Metropolitan à partir de 1917, toujours pendant son détour par la gravure. Il y aurait un parallèle intéressant à faire sur l'utilisation de la lumière en décor urbain chez Meryon, Sloan et Hopper. 


(2) A l'époque première industrie de la ville (35.000 salariés) devant la raffinerie de sucre. Avant la machine à coudre  et la vente sur catalogue, l'industrie s'était construite en fabriquant des vêtements bon marché pour les esclaves du Sud, puis pour les armées de la Fédération.


(3) En grande partie juives, organisées par bataillons entiers dans un Union local qui n'avait au début qu'une centaine de membres. Elles étaient dirigées par une poignée de femmes, mélange de féministes de la première vague et de meneuses ouvrières yiddischophones qui avaient derrière elles l'histoire tumultueuse du Bund. Leur slogan était "tant qu'à mourir de faim, autant que ce soit rapide". Il faut rappeler que Sloan soutenait les féministes - voir son dessin The hee-hee-boys, born with a vote and a partial sense of the ridiculous qui caricature les spectateurs masculins huant un défilé de suffragistes.




Et pendant ce temps-là... 
en savoir plus sur le Triangle fire
New-York toujours : la méthode Burns sur le divan-fumoir

20/06/2010

L'art de la conversation : Friant

Emile Friant - La discussion politique, 1889



Et pendant ce temps-là les statues...

17/06/2010

Le greffe : Klee

Paul Klee - Chat et oiseau, 1928

16/06/2010

Laura Genz : deux ans, un mois et une semaine



"Samedi 4 Juillet 2009 - Infatigables. 429e jour d'occupation par les Sans Papiers. Depuis le vendredi 17 juillet 2009, pour obtenir leur régularisation, les Sans Papiers travailleurs isolés de la Coordination 75 occupent l'ancien CE de la la CPAM désaffecté. Avant cela, du vendredi 2 mai 2008 au mercredi 24 juin 2009, ils ont occupé la Bourse du Travail de la rue Charlot, à Paris. Pendant trois semaines, suite à leur violente expulsion de la Bourse du travail par le SO de la CGT le 24 juin 2009, à coups de matraques et de gaz lacrymogène, les Sans Papiers de la CSP75 s'étaient installés sur le trottoir du boulevard du Temple, le long de la Bourse pendant trois semaines, dans des conditions très difficiles."
Mis en ligne et © par laura genz


Depuis le 7 mai 2008 Laura Genz suit presque jour par jour dans ses dessins les sans-papiers de la Coordination 75. Ils ont occupé la Bourse du travail du 2 mai 2008 au 24 juin 2009. Depuis le 17 juillet 2009, ils vivent dans les locaux de l'ancien CE de la CPAM au 14 rue Baudelique. Les quelque 240 dessins de Laura Genz sont ici.

15/06/2010

L'autre ciel de Paris





No existe esponja para lavar el cielo
pero aunque pudieras enjabonarlo
y luego echarle baldes y baldes de mar
y colgarlo al sol para que se seque
siempre te faltaría el pájaro en silencio

Pour laver le ciel il n'y a pas d'éponge
Et quand bien même - tu aurais beau le savonner
Puis y verser la mer à pleins baquets
Et le pendre au soleil pour le faire sécher
- Y manquerait toujours, silencieux, l'oiseau


Mario Benedetti 14/09/1920 - 17/05/2009 - (première strophe de l') Otro cielo - Autre ciel


La suite du poème, ici

14/06/2010

A une passante : dans la vieille ville

Alphonse Marie de Neuville - Une rue dans la vieille ville, 1873 
Via The ship that flew

13/06/2010

L'art du petit déjeuner : Bang, Ritman


Louis Ritman - Dormitory Breakfast ou Mimi at Breakfast, 1913, Via Бутявка



Il faut dire que la nuit fut courte, car les 12 juin par la fenêtre, tout au bout de la rue, sur les hauts...



Bouquet final du grand feu de St Cloud, 12 juin 2010
Mis en ligne par voirlefeu


Ritman, c'est l'américain un peu trop sage de Giverny. D'autres à Chicago chez R.H. Love.

Et pendant ce temps-là, pour le petit déjeuner, par exemple Le paradis de Dante, chant II


dans la traduction Rivarol, Via le Fil des lectures.


12/06/2010

L'art de la chute : Deineka/Charlebois/Forestier/Prochkine

Alexandre Deineka - Parachutiste au-dessus de la mer, 1934







Victor Prochkine - Parachutistes, 1937




Et pendant ce temps-là...
Les photogrammes d'Anna Atkins chez Venetian Red

11/06/2010

Transports en commun : Schikaneder

Jacob Schikaneder - Tramway à Prague, ca 1910
Via kraftgenie

Et pendant ce temps-là...
Frida Kahlo photographiée par Nicholas Murray
et Capri (Via Mapsorama)

10/06/2010

Portrait craché : Nobody



Auteur inconnu - Titre inconnu (jeune fille au bonnet fleuri), ca 1850, daguerréotype
MetMuseum Via Bygone Years


I’m Nobody! Who are you?
Are you - Nobody - too?
Then there’s a pair of us!
Don’t tell! they’d banish us - you know!

How dreary - to be - Somebody!
How public - like a Frog -
To tell your name - the livelong June
To an admiring Bog!


Emily Dickinson, 1861
Cahier II, n°260


Je ne suis Personne ! Et vous ?
Vous n'êtes - Personne - non plus ?
Eh bien nous faisons la paire !
Mais chut ! on nous chasserait - savez-vous ?

Que c'est affreux - d'être - Quelqu'un !
Vulgairement - comme Grenouille -
Clamer son nom - pendant tout Juin -
A l'ébahissement d'une Mare !


09/06/2010

L'art du petit déjeuner : Redon et l'inconnu

Odilon Redon - L'oeuf, 1885



Artiste inconnu  - Nature morte  (France, XIXème s.)

08/06/2010

Le Cygne et le Papillon

 Le Parisien - Hauts-de-Seine matin, 3 juin 2010


 Ile Seguin vue de l'amont, état en 2005


Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L’immense majesté de vos douleurs de veuve,

 
 


 La Seine le long de l'Ile Seguin, 2010



Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.




 Nouveau jardin de l'Ile Seguin, ouvert au public le 6 juin 2010

 
Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville
Change plus vite, hélas! que le cœur d’un mortel) ;

Je ne vois qu’en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,





 Billancourt - Nouveau quartier du trapèze Renault, Tour Horizon (Ateliers Jean Nouvel) 
en construction - au fond, les tours General Electric, vides et en cours de rénovation

 
Les herbes, les gros blocs verdis par l’eau des flaques,
Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.




Billancourt - Place Nationale, porte conservée des Usines Renault - derrière, le terrain vague



Là s'étalait jadis une ménagerie;




 Billancourt - Nouveau quartier du trapèze Renault, à gauche immeuble Aurelium


Là je vis, un matin, à l’heure où sous les cieux
Froids et clairs le Travail s’éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l’air silencieux,






Association des Anciens Travailleurs de Renault Billancourt Ile Seguin
Mis en ligne par demaintv



Un cygne qui s’était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d’un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec




 Nouveau jardin de l'île Seguin, inauguré le 6 juin 2010 par un lâcher de papillons - papillon sur ciment



Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le cœur plein de son beau lac natal :
«Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ?»
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,





 Billancourt - Nouveau quartier du trapèze Renault, immeuble La Factory

  

Vers le ciel quelquefois, comme l’homme d’Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,
Comme s’il adressait des reproches à Dieu !





 Billancourt, rue Yves-Kermen - Panneaux d'information et immeuble La Factory



Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.




Billancourt, Place Nationale - petit marché et rendez-vous quotidien des anciens travailleurs
 

Aussi devant ce Louvre une image m’opprime :
Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exilés, ridicule et sublime,
Et rongé d’un désir sans trêve ! 







                                                    et puis à vous,
Andromaque, des bras d’un grand époux tombée,
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d’un tombeau vide en extase courbée ;
Veuve d’Hector, hélas ! et femme d’Hélénus !




 Billancourt, Rue Yves-Kermen - panneaux commémoratifs

 

Je pense à la négresse, amaigrie et phthisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l’œil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard ;





Billancourt - Terrains vagues et constructions sur le trapèze Renault
  


À quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais ! à ceux qui s’abreuvent de pleurs
Et tettent la Douleur comme une bonne louve !
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs !





 Nouveau jardin de l'Ile Seguin



Ainsi dans la forêt où mon esprit s’exile
Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor !





 Nouveau jardin de l'Ile Seguin - extrémité aval



Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus !… à bien d’autres encor !


Charles Baudelaire - Le Cygne