04/04/2014

Célébrations : MD


Marguerite Germaine Marie Donnadieu, dite Marguerite Duras (4 avril 1914 - 3 mars 1996)


Ce n’est plus la peine de nous faire le cinéma de l’espoir socialiste. De l’espoir capitaliste. Plus la peine de nous faire celui d’une justice à venir, sociale, fiscale, ou autre. Celui du travail. Du Mérite. Celui des femmes. Des jeunes. Des Portugais. Des Maliens. Des intellectuels. Des Sénégalais.

Plus la peine de nous faire le cinéma de la peur. De la révolution. De la dictature du prolétariat. De la liberté. De vos épouvantails. De l’amour. Plus la peine.

Plus la peine de nous faire le cinéma du cinéma.
On croit plus rien. On croit. Joie : on croit : plus rien.
On croit plus rien.
Plus la peine de faire votre cinéma. Plus la peine. Il faut faire le cinéma de la connaissance de ça  : plus la peine.
Que le cinéma aille à sa perte, c’est le seul cinéma.
Que le monde aille à sa perte, qu’il aille à sa perte, c’est la seule politique. 

Marguerite Duras - Le Camion, premier projet écrit au cours d'un entretien avec Michelle Porte, 1977


2014 n'est pas seulement l'année Cortazar, c'est aussi, pour le meilleur et pour le pire, l'année MD. On va rejouer MD, reprojeter (peut-être...) MD, relouanger, se ressouvenir que ce qu'il y a d'encore un peu vivant dans la littérature franco-hexagonale, ici ou , tient en bonne partie au legs de MD.

Et donc, et bien que je ne l'aie rencontrée que deux ou trois fois dans ma vie, je voudrais mêler ma voix au concert - au nom de tous ceux nombreux dans ma génération qui n'ont rien publié, rien filmé, rien monté sur les planches mais qui un jour ou l'autre ont dû à MD quelque chose de précieux. Lui ont dû leur sécurité pour un temps, leur survie aléatoire, leur liberté d'expression, leur simple droit d'ouvrir leur gueule dans un Paris dont on n'imagine pas à quel point il était encore plus policier qu'aujourd'hui.

Marguerite hôtesse. Car dans ces années-là rares étaient les portes qui s'ouvraient à un déserteur ou à un insoumis, même pour quelques heures, qui soient des portes sûres - c'est-à-dire dont on savait que la police ne les franchirait pas. On ne pouvait pas tous aller chez Sartre. On allait donc au 5 rue Saint-Benoît. MD ouvrait la porte, rameutait la bande, on abritait quelqu'un, on organisait une conférence de presse. On avait certes des rapports utilitaires, et elle nous regardait du coin de l'oeil en rigolant...

Héhé, les petits jeunes.

Sans trop se faire de souci, elle qui avait connu de tout autres risques.

Voilà. Plus tard, ce fut au tour des copines. Déjà les copines taraudaient de l'intérieur notre minibolchevisme autoritaire, les copines allaient boire le thé rue St Benoît. C'était l'époque du Camion et du texte bien connu que j'ai mis en exergue, qui correspondait si bien à ce que nous pensions à l'époque et qui correspond si bien, mais d'une autre façon, à ce que nous vivons aujourd'hui. Les copines revenaient, annonçaient avec fierté 

- Marguerite nous écoute, on luit dit doukonvien, oukonva, cekonpense, elle écoute, Marguerite

nous les garçons, on était jaloux, pensez-vous.
Héhé, les petits jeunes.

C'était Marguerite-magnétophone, cela ressortirait plus tard, ou pas, dans cette fabuleuse bande-son, de cette voix-off qui est comme la vieille voix de notre jeunesse, et qui nous manque tant aujourd'hui que nous sommes devenus vieux.




Marguerite Duras - Aurelia Steiner (Melbourne), 1979
Mis en ligne par Collectif Jeune Cinéma

1 commentaire:

Patricia a dit…

Bel hommage à Marguerite qui le mérite, tant pour qui elle fut que pour ses livres.
Que de beaux souvenirs pour vous après ces rencontres avec elle.