05/12/2011

Célébrations : Malaquais





Publication de la première biographie de Jean Malaquais (Vladimir Jan Pavel Malacki selon les prénoms qu'il s'était lui-même donnés, ou Israël Pinkus Malacki conformément à son certificat de naissance) 1908-1998, juif polonais fils d'un professeur de latin-grec, émigré à 17 ans, vendant son album de timbres à Constantza (Roumanie) pour gagner Istanbul, la Palestine, l'Egypte et Marseille en 1926, terrassier dans le Cantal, poseur de câbles sur le chantier du chemin de fer Paris-Orléans, poète, brûleur de dur, parisien, marxiste antistalinien proche, par son ami Marc Chirik, de la Gauche Italienne d'Amadeo Bordiga, Onorato Damen et leurs continuateurs, mineur de plomb et d'argent à la Londe-les-Maures, travaillant à la plonge sur un bateau pour l'Afrique, gréviste et mis aux fers sur ce même bateau, en prison à Dakar, envoyé à fond de cale à Casablanca, mineur de phosphate au Maroc et probablement à Gafsa, Tunisie, mineur aussi dans le Nord de la France, garagiste à Sisteron, représentant de commerce en vis platinées, comptable à Lyon, ultragauche (1) toujours, écrivain plus encore, joueur d'échecs professionnel, partant en 35 vers l'Ethiopie "pour casser la gueule à l'armée italienne", s'arrêtant à Lisbonne, y faisant pour vivre le mur de la mort à motocyclette dans un parc d'attraction, retournant en France, de nouveau garagiste, de nouveau comptable et toujours sans-papiers, débardeur aux Halles le matin, lecteur à Sainte-Geneviève le soir, y trouvant par hasard dans la NRF un article de Gide où ce dernier se plaint comme d'une "infériorité - de n'avoir jamais eu à gagner mon pain, de n'avoir jamais travaillé dans la gêne", écrivant immédiatement à Gide, aux bons soins d'un journal, pour l'engueuler vertement de la part de tous ces êtres supérieurs qui gagnent leur pain dans la gêne, recevant en réponse un mot d'excuse et un mandat de 100 francs, renvoyant le mandat déchiré avec une nouvelle lettre d'engueulade, invité par Gide rue Vaneau, devenant son ami et correspondant régulier, partant se battre en Espagne en 36, contactant le POUM, déçu par le POUM, retourné en France, de nouveau ouvrier, écrivain toujours, publié cette fois, d'abord pour une nouvelle, puis son roman Les Javanais qui paraît en feuilleton dans le Peuple, journal de la CGT, et chez Denoël en 1939, félicité sur onze pages de long par Léon Trotsky, mobilisé en septembre 39, terrassier à nouveau dans un régiment de pionniers, prix Renaudot pendant ce temps-là, dans la déroute de 40 réussissant à s'enfuir pour Paris puis, grâce à un lecteur des Javanais, à se faire faire des papiers au nom de Malaquais, fuyant de nouveau le statut des juifs, réfugié à Marseille, tentant comme d'autres la filière Varian Fry, échouant à partir, toujours ultragauche mais toujours non enrégimenté, esquivant au quotidien les rafles et la chasse aux juifs, trouvant du travail au Fruit mordoré (dit aussi Croquefruits), la coopérative de Sylvain Itkine, ne pouvant s'empêcher d'y faire grève contre l'accélération des cadences de production, finissant par obtenir un visa mexicain grâce à Gilberto Bosques, débarquant en 1943 chez la sœur de Frida Kahlo, écrivant Planète sans visa, poète encore, insultant Aragon à plus juste raison que Benjamin Péret, se brouillant avec Victor Serge, à New-York en 1945, de retour à Paris en 1946, encore et toujours ultragauche, se voyant refuser la nationalité française, ainsi apostrophé par un employé de mairie alors qu'il faisait la queue pour une carte d'alimentation : "ces étrangers qui viennent manger notre pain (2)..."


Pour la suite, lisez le livre de Geneviève Nakach, et lisez Malaquais, c'est revigorant, en commençant par Les javanais, Planète sans visa, le Journal de guerre suivi du journal du métèque et, après, Le gaffeur.

Et sur Malaquais on peut lire aussi ce qu'en a écrit Philippe Bourrinet et tout ce qu'on peut trouver sur la Planète Malaquais - ainsi que l'histoire du Brûleur de loups, chez Alain Paire.



(1) Il serait plus exact de parler de Gauche Communiste, mais c'est le terme d'Ultragauche qui a été popularisé. Voir p. ex. Christophe Bourseiller, Histoire générale de l'ultra-gauche, Denoël éd. 2003, et pour une bonne critique de ce dernier ouvrage, Loren Goldner, Note sur l'Histoire générale de l'ultragauche de Christophe Bourseiller.

(2) Geneviève Nakach, Malaquais rebelle, Cherche-Midi éd. 2011, p. 216.



Et pendant ce temps-là...
...Mnie nravitsia - Il me plaît, poème de Marina Tsvétaiéva, musique de Mikaël Tariverdiev, chanté par Lisa, (via Stengazeta) 

1 commentaire:

alain paire a dit…

Sincèrement bravo et merci pour cette lecture, A.P