30/04/2022

Ronde de nuit : ayons congé


Gerard Valck - Fille endormie avec un travail d'aiguille sur ses genoux ou La servante endormie, d'après Michiel van Musscher
Mezzotinte
Source

 
 
Cette gravure ouvre le chapitre I  - À la recherche du sommeil perdu, dormir à l'époque pré-industrielle dans les îles britanniques (et dans le reste du monde occidental) - de l'excellent ouvrage de Roger Ekirch, La grande transformation du sommeil, comment la révolution industrielle a bouleversé nos nuits, éd. Amsterdam 2021.

28/04/2022

Le greffe : Janine Niépce


Janine Niépce - Le chat de la concierge, rue de Tournon, Paris, 1957
 

26/04/2022

Une histoire de la technique (du coup d'état), #2 : La nuit des imprimeurs

 

D. Vierge - Les compositeurs de l'Imprimerie nationale
 Ill. pour Victor Hugo, Histoire d'un crime

 

Le capitaine La Roche d’Oisy apportait une lettre du ministre de la guerre qui le mettait, lui et sa troupe, à la disposition du directeur de l’Imprimerie nationale. On chargea les armes sans dire une parole, on posa des factionnaires dans les ateliers, dans les corridors, aux portes, aux fenêtres, partout, deux à la porte de la rue. Le capitaine demanda quelle consigne il devait donner aux soldats. – Rien de plus simple, dit l’homme qui était venu dans le fiacre ; quiconque essaiera de sortir ou d’ouvrir une croisée, fusillé.

Cet homme, qui était en effet M. de Béville, officier d’ordonnance de M. Bonaparte, se retira avec le directeur dans le grand cabinet du premier étage, pièce solitaire qui donne sur le jardin ; là il communiqua au directeur ce qu’il apportait, le décret de dissolution de l’Assemblée, l’appel à l’armée, l’appel au peuple, le décret de convocation des électeurs ; plus la proclamation du préfet Maupas et sa lettre aux commissaires de police. Les quatre premières pièces étaient entièrement écrites de la main du président. On y remarquait çà et là quelques ratures.

Les ouvriers attendaient. On plaça chacun d’eux entre deux gendarmes, avec défense de prononcer une parole, puis on distribua dans l’atelier les pièces à imprimer, coupées en très petits morceaux de façon que pas un ouvrier ne pût lire une phrase entière. Le directeur déclara qu’il leur donnait une heure pour imprimer le tout. Les divers tronçons furent rapportés ensuite au colonel Béville qui les rapprocha et corrigea les épreuves. Le tirage se fit avec les mêmes précautions, chaque presse entre deux soldats. Quelque diligence qu’on y mît, ce travail dura deux heures, les gendarmes surveillant les ouvriers, Béville surveillant Saint-Georges (1)

Victor Hugo - Histoire d'un crime

 
Fin de la seconde République, reprise et enrichissement d'une méthode éprouvée.

1 - Toile de fond : crise politique. Une Assemblée majoritairement monarchiste refuse de modifier la Constitution pour rendre rééligible le Président, Louis-Napoléon Bonaparte.
 
2 - Objectif : Un sauveur suprême, une Constitution plus autoritaire, une République consulaire fondée sur le plébiscite, et qui se transforme rapidement en Second Empire.
 
3 - Moyens : Un coup de force militaire et policier. Et de nouveau un plébiscite sous l'emprise de la répression (et même, ici, de la terreur).
 
Principale différence avec Brumaire : on ne passe pas par l'Assemblée, on s'en passe.
 
 
 

 
 
Autre différence : préparation plus minutieuse. On donne même à l'opération un nom de code : ce sera Rubicon
 
Et on affiche.
 
 
 E. Bayard - Les affiches du coup d'état, ill. pour Vicor Hugo, Histoire d'un crime
 
 
D. Vierge - Violation de l'Assemblée nationale, ill. pour Victor Hugo, Histoire d'un crime
 
 

Pendant qu’Adelswœrd parlait, le chef de bataillon commandant la gendarmerie mobile était entré.

— Messieurs, dit-il, j’ai ordre de vous inviter à vous retirer, et si vous ne vous retirez pas, de vous expulser.

— L’ordre de nous expulser ! s’écria Adelswœrd ; et tous les représentants ajoutèrent : L’ordre de qui ? Voyons l’ordre ! Qui a signé l’ordre ?

Le commandant tira un papier et le déplia. A peine l’eut-il déplié qu’il fit un mouvement pour le remettre dans sa poche ; mais le général Laidet s’était jeté sur lui et lui avait saisi le bras. Plusieurs représentants se penchèrent, et on lut l’ordre d’expulsion de l’Assemblée, signé FORTOUL, ministre de la marine.

Marc Dufraisse se tourna vers les gendarmes mobiles et leur cria :

— Soldats ! votre seule présence ici est une forfaiture. Sortez !

Les soldats semblaient indécis. Mais tout à coup une seconde colonne déboucha par la porte de droite, et, sur un geste du commandant, le capitaine cria :

— En avant ! F…..-les tous dehors ! 

 

Reprise, on l'aura noté, du "foutez-moi tout ce monde-là dehors" proféré par Murat le 19 brumaire.

 

Alors commença on ne sait quelle lutte corps à corps entre les gendarmes et les législateurs. Les soldats, le fusil au poing, entrèrent dans les bancs du sénat. Repellin, Chanay, Rantion furent violemment arrachés de leurs sièges. Deux gendarmes se ruèrent sur Marc Dufraisse, deux sur Gambon. Ils se débattirent longtemps au premier banc de droite, à la place même où avaient coutume de siéger MM. Odilon Barrot et Abbatucci. Paulin Durieu résista à la violence par la force ; il fallut trois hommes pour le détacher de son banc. Monet fut renversé sur la banquette des commissaires. Ils saisirent d’Adelswœrd à la gorge, et le jetèrent hors de sa stalle. Richardet, infirme, fut culbuté et brutalisé. Quelques-uns furent touchés par la pointe des bayonnettes ; presque tous eurent leurs vêtements déchirés.

Le commandant criait aux soldats : Faites le râteau ! Ce fut ainsi que soixante représentants du peuple furent pris au collet par le coup d’État et chassés de leurs sièges. La voie de fait compléta la trahison. L’acte matériel fut digne de l’acte moral. 

Victor Hugo - Histoire d'un crime

 

Les représentants du peuple se replient sur la mairie du Xème arrondissement où ils finissent, tout royalistes qu'ils sont en grande majorité, par décider de défendre la République...



Victor Hugo - Histoire d'un crime, Éd. Hetzel, 1883

 
...et à la sortie, la troupe les attend, les enfourne en fourgons cellulaire...
 
 
 
E. Bayard - ill. pour Victor Hugo, Histoire d'un crime
 
 
 
...et les amène à la prison de Mazas.


Enfin, troisième différence avec Brumaire : la suite est nettement plus violente.
 
 
 
2 décembre 1852 : La police recherche des armes
The illustrated London news
 
 
Très violente même, par endroits.
 

E. Bayard - Ill. pour Victor Hugo, Histoire d'un crime



Victor Hugo - Histoire d'un crime, Éd. Hetzel, 1883



E. Bayard - La charge contre les bonnes d'enfants, 3ème journée 
Ill. pour Victor Hugo, Histoire d'un crime
 
 
 
 
 
  
 


H. Scott - Ill. pour Victor Hugo, Histoire d'un crime
 

 
Moins meurtrière que les journées de Juin (où Victor Hugo était de l'autre côté de la barricade, il l'a raconté dans Choses Vues). Mais quand même, de l'ordre du millier de morts à Paris. Puis l'état de siège, 26.000 arrestations, six mille déportations en Algérie.
 
Et l'écriture de deux classiques, de deux points de vue différents.

 
 
Karl Marx - Le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte 
1ère édition in Die Revolution, Joseph Weydemeyer éd., New York, Mai 1852
 
 
 
 
Victor Hugo - Histoire d'un crime, 1877-1878
 
 
 
Et bien entendu il y eut un référendum, pardon, un plébiscite. À la question Le Peuple français veut le maintien de l'autorité de Louis Napoléon Bonaparte, et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une constitution sur les bases proposées dans sa proclamation du
 

 
 
 
(À suivre)

"On peut s'attendre à tout, d'un pays qui a été sauvé trop de fois"

Curzio Malaparte
 
 
 
(1) Jean-Baptiste Vernoy de Saint-Georges, directeur de l'Imprimerie nationale. Progrès dans la brutalité : en 1799, Il avait suffi d'installer Antoine Roederer, le fils d'un des conjurés, dans une petite pièce discrète de l'imprimeur Demonville où il avait préparé au soir du 16 brumaire les proclamations affichées le 18.
 

24/04/2022

L'art de la fenêtre : passer son second tour (hommage légèrement plagiaire à Milène Tournier)


Milène Tournier - Je t'aime comme une fenêtre 
Mis en ligne par Milène Tournier
 
 
 

Je t'aime comme une fenêtre

Je t'aime comme on sortirait de l'isoloir par une fenêtre

Je t'aime comme on ne vote pas pour le pire ni pour le moins pire ni pour le pire du moins

Je t'aime comme on pourrait voter pour le meilleur

Je t'aime comme on pourrait avoir le meilleur sans voter

Je t'aime comme je m'en foutais de voter pour des gens qui obtenaient 0,78 pour cent des suffrages exprimés mais c'était il y a longtemps et qu'on pensait qu'on pouvait avoir le meilleur sans voter mais qu'on votait quand même, par goût du paradoxe

Je t'aime comme un paradoxe

Je t'aime comme une marge d'erreur

Je t'aime comme une télévision qu'on éteint à 20h tous les cinq ans

Je t'aime comme on répond n'importe quoi à un sondage d'opinion politique

Je t'aime comme on fait un sondage d'opinion politique, c'est-à-dire n'importe comment

Je t'aime comme une dette publique, c'est-à-dire beaucoup

Je t'aime comme une banque centrale et ta générosité est sans limite

Je t'aime comme l'Union Européenne si elle était aussi africaine, américaine et asiatique, un peu Pacifique aussi, sans oublier les pôles

Je t'aime comme le Pôle sud

Je vote pour le Pôle sud

Pour un Pôle sud d'une blancheur éclatante

 

Casimir Malévitch - Composition suprématiste : blanc sur blanc, 1918

Museum of Modern Art, New York

 

Sur un papier d'une blancheur éclatante

Et, Seigneur, peu importe que tu n'existes pas

Mais délivre nous du mal

Et du pire

Et aussi du moins pire

 

Alphonse Allais - Album primo-avrilesque, 1897

 

Je t'aime comme un soupir sortant de l'isoloir, immaculé, dans une enveloppe bleu ciel

Je t'aime comme une page blanche sur laquelle on écrira quelque chose plus tard

Comme on sort d'un isoloir

Comme on ouvre une fenêtre

Je t'aime comme une fenêtre.




 

 

 

 


 

 

 


23/04/2022

Une histoire de la technique (du coup d'état), #1 : Le jour de la dentelaire


 

Julian Jackson, dans sa biographie de de Gaulle (1), ouvre son chapitre 18, le 18 brumaire de Charles de Gaulle, par ces mots :

C’est Kaputt, le roman de Curzio Malaparte traduit en français en 1946, qui figure dans la bibliothèque de Colombey et non le texte le plus célèbre de l’écrivain italien, Technique du coup d’État, paru en français en 1931. À l’époque, Malaparte, ancien partisan déçu de Mussolini, vit en exil à Paris. Il analyse dans Technique du coup d’État les mécanismes des putschs en partant de quelques cas : les prises de pouvoir de Lénine, Mussolini, Primo de Rivera en Espagne et Pilsudski en Pologne. À titre de contre-exemple, Malaparte étudie l’échec du putsch de Kapp en Allemagne en 1920. Pour Malaparte, le 18 Brumaire, date de la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte comme Premier consul en 1799, est le modèle du coup d’État moderne1. Il constitue « la greffe parfaite de la violence révolutionnaire sur la légalité constitutionnelle ». Le fait que Technique du coup d’État soit absent de la bibliothèque de La Boisserie n’est pas significatif car les livres que de Gaulle possédait avant guerre ont disparu lors du pillage de sa maison. Il est peu probable que de Gaulle n’ait pas lu un livre qui avait connu un si grand succès.

  

Je retrouve ce passage après avoir lu...

 

 

Éd. du Lombard, 2022


...cette excellente bd historique sur le 13 mai 1958, dont l'étude devrait être rendue obligatoire dans les collèges pour nos chères têtes blondes, brunes, rousses, voire rasées à crête d'Iroquois.

Mme Chat, dans le fond : Tu sais, ça ne se fait plus trop, les crêtes d'Iroquois.

M. Chat, véhément - Mais les coups d'état, si ! Les coups d'état sont de tout temps, indémodables ! Donc une association. 13 mai, coup d'état, Malaparte, je vérifie dans le Jackson et voilà, paf, le court-circuit. Non, je ne délire pas. (Il se calme quelque peu) Et même si je délirais, hein ?

Par ces temps de campagne électorale sourde, à bas bruit - et légèrement menaçante, ne trouvez-vous pas ? - pourquoi ne pas s'intéresser au fond de cageot de la démocratie en temps de crise, à ce qui pourrait crépiter doucement, là-bas au loin dans un ciel d'orage, bref, à l'éventuellement-redoutable. Sans compter que c'est un leitmotiv historique de notre cher et vieux pays.

Si, si, vous savez bien. 18 brumaire an VIII, 2 décembre 1851, 10 juillet 1940, 13 mai 1958. Les claps de fin de quatre Républiques.

Premier épisode donc, première République qui se conclut...


James Gillray - Caricature de l'entrée de Bonaparte au Conseil des Cinq-cents à Saint-Cloud le 19 Brumaire 
Estampe

 

...par les 18 et 19 Brumaire. Pas exactement comme ci-dessus, Gillray force un peu la note anti-froggies avec ses grenadiers simiesques et ses parlementaires froussards.

Mais ça ne s'était pas non plus passé tout à fait comme dans ce fameux tableau, bien postérieur aux faits...


François Bouchot - Le général Bonaparte au Conseil des Cinq-Cents à Saint-Cloud, 10 novembre 1799, 1840
Musée du Château de Versailles

...car les Cinq-Cents, surtout les jacobins, ne se sont pas laissé faire. Et surtout Bonaparte s'est montré bien moins roide que sur cette image. Il avait failli se trouver mal au milieu des parlementaires et avait dû être exfiltré d'urgence par Murat, Lefebvre et quelques grenadiers. Sortant de la salle, couvert de sueur et se griffant le visage, il avait stupéfié Sieyès, autre chef de la conspiration mais pas du tout militaire, en l'appelant "général..."

 

L'octidi 18 brumaire, dans le calendrier républicain, c'est le jour...



 

...de la Dentelaire...



...que vous connaissez sous le nom courant de plumbago. Elle était censée guérir des maux de dents, de la gale, de la dysenterie, du saturnisme, bref d'à peu près tout. Un végétal sauveur suprême, en quelque sorte, comme certains généraux.

Revenons-y donc. En fait c'est son grand frère, Lucien Bonaparte, président des Cinq-Cents, qui a sauvé la mise du général putschiste en s'adressant vigoureusement aux troupes, pour rétablir la situation. Et Murat a envahi l'Orangerie de Saint-Cloud à la tête de ses soldats, en criant performativement aux Cinq-Cents "citoyens, vous êtes dissous". Et en ajoutant "foutez-moi tout ce monde-là dehors". Là on retrouve un peu Gillray, d'ailleurs.


Jacques Sablet - Le 19 Brumaire


Mais c'est encore Lucien qu'on voit à la tribune sur le tableau de Sablet, bien plus réaliste : un coup d'état parlementaire, voilà, c'est exactement comme ça.
 
Au soir du même jour, dans la même salle de l'Orangerie. À la lueur des lanternes, les trois futurs Consuls - Bonaparte, Ducos et Sieyès - sagement assis au centre, attendent d'être finalement nommés. Lucien a fait ramasser les quelques Cinq-Cents dociles qu'on a pu retrouver - on ne sait pas combien, on n'a gardé ni compte-rendu ni feuille de présence pour constater le quorum. On leur a fait dissoudre le Directoire, nommer les trois Consuls et approuver une Constitution provisoire. Au passage et pour bien faire, soixante-deux membres des Conseils en ont été officiellement virés. Le Coup d'État est fait, on peut passer à l'affichage.
 
 
 

 
Et Malaparte de conclure : "en dépit de ses erreurs de conception et d'exécution, le 18 brumaire reste le modèle du coup d'état parlementaire". 
 
Bien. Synthétisons, comme un consultant sur un paperboard. Le schéma princeps du coup d'état parlementaire français.

1 - Toile de fond : crise politique. Une Chambre Basse de plus en plus jacobine malgré toutes les digues élevées par la constitution de l'an III, en face d'un Directoire divisé.
 
2 - Objectif : Un sauveur suprême, une Constitution plus autoritaire, un exécutif plus ramassé - on passe de cinq à trois,  en fait un seul : le Premier Consul, le sauveur en question.
 
3 - Moyens : Une conspiration jacobine imaginaire pour faire peur. Le soutien actif de l'armée - et de la police (Fouché). Une ratification, un peu bâclée, par les deux Chambres. Et un plébiscite arrangé, bien sûr.
 
 
Auguste Couder - Installation du Conseil d'État au palais du Petit-Luxembourg, le 25 décembre 1799, 1856
(Les trois consuls Bonaparte, Cambacérès et Lebrun recevant les serments des présidents)
Collection du Conseil d'État, Paris
 
 
(À suivre)

"On peut s'attendre à tout, d'un pays qui a été sauvé trop de fois"

Curzio Malaparte

 



09/04/2022

Ronde de nuit : soir de rafle

 

H. Scott - Les fiacres devant la préfecture de police, Ill. pour Victor Hugo - Histoire d'un crime, éd. Hugues de 1879

 

 

Cependant, un autre mystère s’accomplissait à la préfecture de police.

Les habitants attardés de la Cité qui rentraient chez eux à une heure avancée de la nuit, remarquaient un grand nombre de fiacres arrêtés sur divers points, par groupes épars, aux alentours de la rue de Jérusalem.

Dés la veille, à onze heures du soir, on avait consigné dans l’intérieur de la préfecture, sous prétexte de l’arrivée des réfugiés de Gênes et de Londres à Paris, les brigades de sûreté et les huit cents sergents de ville. A trois heures du matin, un ordre de convocation avait été envoyé à domicile aux quarante-huit commissaires de police de Paris et de la banlieue et aux officiers de paix. Une heure après, tous arrivaient. On les fit entrer dans des chambres séparées et on les isola les uns des autres le plus possible.

A cinq heures, des coups de sonnette partirent du cabinet du préfet ; le préfet Maupas appela les commissaires de police l’un après l’autre dans son cabinet, leur révéla le projet, et leur distribua à chacun sa part du crime. Aucun ne refusa ; quelques-uns remercièrent.

Il s’agissait de saisir chez eux soixante-huit démocrates influents dans leurs quartiers et redoutés par l’Elysée comme chefs possibles de barricades. Il fallait, attentat plus audacieux encore, arrêter dans leur maison seize représentants du peuple. On choisit pour cette dernière tâche, parmi les commissaires de police, ceux de ces magistrats qui parurent les plus aptes à devenir des bandits. On partagea à ceux-ci les représentants. Chacun eut le sien. Le sieur Courteille eut Charras, le sieur Desgranges eut Nadaud, le sieur Hubaut aîné eut M. Thiers et le sieur Hubaut jeune le général Bedeau. On donna le général Changarnier à Leras et le général Cavaignac à Colin. Le sieur Dourlens eut le représentant Valentin, le sieur Benoist le représentant Miot, le sieur Allard le représentant Cholat. Le sieur Barlet eut M. Roger (du Nord) ; le général Lamoricière échut au commissaire Blanchet. Le commissaire Gronfier eut le représentant Greppo et le commissaire Boudrot le représentant Lagrange. On distribua aussi les questeurs : M. Baze au sieur Primorin, et le général Le Flô au sieur Bertoglio.

Des mandats d’amener avec les noms des représentants avaient été dressés dans le cabinet même du préfet. On n’avait laissé en blanc que les noms des commissaires. On les remplit au moment du départ. Outre la force armée qui devait les assister, on régla que chaque commissaire serait accompagné de deux escouades, l’une de sergents de ville, l’autre d’agents en bourgeois. Ainsi que le préfet Maupas l’avait dit à M. Bonaparte, le capitaine de la garde républicaine Baudinet fut adjoint au commissaire Leras pour l’arrestation du général Changarnier.

Vers cinq heures et demie, on fit approcher les fiacres préparés qui attendaient, et tous partirent, chacun avec ses instructions. 

 Victor Hugo - Histoire d'un crime, 1877 

(Première journée : le guet-apens)


Et, à propos de la préfecture de police et de la rue de Jérusalem, déjà.

05/04/2022

Poésie illustrée : les vacances du bestiaire

 

Milène Tournier - J'ai marché 20 kilomètres au milieu des vaches sans mouche du salon de l'agriculture, 6 mars 2022
Mis en ligne par Milene Tournier
 
 
Et de Milène Tournier, déjà

01/04/2022

Le bar du coin : trio


Serafino Macchiati - Paul Verlaine, Bibi la Purée et Stéphane Mallarmé au café Procope, 1890

Huile sur toile

Via amare-habeo