29/12/2025

Un florilège de fin d'année : l’écho qu’elle laissait derrière elle faisait songer au temps qui s’écoule

 

 


 

C’était le vingt-neuf décembre. Oki se rendait à Kyôto pour y entendre les cloches de fin d’année. 
 
Depuis combien d’années, la veille du jour de l’An, Oki avait-il pris l’habitude d’écouter, retransmis par la radio, le carillon des cloches annonçant le passage d’une année à l’autre ? Depuis quand cette émission existait-elle ? Oki, probablement, n’avait jamais manqué de l’écouter, ainsi que les commentaires des speakers qui présentaient, les unes après les autres, les célèbres cloches des vieux monastères disséminés à travers le pays. Comme l’année révolue allait céder sa place à l’année nouvelle, les présentateurs étaient enclins dans leurs commentaires à prononcer de belles phrases sur un ton de déclamation. Marquant de longs temps d’arrêt, la vieille cloche d’un monastère bouddhique sonnait, et l’écho qu’elle laissait derrière elle faisait songer au temps qui s’écoule et incarne l’âme du vieux Japon. Aux cloches des monastères situés dans le nord du pays succédaient les cloches de Kyûshû, mais chaque veille du jour de l’An s’achevait avec les cloches des monastères de Kyôto. Les monastères étaient si nombreux à Kyôto que la radio diffusait parfois les sons mêlés de cloches innombrables.
 
 

 

Le soir du nouvel an, à minuit, les cloches des monastères bouddhistes du Japon sonnent 108 coups (1) pour purifier le cœur des fidèles des 108 désirs qui causent la souffrance humaine. Cela dit, ce n'est pas parce que l'on aime écouter les carillons qu'on est forcément libéré des 108 variations des Kleshas - surtout si on profite du voyage pour ranimer un amour de jeunesse. C'est ce que va vérifier Oki Toshio à la fin du roman. Vous êtes prévenus : le temps qui s'écoule ne revient pas - il faut en croire les romanciers, ce sont des experts en funestes penchants.


Au même moment, sa femme et sa fille confectionnaient dans la cuisine divers mets pour fêter le Nouvel An, mettaient un peu d’ordre dans la maison, préparaient leurs kimonos ou arrangeaient des fleurs et tandis qu’elles vaquaient à leurs occupations, Oki s’asseyait dans le salon et écoutait la radio. Pendant que les cloches sonnaient, il jetait, non sans émotion, un regard en arrière sur l’année qui se terminait. Selon les années, l’émotion qu’il éprouvait se révélait violente ou douloureuse. Parfois, le regret et la tristesse le déchiraient. Mais le tintement des cloches trouvait toujours un écho dans son cœur, même lorsque la sentimentalité qu’il discernait dans les propos comme dans la voix des speakers le dégoûtait. Et c’est pourquoi l’idée de se rendre à Kyôto un trente et un décembre afin d’y écouter directement, et non plus par l’intermédiaire de la radio, les cloches des vieux monastères le tentait depuis de longues années.

Yasunari Kawabata - Tristesse et beauté, 1961-65
trad. Amina Okada
 
 
 
(1) Enfin, en principe... Les moines vieillissent et sont de moins en moins nombreux pour sonner les cloches, et le voisinage a tendance à se plaindre de la pollution sonore.

Aucun commentaire: