25/12/2025

Un florilège de fin d'année : ça n'explique pas tout

 

Voilà. Nous avons, vous avez ouvert nos, vos cadeaux. Le moment de se rappeler qu'il existe un monde à la fois réel et fantastique, un monde de l'entreprise et du travail, si loin de vous au moment présent mais diablement prégnant tout de même - d'où viennent d'ailleurs tous ces cadeaux, qui les a fabriqués, pour quel maigre salaire ? En fonction de quelle stratégie invérifiable et mal barrée, inspirée par un consulting zombifié coupable (mai pas responsable) de l'indicible catastrophe managériale, et n'est-il pas le moment de lire...

 


 

 

Elle songe à retourner se coucher. Puis ouvre la porte. Juste pour voir, en laissant la chaîne, elle ne risque rien, non ?

Un paquet cadeau cubique, à peu près gros comme un four à micro-ondes, enveloppé de papier rouge métallisé et couvert d’un gros nœud doré l’attend sur son paillasson. Une carte le surmonte. Joyeux Noël.

C’est le moment d’être parfaitement réveillée, totalement lucide. Mais ce n’est pas le cas. Elle tente de faire entrer le paquet dans l’appartement, en le faisant glisser (il est plutôt lourd). Il ne passe pas la porte ; celle-ci refuse de s’ouvrir plus. Merde. La chaîne ! Elle referme, enlève la chaîne, hésite à rouvrir. Elle imagine derrière la porte le palier obscur, intimidant. Elle entrouvre, guette une respiration, un voleur en embuscade, un imbécile qui fait une blague. Personne. Silence d’église. Elle tire vite fait le paquet à l’intérieur, remet la chaîne, claque la porte, tout essoufflée. Et si c’était une bombe ? Elle préfère en rire mais elle arrête aussitôt ; elle n’aime pas le son de son rire, cette nuit, dans sa cuisine. Elle ouvrira le paquet demain. Tout s’expliquera. Le gardien aura reçu pour elle une livraison déposée pour quelqu’un d’autre et faisant sa ronde à pas d’heure, comme d’habitude, ivre, comme d’habitude, il aura déposé ce paquet idiot sur le mauvais paillasson.

Qu’est-ce que ça contient ? Elle pourrait ouvrir, juste pour voir. Elle rirait de découvrir une collection de taies d’oreiller Mickey (non, trop lourd), ou bien une cafetière automatique, justement, elle en a besoin (des petites choses bougent à l’intérieur quand on incline le carton), ou une lava lampe dans une énorme boîte entourée de milliers de boules en polystyrène ? Pas mal… Après tout Charlotte est une fille d’Ève et Göding lui a dit d’écouter plus souvent ses intuitions. Avec les ciseaux de cuisine, elle ouvre soigneusement le paquet pour pouvoir le refermer proprement si besoin était.

Ce sont des paquets de bonbons. Des dizaines, des centaines de paquets de Peep-o-mint, la dernière production de l’usine de Maligny, pas encore mise sur le marché. Le projet Huysmans. Boules de chocolat veinées de vert, cœur vert intense, liquide, à la menthe. Des bonbons un peu mous, fondants, des saloperies délicieuses et sans sucre.

Qui a bien pu ressentir le besoin de lui en offrir trois cents paquets ? Qui sinon Joachim, le manager du département emballage ? Il passait son temps à lui faire la cour ! Lui seul pouvait avoir accès au matériel promotionnel, aux paquets de démonstration… Mais quel étrange cadeau de Noël… Avec deux mois d’avance. Ce pauvre Joachim est fêlé, en vérité. 

Ça n’explique pas tout. Charlotte boit un verre d’eau, puis un petit doigt de gin saphir. En mode automatique, elle ouvre son téléphone, regarde ses messages, Vinh a tenté de la joindre pendant qu’elle était au restau avec Sébastien. Il n’a pas laissé de message. Allume son ordinateur sur la table de la cuisine. Ouvre un paquet de bonbons, en mange une pleine poignée (puisqu’ils sont là, autant en profiter… Et plus de doute possible, maintenant. Ce paquet lui était bien destiné). Aucun mail ne vient expliquer ce mystère. Et si elle appelait Vinh ? Sa réunion ne va pas tarder à commencer, ça lui fera plaisir d’entendre une voix amie. Il doit être stressé. Est-ce qu’il a trouvé un plan d’action à présenter à Argerich, pour le projet Huysmans ? Elle pourrait lui raconter le coup des bonbons… Ça le fera rire. Peut-être.

Ça ne va pas, ma fille ? Il est minuit vingt. Le temps d’aller dormir. Demain, elle travaille. Au lit, maintenant.

L. L. Kloetzer - Cleer, une fantaisie corporate, 2010 

 

Vous avez deviné - les bonbons, c'est louche, c'est un indice. Il va se passer quelque chose, mais quoi ? Et pour vous, quand vous reprendrez le cours non-festif de la vie quotidienne, voire professionnelle - que va-t-il se passer ? Oui, que va-t-il bien se passer ?

 

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