18/10/2025

Un trou de mémoire à Chelsea

 

Paul Fordyce Maitland -  Cheyne Walk in Sunshine, 1888 


Elle allait maintenant prendre un taxi pour se rendre à Highgate. Mais tout à coup l’idée lui vint qu’elle ne se rappelait plus l’adresse. Ce contretemps se dressa tel un barrage en travers d’un puissant courant de désir. Elle fouilla désespérément dans sa mémoire à la recherche de cette adresse, d’abord en se représentant la maison, puis en essayant de retrouver le souvenir des mots qu’elle avait tracés au moins une fois sur une enveloppe. Plus elle insistait, plus ces mots lui échappaient. Y avait-il « Orchard » dans le nom de la maison, ou « Hill » dans celui de la rue ? Elle renonça. Jamais, depuis l’enfance, elle n’avait ressenti un tel vide, une telle désolation. Affluèrent aussitôt à son esprit, comme si elle sortait d’un rêve, toutes les conséquences de son incompréhensible indolence. Elle imagina le visage de Ralph au moment où il repartirait de chez elle sans un mot d’explication, persuadé que c’était elle qui lui refusait sa porte, et lui signifiait brutalement qu’elle n’avait pas envie de le voir. Elle le vit tourner les talons devant sa porte ; mais il était beaucoup plus facile de l’imaginer ensuite arpentant les rues au hasard et pendant Dieu sait combien de temps que de se figurer qu’il rentrerait directement à Highgate. Peut-être ferait-il une nouvelle tentative pour la rencontrer dans Cheyne Walk ?

Virginia Woolf - Nuit et Jour, 1919
trad. de Françoise Pellan
 
 
Les amateurs de géographie (ou, accessoirement, de dérive) littéraire londonienne pourront lire Lisbeth Larsson, Walking Virginia Woolf's London, Palgrave macmillan éd. 2017, qui suit ainsi à la trace les personnages de Nuit et jour :
 

 

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