Walter Richard Sickert - Noctes Ambrosianae, 1906
Huile sur toile
Nottingham City Museums and Galleries
Le sujet : la galerie supérieure - le paradis - du Middlesex Music Hall, 167 Drury Lane à Londres, un des premiers Music-halls au monde, ouvert en 1851.
Le titre : un jeu de mots assez complexe. Le paradis, dans le théâtre anglais, est dénommé The Gods, pour la même raison qu'en France : c'est très haut. Et les dieux, on le sait, se nourrissent d'ambroisie tout en buvant du nectar.
En même temps Noctes Ambrosianae, les nuits ambrosiennes, font référence à d'autres repas, plus ou moins imaginaires, qui étaient censés se tenir de 1822 à 1835 dans une taverne bien réelle sise Gabriel's road à Edimbourg et dénommée...
Jetons de bronze de l'Ambrose's tavern, n.d.
Ambrose's tavern, du nom de son tenancier, William Ambrose. Ces repas donnaient lieu à des comptes-rendus sous forme de dialogues savoureux et cultivés paraissant dans le
également publié à Edimbourg, et qui était la revue littéraire la plus estimée du Royaume-Uni à la fin de l'époque georgienne. Il y eut donc soixante-et-onze livraisons sous la rubrique des
Noctes Ambrosianae, Blackwood's Edinburgh Magazine 1830 Janvier-Juin 1830, p. 659.
Via Hathi
Les repas sont divisés en services (ici le first course, avec les soupes - remarquez le mulligatawny). Comme on le voit, chaque service a son plan de table, et les pseudonymes des convives cachent (très peu) des écrivains connus : ainsi Shepherd (The Ettrick Shepherd) est James Hogg, l'auteur de la Confession du pécheur justifié, dont les harangues, comme les poèmes de Robert Burns, mélangent l'anglais et le Scots. Et l'English opium-eater est, bien sûr, Thomas de Quincey.
Un auteur bien connu aurait déjà pu nous mettre sur la piste du Blackwood : Edgar Poe qui publie en 1838 un conte satirique, How to write a Blackwood article, qui pastiche le style des contes d'horreur du magazine - dont il s'inspirait par ailleurs. Conte repris deux ans plus tard dans
et si vous ne le retrouvez pas si facilement dans votre bibliothèque, c'est que la diffusion des contes de Poe en France a été un peu compliquée. Et non, Baudelaire n'a pas tout pris, il faut attendre 1887 pour la traduction par Félix Rabbe des Derniers Contes ou, si vous préférez, 1989 pour celle
du très regretté Alain Jaubert, oui, celui-là, oui en 1971 un journaliste tabassé par la police cela causait un énorme scandale. En 1971.
Bien. Nous savons donc maintenant que les Enfants du paradis londoniens sont aussi, quelque part, des écrivains écossais du début du XIXème siècle. Mais tirons le fil jusqu'au bout.
Collection privée
Ici, la même année, on voit la même galerie dans l'autre sens, depuis les rangs du Paradis.
Le Middlesex était aussi appelé Old Mogul parce qu'il avait été bâti à l'emplacement d'une taverne - encore une - appelée The Mogul du nom des empereurs Moghols de l'Hindoustan. Et remarquez que le dernier de ces empereurs n'a été déposé par les anglais que six ans après que le music-hall ait succédé à la taverne.
Bien. Sickert avait d'abord donné un autre titre à cette toile, c'était Cinematograph. Soyons attentifs à ce que regardent les enfants du paradis du Moghol : selon les compte-rendus de la presse de l'époque, ce serait (1) un western. On commence alors à projeter des films dans les music-halls. Peut-être est-ce
Edwin Stanton Porter - The Great train Robbery, 1903
Via Iconauta
et c'est, peut-être aussi (2), la première fois qu'un tableau montre un écran de cinéma.
Et de Sickert, ou à son sujet, déjà.
(1) R. Upstone, Modern Painters, The Camden Town School, London, Tate, 2008.
(2) En histoire de l'art, comme en histoire générale, les premières fois sont difficilement démontrables. En tout cas cet argument a été invoqué et souvent repris à l'occasion de la vente du tableau chez Christie's, en 2016.






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