Huile sur toile
Récapitulons.
Premièrement. George Cole, le fondateur, vient d'une famille ouvrière de Portsmouth, mère morte quand il avait neuf ans, père essentiellement soucieux de boire rapidement son salaire. Pas d'éducation, mais s'élève à la force du poignet - et du pinceau. Peint d'abord pour sa clientèle de Portsmouth - petits industriels, contractors pour les chantiers navals, négociants. S'affirme, première exposition à Londre en 1838 - il a vingt-huit ans. S'installe à Londres en 1846, devient vice-président de la Society of British Artists en 1867. Que disent ces quelques lignes ? Un talent indéniable rencontre au bon moment un marché en expansion : la bourgeoisie des villes, rêveuse à ses heures, idéalisant ses ancêtres paysans - qui n'étaient pas si loin - et se répétant, comme Hegel à propos des scènes campagnardes des maîtres hollandais :
"Le moment idéal réside justement dans cette licence exempte de soucis : c'est le dimanche de la vie, qui nivelle tout et éloigne tout ce qui est mauvais ; des hommes doués d'une aussi bonne humeur ne peuvent être foncièrement mauvais ou vils" (1).
George Vicat Cole - Scene in North Wales, 1863
Huile sur toile
Deuxièmement. George Vicat Cole, le fils, apprend à dessiner et peindre aux côtés de son père, l'accompagne dans ses voyages... et se brouille avec lui en 1855, à vingt-deux ans, pour épouser une femme qui ne plaisait pas au chef de famille. Il prend alors pour prénom le nom de sa mère, et signe Vicat Cole. Quelques temps de vaches maigres, puis père et fils se réconcilient. Mais le marché reste le même, mieux, il s'élargit. Le fils se rapproche des préraphaélites - ce qui ne devait pas plaire au père - mais reste suffisamment académique pour gravir des échelons. La preuve : il quitte la Society of British Artists pour candidater à la Royal Academy - la marche est assez haute, il la franchit en 1880. Huit ans plus tard il se met à peindre Londres, avec plus ou moins de succès - mais c'est un tournant, y compris pour la famille.
Rex Vicat Cole - The Butler's Head
Troisièmement. Reginald Rex Vicat Cole, le petit-fils, bénéficie du capital acquis : études à Eton, puis enseignement au King's College de Londres, et il fonde avec un de ses amis une école d'art privée, la Byam Shaw, dont vous pouvez suivre par ici des aventures récentes. Bien sûr il continue à peindre églises et paysages mais aussi, de plus en plus, Londres, ses boutiques et ses rues, dans un style volontairement atone mais où la mélancolie se tapit, imperceptible, sous la surface. Ainsi de cet établissement...
Rex Vicat Cole - The George and Vulture, Castle Street (off Cornhill)
...dont il faut se souvenir qu'il abrita le Pickwick Club.
Ill. pour Charles Dickens - The Posthumous Papers of the Pickwick Club, 1837
Quatrièmement, enfin. John Vicat Cole, l'arrière-petit-fils. Il sacrifie aussi, mais assez peu, sur l'autel du paysage. Surtout, il suit assez exactement les traces de son père dans les rues de Londres :
Manchester Art Gallery
...dans Kensington, le terrain de chasse familial.
Mais remarquez qu'ici nous ne sommes plus du tout dans le dimanche de la vie. Qui achète ces tableaux dans les années 1960, celles, censément, du Swinging London ? Quelle nostalgie s'y investit ? Et ne voilà-t-il pas que petit à petit notre peintre est fasciné par...
...des devantures en déshérence ? Qu'est-il arrivé à cette rêveuse bourgeoisie qu'émouvaient tant les meules de foin ? Que fait-elle, à traîner devant...
...des boutiques pour fantômes ? Hegel se serait-il trompé ? Cette licence exempte de soucis, chez des hommes doués d'une aussi bonne humeur - est-ce vraiment le moment idéal, qui éloigne tout ce qui est
mauvais ?
(1) G. W. F. Hegel, Esthétique, trad. Jankélévitch. C'est la phrase qui figure en exergue du roman de Raymond Queneau.
2 commentaires:
On la quitte avec quelques regrets, cette famille Cole. Ils n'ont pas été très bavards, on dirait? Plus éloquents avec le pinceau qu'avec la plume?
Rex Vicat Cole a publié plusieurs livres, dont "The artistic anatomy of trees : their structure & treatment in painting" (400 pages, très détaillé) qu'on peut trouver sur l'Internet Archive, et un gros bouquin sur la perspective, qu'il faut malheureusement acheter. Également sur Internet Archive deux volumes sur "les arbres britanniques", avec de jolies illustrations, par exemple
https://archive.org/details/britishtrees02cole/page/376/mode/2up
Bonne lecture, Tororo, et prenez soin de vous
Enregistrer un commentaire