04/02/2020

Portrait craché : eau-forte et résine pure


Charles Meryon - Portrait de M. Edmond de Courtives élève pharmacien ami de Charles Meryon et cousin d'Edouard Foleÿ fait et donné par Meryon à E. Foleÿ fait vers 1853
Eau-forte
Source : Gallica/BnF


Une des premières eaux-fortes de Meryon (1), elle porte le n°9 dans le catalogue de Schneiderman, qui donne 1849? pour date.

Foleÿ faisait partie, avec Meryon,  des officiers  de la corvette Le Rhin dans son voyage vers la Nouvelle-Zélande. Tous deux regagnent Paris en 1846, Foleÿ partageant l'appartement de Meryon, rue Neuve-Saint-Etienne-du-Mont, pendant deux ans jusqu'en 1853. C'est probablement pendant cette période que ce dessin est réalisé. De Courtives est l'auteur d'une thèse sur Le haschish en 1848.

"Il m'a fait cadeau d'un exemplaire, que je garderai soigneusement comme un échantillon de son esprit, qui me remet souvent Hoffmann en mémoire"
Charles Meryon, lettre à Edouard Foleÿ, 29 avril 1848




 


De Courtives a pratiqué à Bicêtre aux côtés de Jacques-Joseph Moreau, dit Moreau de Tours, pionnier de la recherche scientifique des effets des drogues sur le système nerveux central, et auteur de l'étude inaugurale sur le sujet, le traité Du haschisch et de l'aliénation mentale (1845).

Il faut rappeler que Moreau de Tours est aussi l'initiateur de ces soirées sur invitation que Théophile Gautier a nommées Le club des haschischins, au cours dequelles les effets de la substance étaient expérimentés par des participants qui pouvaient se nommer Baudelaire, Nerval, Daumier, Balzac. 

Le club se réunissait hôtel de Pimodan (aujourd'hui de Lauzun) dans l'Ile Saint-Louis au 17 quai d'Anjou...



 Eugène Atget - Hôtel de Lauzun, 17 quai d'Anjou, ca 1900



...à l'étage noble, dans l'appartement que Boissard de Boisdenier - peintre romantique un peu oublié aujourd'hui (2) - partageait avec Joséphine Bloch dite Marix, un des plus beaux modèles de l'époque, qu'on peut reconnaître dans




Charles de Steuben - La Esmeralda, 1839, détail.




Boissard, qui est dans ces années, après Emile Deroy, le second vrai contact de Baudelaire avec le monde de l'art, s'installe vers avril 1845 à l'hôtel de Pimodan, juste au-dessous de l'appartement que Baudelaire loue depuis octobre 1843 :

"sous les combles, un appartement de trois cent cinquante francs par an composé (...) de deux pièces et d'un cabinet. Je revois en ce moment la chambre principale, chambre à coucher et cabinet de travail, uniquement tendue sur les murs et au plafond d'un papier rouge et noir, et éclairée par une seule fenêtre dont les carreaux, jusqu'aux pénultièmes inclusivement, étaient dépolis «afin de ne voir que le ciel», disait-il" (3).




 Appartement de Baudelaire à l'hôtel de Pimodan





Baudelaire quitte l'hôtel de Pimodan à la fin de septembre 45, mais continue à visiter Boissard et Marix - c'est probablement ainsi qu'il participe à quelques-unes des séances mensuelles du club des haschischins. La première qui soit connue des biographes (4) date du 3 novembre 1845, la seconde du 22 décembre suivant - en présence entre autres de Balzac, pour une scène qu'on retrouve dans Les paradis artificiels.

C'est un ou deux ans plus tard, vers 1846 ou 47, que de Courtives, au contact de Moreau lors de son séjour à Bicêtre, goûte au haschisch - sous forme de résine pure, et non pas mélangée comme le faisait Moreau - avant de publier sa thèse et d'être dessiné par Meryon. Cette gravure prend donc place dans le réseau d'affinités et de coïncidences qui relient Meryon et Baudelaire, le poète et le peintre graveur, chacun par excellence,  du XIXème siècle parisien.





(1) "Cette pièce, une des premières donc que j'ai gravées, est assez mauvaise, je n'ai besoin de le dire. Ce jeune homme était de St Florentin, où il venait de s'établir,  quand je terminai cette petite pièce, faite d'ami à ami. Je lui en envoyai quelques épreuves, dont une où il était représenté à mi-corps, comme dans mon dessin original, ayant à côté de lui un violon dont il jouait assez bien, et quelques instruments de chimie. C'est dans celle-là surtout qu'on peut constater l'infériorité et la gaucherie de mon dessin ; aussi, après avoir corrigé de mon mieux le modelé du visage, m'arrangeai-je, en l'imprimant, de manière à le réduire à cette dernière partie seulement, dans un cadre circulaire." Charles Meryon, Mes observations, 1863.

(2) Il est surtout connu pour son tableau d'un Episode de la retraite de Russie.

(3) Charles Asselineau, Charles Baudelaire : sa vie, son œuvre, pp. 7-8.

(4) Par un billet de Boissard à Théophile Gautier, conservé dans les papiers de ce dernier, cf. Claude Pichois & Jean Ziegler, Charles Baudelaire, Fayard éd. 1996, p. 219.















 

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