Henri de Toulouse-Lautrec - La danse mauresque ou Les Almées, 1895
Huile sur toile
Musée d'Orsay
En 1895, Louise Weber dite La Goulue décide de quitter le Moulin-Rouge pour voler de ses propres ailes. Elle compte se produire comme danseuse orientale dans une baraque de foire, pour laquelle elle passe commande à Toulouse-Lautrec de deux panneaux décoratifs démontables.
Le premier panneau la montre au Moulin-Rouge avec Valentin le désossé. Le second anticipe le spectacle de la baraque de foire - une almée et un percussioniste à turban pour la touche orientale. La Goulue y semble plutôt douée pour le can-can que pour la danse du ventre, qui n'inspirait probablement pas Lautrec. Mais le vrai spectacle est dans le public massé devant la baraque, et au piano.
Au piano à l'extrême-gauche, Maurice Tinchant, qui fut le pianiste du Chat Noir, est un fantôme. A la date où Lautrec peint ses deux toiles il est déjà mort de puis deux ans et demi, à Lariboisière d'une fluxion de poitrine, à trente-deux ans. Au rang du public, on a d'abord les habitués de la bande à Lautrec : de gauche à droite Paul Sescau et Maurice Guibert, les deux amis photographes, et le cousin-docteur Gabriel Tapié de Céleyran. Au tout premier rang devant la baraque, une dame au grand chapeau, Jane Avril. Et derrière elle, l'essentiel du tableau.
Henri de Toulouse-Lautrec - La danse mauresque ou Les Almées, 1895, détail
A gauche Oscar Wilde puis, identifiable par sa taille, son melon et son écharpe, Lautrec - et enfin Fénéon.
En mai 1895, Wilde attend le jugement final de son second procès, Regina vs Wilde for sodomy and gross indecency. En avril, le premier procès, où il attaquait en diffamation, s'est mal passé pour lui - il a voulu pousser l'ironie trop loin...
Lautrec connaît Wilde de Paris. Il est à Londres et veut faire son portrait; il le rencontre le soir, la veille du verdict. Wilde est trop angoissé pour poser - ses amis le pressent de filer à Douvres et de s'embarquer pour la France, il hésite. Lautrec retourne à son hôtel et fait le portrait, de mémoire.
Le lendemain...
Condamnation de M. Oscar Wilde à deux ans de travaux forcés.
Félix Fénéon, Passim, La Revue Blanche, 1er juin 1895
La commande de La Goulue datait du mois d'avril; la rencontre de Londres a probablement précédé et inspiré le panneau de baraque. Lautrec a repris son dessin quand le Théâtre de l'Œuvre, l'année suivante, monte Salomé.
"C'est moi, sans que j'eusse posé, qu'on voyait en petit feutre mou et coude à coude avec Wilde à l'avant-plan dans les badauds qui entouraient l'estrade de la Goulue et non pas le Désossé, hôte en haut de forme d'autres compositions de Lautrec. Nous avions, il faut croire, des analogies et qui n'étaient flatteuses pour aucun des deux."
Félix Fénéon, lettre publiée par M. Saint-Clair dans Galerie Privée, Gallimard, 1947 (1).
En mai 1895, Wilde attend le jugement final de son second procès, Regina vs Wilde for sodomy and gross indecency. En avril, le premier procès, où il attaquait en diffamation, s'est mal passé pour lui - il a voulu pousser l'ironie trop loin...
Le 7. - Epoque à laquelle Oscar Wilde regretta d'avoir parlé.
Félix Fénéon, Passim, La Revue Blanche, 15 avril 1895
Henri de Toulouse-lautrec - Portrait d'Oscar Wilde, 1895
Aquarelle
Aquarelle
Collection privée
Le lendemain...
Le 25. - En contraste à la lugubre bouffonnerie de telle proclamation française, – ces paroles de la reine Ranavalo : « nous avons scrupuleusement observé les traités avec les Français, bien qu'on ait dit le contraire. Nous avons essayé de supporter les injures dont il nous accablaient depuis neuf ans sans ombre de raison. Ils ont rompu le traité, ils exigent notre terre : et nous refusons naturellement avec indignation de céder à cette demande. Mieux vaut disparaître que de devenir les sujets asservis de la France ou de toute nation étrangère. Nous aurons donc la guerre. Mon peuple et moi combattrons contre une puissante nation. Nous lutterons pour la défense de nos droits et de nos foyers, non seulement jusqu'à la défaite ou l'infortune, mais, si besoin est, tant qu'un homme restera debout, jusqu'à ce que le sang malgache ait inondé la plaine et la montagne et que notre nom est notre peuple ne soient plus qu'un souvenir. »
Condamnation de M. Oscar Wilde à deux ans de travaux forcés.
Félix Fénéon, Passim, La Revue Blanche, 1er juin 1895
La commande de La Goulue datait du mois d'avril; la rencontre de Londres a probablement précédé et inspiré le panneau de baraque. Lautrec a repris son dessin quand le Théâtre de l'Œuvre, l'année suivante, monte Salomé.
Henri de Toulouse-Lautrec - Programme pour le Théâtre de l'Œuvre : Raphaël de Romain Coolus et Salomé d'Oscar Wilde
Wilde sortira de prison, brisé, le 18 mai 1897. Sur le panneau, Fénéon le regarde ostensiblement. Et la position de Lautrec entre ces deux emprisonnés - l'un pour homosexualité, l'autre pour terrorisme - est évidemment un signe. La baraque de foire - le Spectacle dans sa jeunesse encore sauvage - sous les yeux de trois En-dehors, comme aurait dit Zo d'Axa. Le rendez-vous des réprouvés.
La Goulue abandonna rapidement la danse orientale pour un spectacle...
de dompteuse de fauves, avec son mari Joseph Droxier, jusqu'au jour où...
...ils furent attaqués par leurs bêtes, abandonnant alors le dressage. La Goulue vécut ensuite de petits rôles, son mari mourut à la guerre en 1914, elle sombra peu à peu - et quant au panneaux de Lautrec...
...Un jour de dèche, elle les lava.
François Gauzi - Lautrec et son temps, 1954, p. 80
C'est-à-dire qu'elle les vendit. De revendeur en acquéreur, les panneaux tombèrent entre les mains de la galerie Hodebert qui en 1926 les découpa en huit morceaux et quelques chutes, pensant en tirer ainsi un meilleur prix.
Puis les réprouvés ainsi éparpillés furent de nouveau réunis quatre ans plus tard - on peut nettement voir les coutures autour de Fénéon.
Le portrait de Wilde connut un sort tout aussi étrange, puisqu'il est la propriété d'un collectionneur qui ne le prête - au compte-gouttes - que sous la condition expresse que ni son nom ni même le pays où il réside ne soient divulgués. Comme on n'en connaît que des reproductions plus ou moins fidèles, il n'est pas étonnant que ceux qui s'en inspirent tâtonnent quelque peu sur la couleur exacte des cheveux de Wilde. Enfermés à double tour, éparpillés aux quatre vents, ainsi tournent les réprouvés.
(1) cf. Félix Fénéon, Œuvres plus que complètes, I, Illustrations, V.
(1) cf. Félix Fénéon, Œuvres plus que complètes, I, Illustrations, V.
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