03/06/2015

Duos : Baranov-Rossiné


Vladimir Baranov-Rossiné - Rythme, 1913 
Zinc, huile et gouache sur montants de bois 
Collection Vladimir Tsarenkov, Londres
Via St Petersburg Gallery




Vladimir Baranov naît Shulim Wolf Leib Baranov en 1888 dans le village de Bolchaïa Lepatikha (ou Lepetykha) au bord du Dniepr et non loin de Kherson en Tauride. Son père est un marchand juif qu'on imagine prospère puisque le jeune Vladimir peut partir étudier les beaux-arts, d'abord à Odessa puis à l'académie impériale de Saint-Pétersbourg - d'où il est exclu en 1909 pour absentéisme. 

Baranov est de la génération artistique des cubo-futuristes : Bourliouk, Alexandra Exter, Natalia Gontcharova, Tatline, Larionov, Malévitch. Comme eux il abandonne rapidement impressionnisme et pointillisme pour ce qu'on a appelé le cézannisme géométrique. Il expose dès 1907 et, en 1910, s'installe à Paris - à la Ruche. Il rencontre Robert et Sonia Delaunay (Sonia Terk, elle aussi ukrainienne) avec lesquels il restera lié jusqu'à sa mort. En France, il prend le pseudonyme de Daniel Rossiné.

Entre 1913 et 1915, Baranov produit une série de sculptures dites polytechniques, en métal polychrome, bois, carton... où il se montre précurseur du dadaïsme - l'une d'elles, Symphonie n°2, provoquera tant de sarcasmes qu'il ira la jeter dans la Seine. Seulement cinq de ces sculptures ont survécu, dont lSymphonie n°1, actuellement dans les réserves du MOMA, et Rythme que l'on peut voir ci-dessus (1).




Vladimir Baranov-Rossiné - Autoportrait, 1913


De retour en Russie en 1917, immédiatement après la révolution de février, il prend part à l'effervescence artistique des années 18-24 et enseigne notamment au Vkhutemas. Il émigre en France en 1925 quand les avant-gardes artistiques commencent à être marginalisées avant d'être stigmatisées (2).

Baranov-Rossiné était un inventeur - il est crédité d'un procédé de camouflage (3), d'un dispositif de production de boissons gazeuses et surtout du piano optophonique permettant, grâce à un clavier actionnant une série de disques de verre coloré associés à une source lumineuse, de jouer avec la lumière.



Le piano optophonique de Vladimir Baranov-Rossiné
Mis en ligne par The elusive FACS machine!


Baranov-Rossiné échappa aux dangers de son siècle, une première fois en se réfugiant en Norvège de 1914 à 1917, et une seconde fois, donc, en fuyant préventivement la stalinisation de l'art soviétique. Mais pas la troisième fois, quand il décida de rester en France en 1940 - arrêté en 1943, il est très certainement mort en Vernichtungslager, probablement en 1944, peut-être à Auschwitz. Ayez une pensée pour l'homme aux statues de bois, de zinc, de carton et de coquilles d'œuf pilées, l'homme qui jouait de la lumière.




Vladimir Baranov-Rossiné - Autoportrait

(1) Voir également ici et là (dans les deux cas courtesy of St Petersburg Gallery, London). La Sculpture polytechnique du Centre Pompidou est datée de 1929.

(2) Rappelons les dates-clés : 1926, Malévitch est évincé de la direction du Ginkhuk, et ce dernier est liquidé; 1927 : normalisation du Vkhutemas. Alexandra Exter part pour la France à peu de chose près en même temps que Baranov-Rossiné. 

(3) D'aucuns attribuent au cubo-futurisme une influence sur les méthodes de camouflage militaire et naval dans les deux conflits mondiaux... Cependant, sur cette question et a contrario, voir l'intéressant article de Patrick Peccatte.

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