26/04/2014

Signes et prodiges : histoires d'écriture


"Mardi 14, Rien" - Journal de Louis XVI, juillet 1789



Villeneuve - Louis le traître lis ta sentence, 1793 
Eau-forte et aquatinte
Via Geisterseher



Sur le fameux "Mardi 14, Rien", on lira l'analyse de Philippe Lejeune pour qui Louis XVI est le premier roi de France a avoir eu une écriture réellement privée. Son journal était un journal des chasses et des événements auxquels le roi participait directement (soit un défilé de cerfs, de biches, de vêpres et de grand-messes, sans aucune note politique). Les notations étaient compilées avec un retard d'un mois - ici en Août donc, au moment où Louis XVI savait pertinemment que quelque chose s'était passé. Le roi chasseur était devenu gibier.

Les eaux-fortes de Villeneuve reflètent un sentiment anti-royaliste exacerbé, sous une forme violente - le sang, les têtes coupées et la guillotine y ont la part belle. En même temps, selon les recherches d'Annie Duprat, Villeneuve ne paraît pas avoir eu un comportement particulièrement terroriste dans sa section des Thermes-de-Julien, en sorte qu'il réussit à passer sans ennuis le cap de Thermidor. À la Restauration il est totalement reconverti et l'artiste qui en 1793 imaginait la Réception de Louis Capet aux enfers dessine en 1814 un "Louis XVIII le désiré" et un portrait de Son Altesse Royale Monsieur, Comte d'Artois frère du Roi.

Un bras musculeux traverse la paroi d'un mur - ce n'est plus le doigt de Dieu qui signifie à Balthazar son Mané, Thécel, Pharès, mais celui d'un homme d'en bas, d'un prisonnier qui se libère. Malgré la référence au jugement dernier c'est une main humaine qui écrit la sentence divine, non pas du doigt mais de la plume. L'outil du graveur n'est cependant pas de plume mais d'acier - et cet acier on le retrouve en bas de l'image, cette guillotine en médaillon, à l'emplacement où Villeneuve fait souvent figurer une tête coupée.

Intéressant contraste entre une écriture privée à la tête de l'état - Lejeune, à raison, voit dans ce type de journal l'avènement de l'intimité - et une écriture publique, quasiment sacrée, censée venir du corps de la Nation.





On trouvera sur Gallica d'autres gravures de Villeneuve, ici le chapitre sur Villeneuve de l'Histoire de la caricature sous la République, l'Empire et la restauration, par Champfleury, et enfin là l'édition Nicolardot du Journal de Louis XVI. Pour les férus d'authenticité, la vraie page incriminée du vrai Journal devrait ressembler à ça, oui, ça, là, que j'ai trouvé dans le boudoir.

2 commentaires:

Tororo a dit…

Retenons, de la triste histoire que nous conte Champfleury, qui si on le laisse aux mains du peuple, le crayon populaire ne balbutiera que des bégaiements.

Patricia a dit…

Commentaire du jour : rien, comme le Louis...
Sinon, quand même, article et liens très intéressants. Comme je l'ai écrit maintes fois, ici, on se sent moins con après de telles lectures. Merci, M. Chat.