18/04/2014

Les formes de la conversation (4) : l'interrogatoire


Edouard Vuillard - L'interrogatoire du prisonnier, 1917
Peinture à la colle sur papier marouflé sur toile 
Paris, Musée d'histoire contemporaine - BDIC de Nanterre
Via oseculoprodigioso




Vuillard a 46 ans au début de la guerre et ne peut plus être affecté au service actif. Il est mobilisé comme garde-voie à Conflans-Sainte-Honorine et libéré des obligations militaires en décembre. En 1916 le ministère de la guerre et le sous-secrétariat d'état aux Beaux-Arts organisent pour les peintres des missions d'observation sur le front afin de ramener des tableaux d'histoire; Vuillard accepte, comme  Bonnard, Vallotton ou Maurice Denis. En février 17 il passe trois semaines à Gérardmer dans les Vosges.


"Soldats foule du dimanche, entre au Casino, salle de soldats, chansons de caf. Concert par soldats; le talent; rentre hôtel, coup de noir, tourments latents, vais revoir le cap. Baignères vers six heures. café à soldats, foule grise, me couche sitôt dîné, dors 11h."
Edouard Vuillard, Journal

Malgré la résistance de la hiérarchie militaire il parvient à assister à des séances d'interrogatoire de prisonniers et trouve immédiatement son sujet. Un prisonnier allemand  est interrogé par un officier français.

Deux chasseurs alpins, esquissés mais leur hostilité est évidente. L'officier est sans visage, juste une oreille d'interrogateur, un képi à galon. La place du peintre est suggérée, hors-champ : du côté de l'officier mais en surplomb - peintre aux armées, sa fonction ambigüe. Le prisonnier est le seul dont le visage soit détaillé. On le devine gelé jusqu'au os - les Vosges en février - se chauffant, le temps de l'interrogatoire, au poêle dont le tuyau s'incline au-dessus de lui, comme une menace - et, au point où ce tuyau s'infléchit, un crochet, pendant du plafond.


"Il y a chez moi un moment où soit par faiblesse personnelle, soit par manque de solidité des principes reçus tout a été démoli. D'élimination en élimination les groupements d'idée formulées en qui j'avais foi se sont restreints jusqu'à des idées élémentaires"
Edouard Vuillard, Lettre à Maurice Denis, 19 février 1898  

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour (& merci).

Est-ce bien l’hiver ? Le poêle ronfle-t-il ? N’est-ce pas un livre ou un album qui est posé dessus ?

K.-G. D.

loeildeschats a dit…

C'est bien l'hiver (février 17, séjour de Vuillard sur le front) et le poêle chauffe très probablement (vous ne voudriez pas faire attraper la crève à un officier de renseignement ?) En ce qui concerne l'objet sur le poêle, bonne question, peut-être une sorte de chaufferette en faïence...

Patricia a dit…

Je ne connaissais pas cette fonction "peintre aux armées" de Vuillard. Je n'ai pas le souvenir de l'avoir lu dans des biographies. Oui, c'est une fonction ambiguë. La présence du peintre a peut-être permis moins de violences à l'encontre du prisonnier, lors de l'interrogatoire.

Merci pour l'information, M. Chat.