16/07/2010

Une semaine de whisky (5) : West eleventh


 Public School 41, Greenwich Village
Mis en ligne sur Flicker par limonada, lcc


Son premier texte accepté, suivront quinze années où Barthelme vit, plutôt mal  que bien, des avances du New-Yorker - il divorce d'avec Helen Moore, rencontre Birgit, s'installe dans un appartement à loyer réglementé au 113 West 11th street en face de chez Grace Paley qui deviendra sa grande amie, et de l'école de Greenwich Village. 


A l'époque Paley élève ses deux enfants; elle participe à un groupe de mères d'élèves de la Public School 41 qui se rencontrent dans le parc (1) et qui militent en même temps contre la guerre du Viet-Nam.



Grace Paley (au centre)



L'année de City Life, Barthelme était-il chez lui le 6 mars 70 vers midi quand on entendit l'explosion ? Un bloc plus loin au 18, de l'autre côté de la 6ème avenue, un groupe de weathermen faisaient sauter  la maison avec la bombe qu'ils fabriquaient - trois d'entre eux, Theodore Gold, Diana Oughton et Terry Robbins y laissaient la vie, Kathy Boudin et Cathlyn Wilkerson arrivaient à s'échapper.


Q: Do you see what she’s doing?
A: Removing her blouse.
Q: How does she look?
A: …Self-absorbed.
Q: Are you bored with the question-and-answer form?
A: I am bored with it but I realize that it permits many valuable omissions: what kind of day it is, what I’m wearing, what I’m thinking. That’s a very considerable advantage, I would say.
Q: I believe in it.
(2)


Quand Barthelme publie City life, Rothko a disparu, une partie de l'expressionnisme abstrait (Rauschenberg, Jasper Johns) a basculé du côté du Pop art et/ou de l'ingénierie. Barthelme n'a pas non plus beaucoup d'atomes crochus avec les nouveaux chouchous de Clement Greenberg, les adeptes du color field. En fait, il restera toujours proche des De Kooning - Willem lui survivra, continuant à produire par-delà Alzheimer, le dernier peut-être des grands peintres modern(ist)es (3).


Willem De Kooning - And the cat, 1986 (Source)



Elaine et Willem De Kooning ne sortiront de l'alcool qu'à la fin des années 70. Barthelme, lui, ne cessera jamais vraiment. On a l'impression que l'alcool, avec les femmes, l'errance urbaine et la peinture - surtout celle de ses amis - c'est ce qui le fait tenir ensemble, le fond indispensable mais masqué sur lequel se détachent l'une après l'autre ses diableries littéraires. Une lanterne magique.


Q: What is she doing now?
A: Taking off her jeans.
Q: Has she removed her blouse?
A: No, she’s still wearing her blouse.
Q: A yellow blouse?
A: Blue.
(2)


En 1984, il publie (4) The art of base-ball où il enrôle dans diverses équipes d'hypothétiques joueurs : T.S. Eliot chez les St Louis Browns de 1922 (ce serait évidemment  la clef pour interpréter The waste land), Django Reinhardt comme pitcher  chez les Cardinals dans les World series de 1931 (ses trois doigts lui auraient permis de donner à la balle des effets redoutables...) Susan Sontag dans les White Sox de Chicago - mais hélas en cachant ses cheveux et pas sous vrai nom, explique Barthelme, "du fait du honteux et persistant préjugé contre la présence des femmes sur le terrain". Et enfin deux hollandais rivaux, Piet Mondrian jouant pour Cincinnati et Willem "Big Bill" De Kooning...jusqu'où sa saison avec les Dodgers influença le maître hollandais est un question souvent débattue, dans les brasseries de Manhattan comme dans les bars de East Hampton... Mondrian avait insisté pour dessiner sa propre tenue, une splendeur : de grands rectangles rouges, bleus et jaunes vigoureusement plaqués sur un blanc immaculé..." 
 Les deux artistes se font face 
...à une distance de 18,4 mètres..."Piet", hurla De Kooning, faisant allusion à sa tenue "le rouge, il est trop près du jaune.
- Bill", lui cria Mondrian, "qu'est-ce-que tu y connais ?
- Un enfant pourrait voir ça" répondit De Kooning en se crispant sur sa batte... A la fin De Kooning gagne, Barthelme était fidèle en amitié.


Q: Well, what is she doing now?
A: Removing her jeans.
Q: What is she wearing underneath?
A: Pants. Panties.
Q: But she’s still wearing her blouse?
A: Yes.
Q: Has she removed her panties?
A: Yes.
(2)



Gilbert Stuart - George Washington
Andy Warhol - Chairman Mao
Mis en ligne sur Flickr par jing-a-ling - lcc

 

Q: Still wearing the blouse?
A: Yes. She’s walking along a log.
Q: In her blouse. Is she reading a book?
A: No. She has sunglasses.
Q: She’s wearing sunglasses?
A: Holding them in he hand.
Q: How does she look?
A: Quite beautiful.

Q: What is the content of Maoism?
A: The content of Maoism id purity.
Q: Is purity quantifiable? (2)


Après City life, le style de ses nouvelles évolue - moins de théorisations, plus de monologues asthéniques, c'est le second Barthelme en attendant le troisième, celui des dialogues flottants. Et le New-Yorker lui renvoie quelques textes, rien de grave, cela n'empirera vraiment qu'à partir de 1977.


"The war is temporary. But drawings and chocolate go on forever."

Donald Barthelme - Engineer-private Paul Klee 
misplaces an aircraft between Milbertshofen
and Cambrai, March 1916
 



(à suivre)



(1) cf. Tracy Daugherty, Hiding man, a biography of Donald Barthelme, pp. 287-288. Ces années se retrouvent dans les nouvelles de Grace Paley, Enormous changes at the last minute, Virago Press, 1979.

(2) Donald Barthelme, The explanation, City Life, 1970.

(3) Sur le partage haut-moderniste/postmoderne dans l'art des années soixante, voir p. ex. Perry Anderson, Les origines de la postmodernité, éd. fr. Les prairies ordinaires, 2010, pp. 133-134, qui cite précisément Clement Greenberg en discutant le schéma avancé  par Fredric Jameson dans Periodizing the sixties.

(4) The spirit of sport, Constance Sullivan ed. New-York graphic Society, Little, Brown.  Repris dans The teachings of Don B., 1992.


Aucun commentaire: