16/10/2007

L'histoire du Médecin et de la Danseuse (le voyage de Meryon #2)

Edgar Degas, Musiciens à l'orchestre

Charles Lewis Meryon naît en 1783 à Rye (Sussex) dans une vieille famille huguenote émigrée en Angleterre à la révocation de l'édit de Nantes, les Mérignan, dont le nom était progressivement devenu Merian puis Meryon. Il obtient son Master of Arts degree à Oxford, puis étudie la médecine à St Thomas Hospital, où il est l'élève de Henry Cline. Avant la fin de ses études, il tombe amoureux d'une jeune fille de 18 ans, une Elizabeth qu'il épouse peut-être (1) et dont il a une fille, Lucy Elizabeth, en Décembre 1809. Mais la mère meurt peu de jours après l'accouchement et Meryon doit confier sa fille à une nourrice, puis à sa soeur Sarah et à son beau-frère.

Meryon lui-même prend froid et tombe lui aussi gravement malade; c'est alors qu'il reçoit la visite du fils de Henry Cline, qui sait par son père que lady Hester Stanhope recherche un médecin pour l'accompagner dans un long voyage en Orient. Cline les met en contact, ils dînent ensemble et font affaire. Lady Hester a un médecin, même s'il n'a pas tout à fait fini ses études, et il accepte de n'être que maigrement rémunéré (2). Meryon de son côté pourra se refaire une santé dans des pays chauds, se relever de son deuil et rêver de grandeur nobiliaire. Il est probablement amoureux de cette femme de sept ans plus âgée, et ne sera pas payé de retour - dès leur arrivée à Malte il la verra tomber dans les bras de Michael Bruce. Dans ses lettres, lady Hester pouvait avoir la dent dure, elle y décrit son docteur comme un être triste, lent, qui était bête et fat ("fop and fool") avant qu'elle le guérisse de ces vilains défauts; elle lui reconnaît une qualité : son honnêteté (3)... Pourtant l'étrange association de l'aventurière et de son médecin- factotum-biographe durera pendant près de trente ans, le temps pour Meryon de quatre voyages au Levant, dont le premier devait durer sept ans.

C'est donc en 1817 qu'il revient pour la première fois et s'installe à Londres pour terminer ses études de médecine. Il loge au 10 Warwick Street dans une pension où il fait la connaissance de Pierre-Narcisse Chaspoux, sa voisine. Malgré deux prénoms masculins il s'agit bien d'une danseuse de ballet. Née en 1791, elle fait partie dès seize ans du corps de ballet de l'Opéra de Paris sous le nom de scène de Narcisse Gentil. Mais elle tombe malade et, autour de 1815, on la retrouve à Londres avec là aussi des engagements au ballet du London Opera. Elle apparaît dans les témoignages comme une jeune femme sensible et cultivée, qui se désignera comme artiste lyrique sur l'acte de naissance de son fils. Pourtant ce dernier dira plus tard plus brutalement que si la mère de Pierre-Narcisse l'a emmenée à Londres, c'était "pour la vendre". Toujours est-il qu'elle donne naissance en Juin 1818 à une petite Frances (dite Fanny) fille de Lord Lowther, ministre richissime, gros et laid, proche du Prince Régent (le futur George IV) et grand amateur d'Opéra ainsi que de danseuses.

The Voluptuary, caricature du Prince Régent par James Gillray. Son embonpoint lui valait le surnom de Prince of Whales.

Lowther se borne à reconnaître Fanny, qui est baptisée à St James, Westminster, et à faire selon l'usage une petite pension à sa mère. On n'épouse pas les danseuses, et Pierre-Narcisse reprend des contrats de ballet. Meryon s'est occupé d'elle pendant ses couches, et chez la danseuse la reconnaissance est devenue de l'amour. Lui repart en Suisse recruter pour le compte de lady Hester un valet et trois femmes de chambre qu'il accompagne au Liban; elle lui écrit des lettres passionnées. On sait qu'il est revenu en 1821 puisque c'est cette année-là qu'il devient membre du Royal College of Physicians et, surtout, que naît le 23 Novembre à Paris le fils de Charles Lewis Meryon et Pierre-Narcisse Chaspoux, revenue en France pour accoucher.

Selon certaines sources, c'est Lowther qui, prenant ombrage de la liaison de Pierre-Narcisse avec Meryon, l'aurait menacée de couper sa pension si elle ne quittait pas l'Angleterre. De son côté Meryon est d'accord pour subvenir à l'entretien de son fils. Pour cela il lui faut gagner sa vie, il se tourne à nouveau vers Hester Stanhope mais dans l'attente de sa réponse il doit se mettre au service de Sir Gilbert Heathcote, cinquième baronet du nom et membre du Parlement - toujours la coterie du prince régent - avec lequel il part pour Florence où il séjourne jusqu'en 1822.

Félix Bracquemond, Essai naturaliste : un homme suit une femme qui monte dans l'escalier

Meryon et Pierre-Narcisse ne se reverront plus que deux ou trois fois brièvement, en 1824 puis 1828, même s'ils échangent une correspondance régulière. Il lui verse sa pension, dont on sait que certaines années elle sera de six cents francs par an. Des lettres qu'elle lui envoie et qu'il archive soigneusement il ressort qu'elle l'aime toujours, se plaint de son éloignement, puis de sa progressive froideur. Il est tombé amoureux en Angleterre d'une veuve, Eliza Gardiner, qu'il l'épouse en Février 1823. Ils auront une fille et il adoptera le fils qu'elle a eu de son premier mariage. Mais il cache cette union à Pierre-Narcisse jusqu'à ce qu'elle l'apprenne d'un ami commun en 1831. Elle lui écrit alors qu'elle est libérée, qu'elle sent qu'elle va être plus heureuse qu'elle ne l'a été de longtemps - "j'ai toujours pensé qu'il y avait quelque chose de très étrange dans votre conduite à mon égard". En Août 1836 elle brûle toutes les lettres qu'elle a reçues de lui - et elle le lui écrit.

(à suivre)

(1) Charles Meryon, le fils, fait allusion à ce mariage dans une lettre à son père de 1862, seule trace de ce mariage; cf. Collins, Charles Meryon, a life, p. 7 et aussi Lorna Gibb, biographe de lady Hester Stanhope : Lady Hester, queen of the East, Faber & Faber, 2005, p. 32, n. 25.

(2) Gibb, p. 33.

(3) lettre d'Hester Stanhope citée par Collins, p. 6.

Sur la vie et l'oeuvre de Meryon, les sources citées sont les suivantes :

Collins : La principale et la plus fiable est évidemment la biographie de Roger Collins, Charles Meryon, a life, Garton & Co, Devizes, 1999. Collins corrige certaines erreurs des autres biographies, par exemple la légende selon laquelle Pierre-Narcisse Chaspoux serait morte folle, ou la fille que l'on a inventée à Charles Lewis Meryon et Hester Stanhope.

Geffroy : Gustave Geffroy Charles Meryon, H. Floury éditeur, Paris 1926.

Ducros : Jean Ducros Charles Meryon, officier de marine, peintre-graveur 1821-1868, Musée de la marine, Paris, 1968 (particulièrement sur le voyage de circumnavigation de Meryon et son séjour en Nouvelle-Zélande).

Jouve : la meilleure introduction à Meryon en français reste l'article de Pierre-Jean Jouve, Le quartier de Meryon, republié dans son recueil Tombeau de Baudelaire, Editions du Seuil, 1958. Malheureusement cette étude n'est pas incluse dans la réédition du Tombeau par Fata Morgana, 2006.

Les lettres écrites à Charles Lewis Meryon par Pierre-Narcisse Chaspoux et son fils sont conservées au British Museum, B.M. Ms. Dept.

01/10/2007

Auprès de mon arbre

L'arbre de la High School de Jena, Louisiane, à l'ombre duquel seuls les élèves blancs avaient le droit de s'abriter. Et l'année dernière, quand les noirs se mirent à réclamer leur droit à l'ombre, ils trouvèrent trois noeuds coulants suspendus aux branches. On sait ce qui s'ensuivit. Mychal Bell, libéré sous caution, pourra réécouter Strange fruit par Billie Holiday


Southern trees bear strange fruit,
Blood on the leaves and blood at the root,

Black bodies swinging in the southern breeze,

Strange fruit hanging from the poplar trees.


Pastoral scene of the gallant south,

The bulging eyes and the twisted mouth,

Scent of magnolias, sweet and fresh,

Then the sudden smell of burning flesh.


Here is fruit for the crows to pluck,

For the rain to gather, for the wind to suck,

For the sun to rot, for the trees to drop,

Here is a strange and bitter crop.

et, concernant la justice du bon vieux Sud, réviser Furry Lewis, Judge Harsh blues


Good morning judge, what may be my fine?
Good morning judge, what may be my fine?
Good morning judge, what may be my fine?
Fifty dollars eleven twenty-nine (1)

They arrest me for murder and I ain't never harmed a man
Arrest me for murder and I ain't never harmed a man
Arrest me for forgery and I can't even sign my name

Arrest me for murder and I ain't hurt a man
Arrest me for murder and I ain't harmed a man
Arrest Furry for forgery and he can't even sign his name

Some got six months, some got a solid year
Some got six months, some got a solid year
But me and my partner we got lifetime here

If I just had-a known I was goin' to get so long
If I just had-a known I was goin' to get so long
Boy if I just had-a known I was goin' to get so long
Some Western country would have been my home

Western country would have been my home
Western country would have been my home

I know my baby she don't know I'm here
I know my baby she don't know I'm here
Boy my baby she don't know I'm here
If she do she sure don't feel my care
(1) "eleven twenty-nine", 11.29, ça veut dire un an de prison.

Les séquences de film avec Gregory Peck viennent de To kill a mockingbird, un superbe classique antiraciste de 1962, comme quoi ces bons Louisianais nous ramènent assez loin en arrière. Allez, pour se consoler, mais toujours du bon vieux temps, Big Bill Broonzy dans l'instrumental Hey Hey


et aussi dans une cave de Saint-Germain...


...et pour ceux que les coups de soleil démangeraient encore, faute d'ombre, voici Lightnin' Hopkins, Chérie, gratte-moi le dos - Baby, scratch my back...


Ah, et puis l'arbre a été coupé. Des fois que, non mais.

Pour en savoir plus : ici et .

26/09/2007

L'hôtellerie de pensée #1


En la forêt de Longue Attente
Chevauchant par divers sentiers
M'en vais, cette année présente,
Au voyage de Desiriers.

Rentrée 1964. C'est la saison du
Désert rouge.


L'hôtellerie nous ouvre ses portes, à moi et à mes coreligionnaires, internes provinciaux. Nous avons déposé notre paquetage et enfilé nos blouses. Sous l'oeil d'un pion maussade nous attendons la vraie rentrée, celle des externes. Une odeur de goudron chaud emplit la salle d'étude - dehors, sous un soleil de plomb, on refait la cour du Méridien.

Un peu plus tôt, le proviseur (on le surnommait Adonis) m'a exhorté à ne pas faire de prosélytisme. Je peux bien venir de chez les curés du château, ici nous sommes en terre laïque, d'ailleurs dans sa magnanimité l'hôtellerie n'ouvre-t-elle pas ses bras aussi largement aux fils de Maurice Thorez (qui vient de mourir deux mois plus tôt) qu'à ceux du comte de Paris (qui se porte comme un charme) ? Révélation : je ne fais que changer de cléricature, le premier souci de ce cet homme comme de mes pères abbés, c'est de préserver ses ouailles de l'évangile d'en face.

Adonis serait-il rassuré de savoir que je suis pour l'heure plongé dans Samuel Butler, Ainsi va toute chair, signe d'une foi religieuse pour le moins vacillante ? L'odeur de naphte se mêle à celle de l'étude, papier moisi et boiserie chaude, sur ce fond de dilemmes victoriens. L'heure venue le pion nous libère et nous dînons au réf (1) presque désert de spaghettis froids à la sauce rémoulade - nous apprendrons vite que c'est l'ordinaire des dimanches soirs et jours de repos des cuisiniers. Puis nous montons au dortoir où s'alignent nos trente lits, dont celui du pion de nuit dans sa cage à rideaux. J'emporte Butler et ma lampe de poche - j'en suis au chapitre 10, Theobald Pontifex va à la découverte des femmes, sujet intéressant - ainsi que mon transistor, qu'il faut bien cacher sous les draps, pour ceux qui aiment le Jazz.


cliquer pour agrandir
Charles Meryon - Collège Henri IV ou Lycée Napoléon, avec ses dépendances et constructions voisines, eau-forte et pointe sèche, 1864, quatrième état, détail.

Devant sont allés mes fourriers
Pour appareiller mon logis
En la cité de Destinée ;
Et pour mon coeur et moi ont pris
L'hôtellerie de Pensée.

Le lendemain, première classe de philo de ma vie, premier sujet de dissertation, "commentez cette définition d'Alain : la politesse, c'est suivre la mode". Commence un mois de cours sur le behaviorisme et le chien de Pavlov. Décidément, l'année sera rude.

Nous n'avons pas, de loin, autant de fourriers que le duc Charles. Ne comptent pour rien la petite armée des pions souffreteux, ni le peloton de surgés (le Grand Escogriffe, la Vache Noire et le Petit Bossu) tout ce monde n'est là que pour nous pomper le peu de liberté qui reste. Notre viatique du matin et du soir, notre foyer paléolithique, notre ultime ressource à nous autres internes c'est le casier. Métallique, individuel, scellé en rangs superposés aux murs de l'étude, le casier est notre autel domestique, nous y honorons nos dieux lares, cripures et budés. Toutes nos possessions, livres, cahiers et bibelots devant tenir dans ces 40x50x40 centimètres généreusement concédés par l'hôtellerie, le casier est la marque visible de notre voeu de pauvreté tant matérielle qu'intellectuelle. Les externes ont des bibliothèques, des discussions de café et puis encore, qu'en savons-nous, tout Paris à leur disposition, peut-être même des filles. Nous, nous avons le casier, notre secrète richesse. Certains y stockent des bananes, d'autres des noix, l'alcool est aux risques et périls d'une fouille toujours possible, un camarade vietnamien y range prudemment son nuoc-mam (2). Pourtant, médité, mûri, porté à un niveau quasi-transcendantal, le casier devient une ascèse. Je vais choisir la traduction Barni de la Cri(tique de la raison )pure, elle est déconseillée mais les deux tomes sur papier-cul de chez Gibert font 8 millimètres de moins que la Tremesaygues-Pacaud des PUF; si je jette mes bouquins de maths j'aurai juste assez de place pour caser Salinger et Dos Passos. J'ai survécu avec Salinger et Dos Passos cette année-là. Je dois la vie au hobo de l'an premier du siècle, et à Esmé, avec amour et abjection.

Mais quand après la fin des cours vient le soir charmant, ami du criminel
II vient comme un complice, à pas de loup ...

O soir, aimable soir, désiré par celui

Dont les bras, sans mentir, peuvent dire: Aujourd'hui
Nous avons travaillé!
alors nous fermons notre casier suivant la tradition de l'une des deux écoles - au choix, cadenas à clef, ou à combinaison - et nous pouvons sortir une heure (signer la feuille à la loge, au départ comme au retour). On tourne à droite, achat d'une demi-baguette - ce qu'on peut avoir faim quand on a seize ans - et première halte au café des Quatre sergents de la Rochelle, qui en ce temps-là existe encore au coin de la Mouffe et de la rue Clovis. Puis direction la Chope de la Contrescarpe. En 1964, il suffit de descendre un peu la Mouffe et on n'est déjà plus du tout chez les riches, là le Paris de Yonnet et Giraud a encore de beaux restes, voilà bien un luxe que les élèves d'aujourd'hui n'ont plus. Si on tourne à gauche on va vers Maubert où la cloche tient encore bon son morceau de pavé. Et puis Gibert, les PUF pour les bouquins obligatoires qu'il va falloir serrer dans le foutu casier. On revient, on a le coeur serré devant le ciel mauve et doré de la rue Soufflot le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l'homme impatient se change en bête fauve
- alors ce soir, mon ange, nous troquerons encore notre jeunesse contre le pain mou du réf' et le Gaffiot de l'étude d'après-dîner ? Puis on revient, à l'hôtellerie.

Et encore je me souviens de ce Samedi 19 Décembre, nous sommes consignés dans le dortoir pour un chahut quelconque, et on entend des voix sur la place du Panthéon.
(à suivre...)


(1) dans la base Mnémosyne du musée de l'E.N. il faut recliquer sur la vignette pour l'agrandir.
(2) A propos du casier, sujet inépuisable, les amateurs de littérature policière pourront aussi lire H4 blues de Jean-Bernard Pouy.

11/09/2007

Le greffe : Botero

Fernando Botero : Le chat de la Rambla del Raval, Barcelone

Comme tous les chats, il a ses caprices; il a déjà déménagé deux fois.

19/08/2007

Le greffe : Edward Lear

CC was Papa's gray Cat,
Who caught a squeaky Mouse;
She pulled him by his twirly tail
All about the house.

Edward Lear, Nonsense Alphabet

16/07/2007

Le voyage de Meryon, #1 : l'histoire de lady Hester Stanhope


Dernier quart du XVIIIème siècle en Angleterre, sur les côtes de la Manche. Une petite fille saute dans une barque et se met à ramer; elle a décidé de visiter la France, de sa propre autorité qui est déjà fort impérieuse. On la ramène de force mais elle n'est pas de celles qui renoncent facilement. Hester Lucy Stanhope est la fille aînée de Charles, troisième comte de Stanhope. Grand seigneur, whig et excentrique, il sera le principal (et, à la fin, le seul) partisan de la révolution française à la chambre des lords, et aussi l'inventeur de la presse Stanhope, qui révolutionnera brièvement l'imprimerie avant le passage à la vapeur - une bonne partie de sa fortune y passera et il refusera de déposer un brevet pour la mettre gratuitement à la disposition de l'humanité. Hester est aussi la nièce de William Pitt le jeune, et quand il redevient premier ministre en 1804, elle lui sert d'hôtesse et de maîtresse de maison, car il est célibataire. Elle trône à sa table, devient la coqueluche de la haute société londonienne.

A la mort de Pitt deux ans plus tard, l'Angleterre fait à Hester une pension à vie de 1200£ mais elle s'ennuie et, après trois chagrins d'amour successifs, elle prend la mer en 1810 en compagnie de son médecin, Charles Lewis Meryon. A Malte un jeune homme, Michael Bruce, devient son amant et se joint à l'expédition dont les effectifs se montent déjà à neuf personnes en arrivant à Corinthe. Elle poursuit vers Athènes et Constantinople, où son projet était de gagner la confiance de l'ambassadeur de France afin d'obtenir un passeport pour Paris et, arrivée là, de séduire Napoléon pour mieux connaître ses projets afin d'aider l'Angleterre à l'abattre... Hélas, les diplomates anglais épouvantés l'empêchent de mettre son plan à exécution. Dépitée, elle s'embarque pour l'Egypte.
Sur la route d'Alexandrie, son navire fait naufrage à Rhodes; suivant la version consacrée de l'histoire Stanhope et ses compagnons y perdent leurs vêtements et doivent s'habiller à la mode locale; elle refuse de porter un voile et adopte l'habit "turc" masculin ou ce qu'elle pense être tel, y compris le sabre.

C'est dans ce costume qu'elle sera reçue par Méhémet Ali pacha. Puis elle se rend à Damiette. A Jaffa, elle y va au culot avec le Cheikh Abou Goch, seigneur bandit de la région, et lui annonce qu'elle le tient pour personnellement responsable de la sécurité de son voyage à Jérusalem. Fasciné ou amusé le cheikh accepte et empoche au passage l'argent qu'elle lui offre. Cela permettra à Hester Stanhope de faire le Grand Tour de Palestine, par Jérusalem, Narazeth, Acre etc.



Quand elle arrive à Sidon (Saïda) dans l'actuel Liban, la lady anglaise est devenue une sorte de chef de bande féminin et nomade, futur
topos de l'orientalisme qui sera grâce à son confident-médecin un énorme succès de librairie. Ce qui fait le charme de son histoire, c'est qu'on ne sait pas vraiment démêler ce qui tient de son propre délire interprétatif, des exagérations de Meryon rédacteur de ses Mémoires, de son indéniable charisme personnel et du mythe de prophétesse cavalière qui se mit peu à peu à la précéder - à quoi il faut ajouter bien sûr l'hospitalité et la tolérance orientales, la protection qu'Allah dispense aux fous et aux originaux. Le même scénario qu'à Jaffa se reproduit chez l'émir Bashir, suzerain des Druzes, qui l'invite à Deir El-Kamar où elle arrive avec une caravane de 22 chameaux, 25 mules et 8 chevaux. A Damas où elle se fait inviter par le Pacha, elle entre à cheval sans coup férir - c'était normalement interdit aux chrétiens - toujours sans voile et habillée en homme. Enfin à Palmyre elle se présente seulement accompagnée de deux guides devant l'émir de la 'Azanah, lui déclarant, paraît-il "je sais que tu es un voleur et que je suis en ton pouvoir, mais je ne te crains pas; j'ai laissé derrière moi tous ceux qu'on me proposait comme protection pour te montrer que c'est toi que j'ai choisi comme tel." On dit que l'émir fut conquis. Elle visite la ville, accompagnée d'une procession de chefs bédouins le long des ruines des colonnades romaines, et dans ses souvenirs enjolivés cette visite se transformera en un couronnement de "reine du désert".

Elle retourne au Liban pour s'y établir définitivement à partir de 1818. Michael Bruce l'a déjà quittée en 1813 pour revenir en Angleterre. Puis Meryon fait de même, ne revenant que pour deux visites, la dernière en 1838. Elle s'installe au monastère de Mar Elias à Abra, puis à Joun, dans ce qui devait être appelé Dahr-as-Sitt, le domaine de la "Sitt" de Joun. Elle s'y claquemure dans le petit palais labyrinthique de 36 pièces qu'elle a fait construire, et où la légende la décrit entourée de gardes albanais et d'esclaves noirs, au milieu des orangeraies, de son jardin d'arbres tropicaux et de fleurs importées, avec son étable éclairée en permanence ou deux juments sacrées sont nourries de sorbets et de friandises. Là elle reçoit en audience les voyageurs occidentaux dont Lamartine, et d'anciens officiers de Napoléon un peu fous. L'un d'eux restera sur place, mais y mourra avant elle, et elle l'enterrera dans la tombe qu'elle s'était préparée.

Devenue un petit potentat local elle s'investit dans les luttes de pouvoir du Levant, d'abord amie, puis ennemie de l'émir Bashir II, manoeuvrant entre la Sublime Porte, Méhémet Ali, les Ansaris de Lattaquié et le Wali de Tripoli, accueillant chez elle des centaines de réfugiés Druzes... Petit à petit elle se met à croire à sa propre légende de devineresse astrologue et de fiancée promise au Mahdi.
Mais elle finit par crouler sous les dettes, elle s'est aventurée dans des fouilles archéologiques coûteuses et inutiles à Ascalon, et ne peut plus faire face aux frais d'entretien de Joun - il faut faire monter à main d'homme l'eau pour arroser les jardins, et l'eau potable est encore plus loin, à trois heures de là par caravane spéciale de chameaux. Finalement l'Angleterre lui coupe sa pension pour complaire à ses créanciers damascènes. Ses domestiques qu'elle ne paie plus la quittent l'un après l'autre en emportant ses possessions; elle mure la porte principale de sa demeure et renvoie ses dernières suivantes. C'est un missionnaire américain, accompagné du consul britannique de Beyrouth, qui découvre son corps abandonné dans sa chambre. En bon missionnaire il se demande alors "si une telle fin était le prix à payer pour une telle vie". Sa tombe est sur la colline, face à la mer, près de son palais en ruines; elle porte six lignes en anglais et en arabe "lady Hester Lucy Stanhope, née le 12 mars 1776, morte le 23 Juin 1839".

D'elle, son oncle Pitt assurait que si elle avait été un homme il lui aurait donné le commandement de l'armée contre Napoléon, Byron disait "cette chose dangereuse, une femme avec de l'esprit", et Méhémet Ali pacha qu'elle "lui avait causé plus d'ennuis que tous les insurgés de Syrie". Une chose est sûre, prête à payer le prix pour sauter dans sa barque, Hester Lucy Stanhope a eu une vie.







06/07/2007

Le greffe : Léon Hayard

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Léon Hayard, Dictionnaire d'argot, 1907 p. 21

01/07/2007

Le greffe : Gaudeamus

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Steinlen

14/06/2007

Le greffe : dernier banquet

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Gustave Doré

13/05/2007

Le grand art de la chambre d'enfant : Charles A. Buchel

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Peter Pan et Wendy, en route pour Neverland. Illustration de Buchel pour une affiche lors de la création de la pièce en 1904. Merci aux féeriques Roses de Décembre, où l'on peut trouver beaucoup d'autres informations sur James Matthew Barrie.

25/04/2007

Fantômes à la rencontre


Andrée Rolane, qui fut Cosette dans les Misérables de Henri Fescourt, tourné en 1925 (via Vintage photographs)

22/04/2007

Chambre d'enfant : Lawson Wood

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Wee Willie Winkie rins through the toun,
Up stairs and doon stairs in his nicht-goun,
Tirlin' at the window, cryin' at the lock,
"Are the weans in their bed, for it's noo ten o'clock?"
"Hey, Willie Winkie, are ye comin' ben?
The cat's singin' grey thrums to the sleepin' hen,
The dog's spelder'd on the floor, and disna gi'e a cheep,
But here's a waukrife laddie that winna fa' asleep!"
ainsi commence l'original de la comptine en Scots, ce qui donne en version anglaise :
Wee Willie Winkie runs through the town,
Up stairs and down stairs in his night-gown,
Tapping at the window, crying at the lock,
"Are the children in their bed, for it's now ten o'clock?"
"Hey, Willie Winkie, are you coming in?
The cat's singing purring to the sleeping hen,
The dog's spread out on the floor, and doesn't give a cheep,
But here's an insomniac boy who will not fall asleep!"
(la version complète sur Wikipedia)

On peut aussi écouter la chanson ici en remerciant Scuilwab

D'autres nursery rhymes de Lawson Wood sur Visual telling of Stories

19/04/2007

18/04/2007

Je me souviens...

de Thierry.
En 70 et 71 nos deux groupes (Révo et VLR) étaient très proches, je me souviens de Thierry à Censier, il était une fois et demie plus grand, plus large et plus fort que tout ce qui l'entourait, cela lui donnait cette assurance inquiéte de ceux qui ne savent pas trop jusqu'où il faut suivre leur corps.
Je me souviens de la rage de Thierry le jour où un tir tendu de CRS a défiguré son ami Richard Deshayes.
Je me souviens du slogan du FLJ, le Front de Libération de la Jeunesse, créé par Richard et Thierry; c'était "nous ne sommes pas contre les vieux, nous sommes contre tout ce qui les a fait vieillir".
Je me souviens que Thierry avait inventé le jeu du "qu'est-ce-que je fais là ?" : il s'insinuait dans un TD de la Fac, s'asseyait au dernier rang, et au bout d'un quart d'heure de cours, il se levait brusquement et criait "mais qu'est-ce que je fous là ? C'est ça la vie ? Mais ce qu'on écoute ici n'a rien à voir avec ce que je veux vivre, je m'ennuie, je veux vivre ! Partons d'ici!" Il n'était pas rare qu'il emmène avec lui une partie du cours; puis il recommençait dans un autre TD. Evidemment il était comme nous, complètement en-dehors des études, et il passait là entre les manifs, le militantisme à Flins, la base ouvrière de VLR, la communauté où il vivait. Drôle d'époque.
Puis il y a eu l'auto-dissolution de VLR, la création de "Tout", mais la majorité de notre groupe n'a pas suivi la trajectoire, nous restions de bons militants.
La vie de Thierry (mais là je ne suis plus que par la presse, voir par exemple ici pour quelques jours dans Libé) c'était ensuite la critique rock à Libération, la musique, la production musicale, Virgin France, le lancement des Rita Mitsouko et de Marquis de Sade, et il n'a pas l'air d'avoir tenu jusqu'au bout dans le monde des requins.
Thierry Haupais retiré à Trouville est mort lundi d'une cirrhose à 55 ans. Je recopie la fin d'un de ses derniers éditoriaux :

Salut à toi, joli mec aux yeux bruns ;

salut à toi, jeune fille aux yeux verts.

Salut mon copain.