21/12/2025

Un florilège de fin d'année : malotru d'étranger...

 

 

La découverte de cette malle aux trésors des incipits (en remerciant Tororo) me donne l'envie, à l'occasion des fêtes, de colliger les textes qui comportent - même en passant - les termes Noël, le Nouvel An voire le Réveillon par le biais d'une recherche randomisée dans ma bibliothèque (mettons que ce soit une tentative de dérive électronique de fin d'année...)

Et donc ça commence en préparant Noël avec... 

 

 


...Prix Renaudot 1939, dans cette mine de plomb/argent du Sud de la France, petit bagne salarié pour travailleurs étrangers en situation plus ou moins régulière et surnommée l'île de Java... Perroni, l'employé aux écritures, scrute la liste du personnel, évoque au passage la douce nuit, sainte nuit - mais il ne faut pas y dépasser les limites :

 

  Ritals, Ruthènes, Bulgares, Turcos, allez, tous des norafs pas de chez nous. D’accord, sont nés d’une femme eux aussi, faut bien, mais au bord de la route comme qui dirait, d’où que c’est des races sans papiers ni rien. Notez, on ne leur cherche pas noise, même pas, à preuve qu’on est hospitalier et tout, sauf que moi, les Polaques-Bosniaques-Macaques, confessez que nous en avons notre claque.

  Je confessons, je confessons. Dix ans ce Valaque a été manœuvre d’usine ; dix ans de métro, de bifteck frites, d’église orthodoxe, jusqu’à tant que par une sainte nuit de Noël il se pisse un coup contre un lampadaire – et malotru d’étranger ! flagrant délit d’exhibitionnisme, violon, raclée, correctionnelle, un an avec sursis, expulsion, affaire suivante. Cet Albano, naguère sujet austro-hungaro-roumano selon le traité de Vienne, présentement sujet zéro selon le traité de Versailles, énumère au Tchéco ou Serbo ou Yougo, à vous de statuer, les cent façons de baiser les frontières à la barbe des gabelous. Le Birman, qui se dit mandchou mais serait plutôt chinetok, pense calcule que ses frontières à lui pointent droit Est-Est à cause des Japonais, de Chapeï, de la 19e armée et du fils de chienne Tchang Kaï-Chek. L’Espingo, en cavale du Tercio, de la Légion, de lui-même, bourre sa pipe, l’allume, se promet que si la pipe tient bon un quart d’heure tapant c’est à Bayonne qu’il ira, sinon c’est à Bayeux. Les femmes mettent le nez dehors, la trompe d’une micheline ponctue les trente-deux aires du vent, pas de panique, ronde est la terre et courbe l’horizon, alors pas de panique, où que tu ailles c’est à rebours que tu arrives. On y va, on y va. Le Tchéco fait sauter un caillou dans sa main, le Valaque fait claquer les branches de ses bretelles, la pipe de l’Espingo tiendra bon un quart d’heure tapant. Il ne se rappelle plus au juste les termes de son pari, mais jeune est encore la nappe du matin et longue l’imagination. Continuant sur sa lancée, le Chinetok vitupère le Kouo-min-tang et le bloc des quatre classes. Le Tchéco en perd son caillou, bloc quoi s’inquiète-t-il, kouo qui. L’ Albano se cure le dedans des ouïes avec une allumette, les frontières il en sait long, c’est là où quand tu les baises de Croatie en Slovénie, c’est. 

  — Et la Niña de la Cruz ? s’informe l’Espingo. Tu y baises comment la Niña de la Cruz ?

  — Simple. Par le versant nord du Srmk. tu la. (1)

 

Jean Malaquais - Les Javanais, 1939, chap. X

 

(1) Commentaire de Léon Trotsky : "L'auteur est jeune et aime passionnément la vie. Mais il sait déjà établir entre lui-même et la vie la distance artistique nécessaire pour ne pas se noyer dans son propre subjectivisme."

 

Et à propos de Malaquais, déjà

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