14/03/2021

Spéculatif (une semaine de lectures, #2)

Fear Case, ép. 1 - Matt Kindt (scénario) Tyler Jenkins (dessin)

 

Quand j'étais jeune, j'étais plutôt Winters que Mitchum, j'avais un peu de temps to lay around and read speculative science-fiction

Evidemment, quand j'étais encore plus jeune, j'avais commencé par des trucs comme ça...

 

John Broome (scénario) Carmine Infantino (dessin) - Prisoners of the atom universe

Strange Adventures, Septembre 1957


...qui avaient déjà un petit côté spéculatif, n'est-ce pas ? Évidemment, dès que je fus un tout petit peu moins jeune je tombai, sans rémission aucune, sur


Édition UGE 10/18, 1963, du cycle Randolph Carter (1919-1933) traduction de Bernard Noël

 

et, bien que modifiée voire retraduite par deux fois, c'est bien cette version qui s'est imprimée dans les neurones de ma génération...

 

Par trois fois Randolph Carter rêva de la cité merveilleuse. Par trois fois il en fut arraché au moment où il s’arrêtait sur la haute terrasse qui la dominait. Dorée, magnifique, elle flamboyait dans le couchant, avec ses murs, ses temples, ses colonnades et ses ponts voûtés tout en marbre veiné...

 

Bien sûr ma génération, comme les autres, a eu tendance à rechercher Kadath par des chemins nouveaux...



Anonyme - Esquisse de la réalité conseilliste, avec des citations de Guy Debord, Charles Fourier et Anton Pannekoek

P. Borione éd. Paris 1970


chemins qui revenaient d'ailleurs sur eux-mêmes, comme pour Randolph Carter.


Et voici que Carter avait enfin descendu le vaste escalier de marbre qui mène à sa cité merveilleuse, car il était de retour dans la belle Nouvelle-Angleterre, le pays qui avait modelé son âme.

Alors, aux accords des milliers de sifflements du matin et dans les éblouissants rayons de l’aube qui se reflétaient sur le grand dôme doré de la Chambre Législative, sur la colline, et pénétraient chez lui par les vitraux violets, Randolph Carter se réveilla en criant dans sa chambre de Boston. Des oiseaux chantaient dans des jardins invisibles et le parfum mélancolique des jasmins palissés montait des tonnelles que son grand-père avait dressées. La beauté, la lumière émanaient de la cheminée classique, de la corniche sculptée et des murs aux peintures grotesques ; au coin du feu, un chat noir, le poil luisant de santé, émergeait en bâillant de son somme dont l’avaient tiré le sursaut et le cri de son maître. À d’innombrables immensités de là, bien loin de la porte du Sommeil Profond, du bois enchanté et de la terre des jardins, au-delà de la mer Cérénérienne et des abords crépusculaires d’Inquanok, Nyarlathotep, le chaos rampant, rêvait dans la citadelle d’onyx au-dessus de Kadath, la cité inconnue du désert glacé. 

 

Mais l'important ce n'est pas la destination, c'est le voyage. Et même quand le confinement rend le voyage immobile, on peut voyager (spéculativement) dans l'interruption. Après tout, comme le dit un grand sage itinérant mais local

 

Joli T-shirt distribué par Interfolio Livres

 

Aussi, même et surtout pendant ces interruptions non désirées, il n'est rien de meilleur, pour échapper à tous les discours faussement rassurants, réellement angoissants, de nos chefs du moment qui nous parlent comme ils parleraient, effectivement...


 

 Dans L'Obs, quelques années plus tôt

 

à des chaises, il n'est rien de meilleur donc, pour moi du moins, que de voyager spéculativement dans ma propre peur, ce miroir de la peur des autres, et par exemple me plonger dans une bonne BD paranoïaque. A l'encre bien noire, et à l'aquarelle.


Fear Case, ép. 2

 

 

Fear Case est un work in progress. Le grand œuvre de Matt Kindt est bien entendu MIND MGMT, édité en français chez Monsieur Toussaint Louverture.


 

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