22/11/2017

Une suite allemande (8 et fin) : je ne recherche que des ombres


Marlene Dietrich - Das ist Berlin, wie's weint, das ist Berlin wie's lacht
De l'album Marlene singt Berlin, Berlin, 1965
Paroles et musique de Willi Kollo
Mis en ligne par Petr Radziwill






" Dans les terrains clôturés de la Geisbergstrasse et le long du Mur, ces immeubles noirs, aux façades meurtries, aux fenêtres arrachées se détachent sur le ciel. Ces ruines sont aussi fascinantes qu'inquiétantes. Des débris jonchent le sol aux alentours. Il me vient à l'idée de les épier comme s'ils étaient vivants, d'y pénétrer pour y retrouver la trace de vies disparues et qui ne subsistent qu'à travers ces lambeaux de papier peint qui marquent les cloisons des pièces sur les autres murs encore intacts. À côté de ces immeubles en ruine, les petits magasins que l'on a construit à côté semblent inexistants. On reste muet devant ces gigantesques cadavres. "

J'avais rédigé cette note, il y a six ans, en 1976. Quand je suis revenu à Berlin, il y a trois mois, les ruines avait en grande partie disparu. Même les vieux immeubles de la Friedrichstrasse avaient été abattus pour faire place à des constructions neuves en ciment coloré. Berlin, le Berlin que j'aimais, disparaissait lentement sous les coups des bulldozers et de l'urbanisme moderne. J'étais presque saisi par la folie de photographier tout ce qu'il en restait encore : les ruines bien sûr, mais aussi ces vieux immeubles de briques noircies, ces façades lépreuses, ces arrière-cours, ces balcons rouillés qui, bientôt, feraient place aux nouvelles constructions. Tôt ou tard, il reconstruiront Wedding et Kreuzberg, les vieux quartiers ouvriers, et je m'y sentirai étranger. 

Je marche dans les rues pour rencontrer des fantômes. (...) J'aime la ville parce qu'elle m'est étrangère, car le monde qui m'intéresse ne se vit qu'à travers les traces et les ruines, les musées et les bibliothèques, les façades noircies et les débarras ou s'entassent pêle-mêle les témoignages d'un passé, qui ne cesse de sombrer à travers les couches du temps, comme ces ruines disparaissent à l'aube, derrière le brouillard. Je ne recherche que des ombres. Et j'aime la distance et les ombres.
Jean-Michel Palmier (1944-1998) - rêveries d'un montreur d'ombres, 1982
Christian Bourgois éd. 2007,  pp. 17-18




Décrire et plaindre les reconstructions/redestructions de Berlin, c'est maintenant devenu un genre littéraire, avec ses petits miracles (1) et ses redites, et chaque livre dans ce genre est comme une pelleteuse qui emporte les autres, dirait-on. Mais je crois que c'est Jean-Michel Palmier (2) qui, le premier, nous a fait sentir ce goût d'ombre et cette odeur de fumée.






(1) Berlin-chantiers, de Régine Robin, par exemple.

(2) Ceux de ma génération lui sont reconnaissants, aussi, d'avoir été le premier à nous faire connaître Ernst Bloch et Traces, car :
"Quand arriverons-nous donc plus près de nous-mêmes ? au lit ? en voyage ? chez soi, où tant de choses au retour nous paraissaient meilleures ? Chacun connaît le sentiment d’avoir oublié quelque chose dans sa vie consciente, quelque chose qui est resté en route et n’a pas été tiré au clair. C’est pourquoi ce qu’on allait dire à l’instant et qui vient de nous échapper nous semble souvent si important. Et lorsqu’on quitte une chambre qu’on a assez longtemps habitée, on jette un regard bizarre autour de soi, avant de partir. Là aussi, quelque chose est resté, dont on n’a pas eu l’idée. On l’emporte néanmoins avec soi pour recommencer ailleurs." Ernst Bloch, Traces










On peut lire en ligne les articles redécouverts de Jean-Michel Palmier ici.



Et, décidément les chats sont repartis. Au cinéma. Il reviendront, peut-être, à la toute fin de Novembre.

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