09/09/2016

L'art de la lecture : marins et autres


Yannis Tsarouchis - Ναύτης που διαβάζει /  Marin qui lit, Villeneuve-les-Sablons, 1980









Une série de lectures pour la fin de l'été - il fait très chaud l'après-midi, surtout là d'où les chats vous écrivent, autant en profiter. Et donc.

Ypsilon a publié voici plus d'un an la traduction française par Pascal Neveu de Mariners, Renegades and Castaways par C.L.R  James. Et donc. Un bref début de biographie de notre auteur.


C.L.R. James, photographié vers 1946


1834
L'esclavage est aboli dans l'empire britannique, et par voie de conséquence dans l'île de Trinidad.

4 janvier 1901
C.L.R. James naît dans le village de Caroni (Trinidad), fils de Robert Alexander et Ida Elizabeth James. Son père est professeur à North Trace, sa mère une grande lectrice qui lui fera découvrir Shakespeare, Thackeray, Jane Austen, Dickens, les Brontë, Arnold Bennett, Thomas Hardy, Rudyard Kipling, Anthony Trollope... et P.G. Woodehouse. La famille vit à Tunapuna, à 9 miles de Port of Spain, la capitale.

 A six ans, monté sur une chaise, il regarde de la fenêtre de sa chambre les matchs de cricket sur le terrain voisin; en étendant le bras il peut saisir les livres posés sur l'armoire "...thus the pattern of my life was set." (1)

1910
Réussit à l'exhibition, examen qui permet d'obtenir une bourse d'étude au Queen's Royal College (QRC), l'école secondaire la plus réputée de Trinidad, où il entre en Janvier 1911. Latin, grec, français, histoire ancienne, mathématiques et littérature. Mais il se consacre surtout à la lecture et au sport. Record de saut en hauteur de Trinidad, il faut partie des meilleurs bowlers de l'équipe de cricket de la QRC.

1918
School certificate et sortie de QRC. Enseigne et donne des cours particuliers. Commence à jouer dans le club de cricket de Maple, comme batter et bowler; il y restera jusqu'à son départ pour l'Angleterre. Ecrit des essais et des fictions courtes pour divers journaux et revues de Trinidad. Se passionne pour la calypso music.

Hiver 1919-1920
Grève des dockers de Port-of-Spain, qui s'étend à d'autres industries. Les grévistes, emmenés par des militants garveyites obtiennent une augmentation de 25% des salaires.

1924
Arthur Andrew Cipriani (le "capitaine Cipriani") devient secrétaire de la Trinidad Workingmen's Association (TWA) organisation populiste et réformiste qui deviendra le Trinidad Labour Party en 1934. "Curieux amalgame de Garveyisme et de travaillisme à l'anglaise" (2), la TWA, avec son journal The Labour Leader, fait campagne pour le suffage universel masculin, la reconnaissance des syndicats, la gratuité de l'éducation primaire et secondaire, et pour une Fédération Caribéenne, sans cependant demander l'indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni. James sympathise avec le mouvement, et écrit probablement des articles sur le cricket pour le Labour Leader. 1925 Pour la première fois, les électeurs peuvent désigner une partie des membres du Legislative Council de Trinidad. Cipriani est élu dans la capitale avec 50% des voix.

1927
Premier succès littéraire de James avec une nouvelle, La divina Pastora.

1928 Ecrit son roman Minty Alley, qui ne sera publié qu'en 1936. Commence à écrire son essai biographique sur Cipriani, The life of captain Cipriani : an account of British government in the West Indies. Il y reconnaît l'apport du mouvement de Cipriani, tout en appelant à aller plus loin en demandant le self-government.

1929
Epouse Juanita Samuel Young, vénézuélienne d'ascendance espagnole, sténographe dans un cabinet d'avocats.

Mars 1932
Part pour l'Angleterre, sur l'invitation de Learie Constantine, qui finance l'édition de sa biographie de Cipriani.
Constantine, champion de cricket Trinidadien récemment établi à Nelson, Lancashire, est alors en passe de devenir une légende du sport - il sera Wisden Cricketer of the Year en 1940 et, beaucoup plus tard, le premier noir à entrer à la chambre des lords, Baron Constantine of Maraval in Trinidad and Tobago and of Nelson, in the County Palatine of Lancaster...



Cricket card de Learie Constantine


Anticolonialiste et anti-raciste, il sera en 1944 à l'origine d'un jugement décisif pour la non-discrimination en Angleterre, contre l'Imperial Hotel qui lui avait refusé une chambre. Dix ans plus tard il publiera Colour Bar, une analyse (co-écrite avec C.L.R. James) du racisme anti-noir au Royaume-Uni (3). Devenu avocat en 1954, membre du People's National Movement il sera ministre des travaux publics de Trinidad, et premier high-commissioner de son pays à Londres, quand l'île aura gagné son indépendance. 

James s'installe à Nelson chez Constantine et co-écrit son livre Cricket and I

1933
Leonard Woolf (le mari de Virginia Woolf) republie plus largement un extrait de la biographie de Cipriani, sous le titre The case for West-Indian Self-Government. James prend la parole avec Constantine dans de multiples réunions à travers le nord de l'Angleterre, sur le cricket, les Caraïbes, leurs perspectives d'indépendance. Invité à parler à la BBC à l'occasion du centenaire de l'abolition de l'esclavage par Royaume-uni, il appelle à l'autodétermination des colonies. Le Colonial Office proteste immédiatement auprès de la BBC. Nelson est alors une ville d'industrie textile, avec des syndicats actifs et des militants de l'Independent Labour Party (ILP), alors une scission de gauche du Labour - c'est le parti de George Orwell. Constantine les lui fait rencontrer, notamment Harry et Elizabeth Spencer, auxquels sera dédié The Black Jacobins. James devient marxiste à leur contact. Lecture de l'Histoire de la Révolution Russe de Trotsky, de Lénine et du Capital. James entreprend aussi un programme de lecture sur Toussaint Louverture et Haïti. Séjours en France à Paris et à Marseille, pour se documenter sur Toussaint Louverture, grâce au soutien financier des Spencer.

1934
James emménage à Londres. Chroniqueur de cricket pour plusieurs journaux. Fréquente, outre les militants de l'ILP, de nombreux anticolonialistes africains et caribéens. Ecrit The Black Jacobins. Prend contact avec des trotskystes de la section de Hampstead de l'ILP, et adhère à une petite organisation trotskyste, le Marxist Group, qui fait de l'entrisme à l'ILP. James, excellent orateur et doué d'un fort charisme, fait bientôt partie des dirigeants du Marxist Group et des "personnalités" de l'ILP. Il rencontre également Karl Korsch.

Août 1935
Pour soutenir les Ethiopiens envahis par l'Italie mussolinienne, James fonde  avec George Padmore, Trinidadien qui est aussi son ami d'enfance, Amy Ashwood Garvey, Jomo Kenyatta, T. Ras Makonnen et I.T.A. Wallace Johnson l'International African friends of Abyssinia qui deviendra l'International African Service Bureau après la défaite des Ethiopiens. L'IASB forme l'aile radicale du mouvement pan-africain.

1936
Le Marxist Group est exclu de l'ILP. Publication de The Black Jacobins et de World Revolution, 1917-1936. Ce livre fait le bilan des échecs du Komintern en Chine, en Allemagne et en Espagne, reprenant pour l'essentiel les thèses trotskystes, mais allant parfois plus loin - par exemple en étendant l'examen critique à la politique allemande de la IIIème internationale du temps ou Trotsky était encore au pouvoir, ou en s'en prenant au centralisme hérité de Lénine. Représentation au London's Westminster Theatre de Toussaint Louverture, pièce écrite par James, avec dans le rôle principal Paul Robeson - dont la prestation sauve les lourds dialogues. James et Robeson voulaient prolonger par une série de représentations commerciales où ils auraient alterné dans les rôles de Toussaint et de Dessalines. Le projet ne se réalisa pas, probablement du fait de leurs attaches politiques contradictoires (Le PC pour Robeson, les trotskystes pour James.) Traduit en anglais le Staline de Boris Souvarine.

1938
James P. Cannon, de passage en Angleterre, rencontre James et lui propose de venir aux Etats-Unis pour une série de conférences sur la situation européenne, et pour orienter l'action du SWP, le parti trotskyste états-unien, en direction des noirs.

Septembre 1938
James est un des deux délégués anglais - et le seul noir - à la conférence de fondation de la Quatrième Internationale, à Paris. Il y insiste sur la nécessité d'intervenir sur la question coloniale, souhaitant que cette tâche soit confiée à la section anglaise.

Octobre 1938
Débarque aux Etats-Unis. Tournée de meetings sur la côte Est, puis dans le Midwest et enfin en Californie. Se rend au Mexique et passe plusieurs jours à Coyoacan pour rencontrer Trotsky. Ce dernier réside encore à la Casa Azul chez Diego Rivera. Ils discutent de l'intervention du SWP sur la "question noire". James propose que les trotskystes impulsent et soutiennent la formation d'un mouvement noir indépendant pour les droits civiques, le but n'étant pas le recrutement de trotskystes mais l'auto-organisation des noirs américains. Il insiste sur la nécessité de former les militants du SWP à l'histoire du mouvement noir et de ses luttes. Trotsky, préoccupé par l'aspect "aristocratique" du mouvement ouvrier blanc américain, n'est pas hostile aux vues de James; ils parviennent à un accord : James tiendra une rubrique régulière dans le journal du SWP Socialist Appeal et mettra sur pied un bureau des "negro affairs". En revanche, James s'affronte à Trotsky sur les thèses contenues dans World Revolution, 1917-1936. James repart pour les Etats-Unis par bateau jusqu'à la Nouvelle-Orléans. Au débarquement, taxis pour blancs et taxis pour noirs. Premier contact avec la ségrégation, qui se continue dans le bus pour New-York.

Printemps 1939
James fait une conférence sur la negro question dans une église de Los Angeles. Dans l'assistance, quelques jeunes blancs dont Constance Webb, étudiante à Berkeley et militante du SWP, qui gagnera ensuite sa vie comme mannequin et actrice. Début de leur correspondance; James épousera Constance Webb en 1946.




Constance Webb, modèle et militante
Photo de l'Agence Conovor (vers 1943) utilisée pour la page de couverture de ses Mémoires


30 novembre 1939
L'armée rouge envahit la Finlande : début de la guerre d'hiver. 400.000 hommes, 1.500 avions, 1.500 tanks côté russe, 265.000 hommes, 270 avions, 26 tanks côté des finlandais, qui bloquent cependant l'avance des russes et leur infligent de lourdes pertes en utilisant des tactiques de guérilla/encerclement.

Avril 1940
Convention du SWP à New-York. Le débat porte sur la défense et la caractérisation de l'URSS. En particulier, faut-il la soutenir dans la guerre contre la Finlande ? La majorité du parti, avec James P. Cannon, reste sur les positions définies par Trotsky : l'U.R.S.S. reste un état ouvrier, certes "dégénéré" et doit être défendue de façon inconditionnelle envers et contre tout. 

"Demain les staliniens étrangleront les ouvriers finlandais. Mais aujourd'hui ils donnent, ils sont contraints de donner une formidable impulsion à la lutte de classe sous sa forme la plus aiguë. Les chefs de l'opposition fondent leur politique non sur le processus "concret", tel qu'il se développe en Finlande, mais sur des abstractions démocratiques et de nobles sentiments.  La guerre soviéto-finlandaise commence déjà, visiblement, à se prolonger par une guerre civile, où l'Armée rouge -pour l'instant- est dans le même camp que les petits paysans et les ouvriers, tandis que l'armée finlandaise bénéficie du soutien des classes possédantes, de la bureaucratie ouvrière conservatrice et des impérialistes anglo-saxons. Les espoirs qu'éveille l'Armée rouge chez les masses pauvres finlandaises ne seront, en l'absence de révolution internationale, qu'une illusion; la collaboration de l'Armée rouge avec les masses exploitées sera temporaire; le Kremlin peut très vite se retourner contre les ouvriers et les paysans finlandais. Nous savons tout cela d'avance et nous le disons ouvertement, en guise d'avertissement. Mais pourtant, dans cette guerre civile "concrète", qui se déroule en Finlande, quelle place "concrète" doivent prendre les partisans de la Quatrième Internationale? Si en Espagne ils se sont battus dans le camp républicain, alors que les staliniens étouffaient la révolution socialiste, à plus forte raison doivent-ils, en Finlande, se trouver dans le camp ou les staliniens sont forcés de soutenir l'expropriation des capitalistes.
Trotsky, L'opposition petite-bourgeoise dans le SWP, 1939. 

En fait, l'ensemble de la population finlandaise, y compris les ouvriers, appuiera la résistance à l'invasion. L'état-croupion de la République Démocratique de Finlande présidée par Kuusinen se limite aux zones occupées par l'armée rouge.

La minorité du SWP, avec James Burnham, Max Schachtman et Martin Abern, opte pour la "défense conditionnelle" : ne défendre l'U.R.S.S. que si elle est attaquée par les puissances impérialistes dans le but d'anéantir les dernières conquêtes d'Octobre. Dans ces conditions on ne peut pas défendre l'agression contre la Finlande. C.L.R. James, initialement neutre dans le débat, se range du côté de la minorité, dont il défend les thèses à la réunion du SWP de la côte Ouest à Los Angeles. A la même époque James commence à travailler avec Raya Dunayevskaya sur la question de la caractérisation de l'U.R.S.S. et du capitalisme d'état, Dunayevskaya se concentrant sur les questions économiques.



Ceri Dingle, Rob Harris - Every cook can govern, Documenting the life, impact & works of CLR James, 2016
VO anglaise sans sous-titre, en vente ici
Mis en ligne par worldwrite



Avril 1940
La minorité du SWP quitte le parti et fonde le Workers' Party (WP) avec 800 membres. S'y retrouvent les jeunes et les intellectuels juifs New-Yorkais, alors que la grande partie des cadres syndicaux reste au SWP. Saul Bellow, Hal Draper, Irving Howe, James T. Farrell font ou feront partie du WP.

Fin 1940
Le visa touristique de 6 mois de James a déjà été prolongé une fois pour lui permettre de soigner son ulcère à l'estomac. Cette fois il arrive à péremption; à partir de ce moment il ne peut plus parler en public et vit dans une quasi-clandestinité. Il adopte "J.R. Johnson" comme principal nom de plume.

1941
Suit pour le journal du Workers Party la grève de 8000 sharecroppers (métayers) en grande majorité noirs dans le sud-est du Missouri, menée par le local 313 de l'UCAPAW (United Cannery, Agricultural, Packing, and Allied Workers of America). James écrit sous leur dictée le pamphlet Down with starvation wages in Southeast Missouri ! La grève sera victorieuse au bout de onze semaines.

Conférence nationale du WP. Raya Dunayevsakaya, sous le pseudonyme de Freddie Forest, soumet une contribution intitulée "l'U.R.S.S. est une société capitaliste". James, sous celui de J.R. Johnson, propose une résolution où il définit la Russie comme un capitalisme d'état. C'est la naissance officielle de la tendance "Johnson-Forest" que rejoignent d'autres militants comme Grace Lee et Marty Glaberman. 


"Il y avait trois options (a) soit la propriété d'état des moyens de production ou luer nationalisation faisait de l'URSS un état ouvrier ou (b) cette nationalisation en faisait une nouvelle formation, ni capitaliste ni socialiste, ou (c) c'était une forme de capitalisme d'état où, même si la propriété était publique, la production se faisait selon les lois de l'accumulation capitaliste. Trotsky et la majorité du Socialist Workers Party s'obstinèrent dans la première position. La majorité du nouveau Workers Party, mené par Schachtman, choisit la seconde, appelant la nouvelle formation "collectivisme bureaucratique". CLR épousa la troisième. Il fut rejoint par Raya Dunayevskaya..." (4) 

1942
James et Constance Webb fréquentent régulièrement Richard Wright et sa femme Ellen, cela jusqu'à leur départ pour Paris en 1947. Par eux il sont en contact avec les intellectuels noirs de la "coterie" de Wright, Chester Himes, Ralph Ellison, les pionniers de la sociologie urbaine Horace R. Cayton et St Clair Drake, l'anthropologue Manet Fowler, E. Franklin Frazier, Lawrence D. Reddick et le poète Melvin B. Tolson. Prend part au projet de revue American Pages impulsé par Wright ("a Magazine Reflecting a Minority Mood and Point of View. Nonpartisan, non-politial, espousing no current creed, ideology or organization"). Le projet, destiné au lectorat noir et aux "blancs éclairés" ne verra pas le jour suite à des dissensions, mais cette idée de périodique culturel et d'opinion préfigure Correspondence, édité plus tard par les Johnsonites, après leur départ du SWP.

1944
Débat interne au Worker's Party sur la Black Question. C'est, classiquement, un débat intégration/autonomie. La position majoritaire au WP, défendue par Ernest McKinney ("David Coolidge") est celle de l'intégration dans une organisation multiraciale (le slogan "Black and White, unite and fight !") Celle de James est, comme à Coyoacan, de construire une organisation autonome noire. "La lutte des noirs pour les droits démocratiques n'est pas une concession faite par les marxistes aux noirs; aux Etats-Unis aujourd'hui cette lutte est directement partie prenante du combat pour le socialisme" (5).

1946 La tendance Johnson-Forest quitte le WP.

1947
Pendant trois mois après sa sortie du WP, la tendance reste autonome et publie coup sur coup plusieurs ouvrages : The American Worker, Dialectical materialism and the fate of humanity. Dans The American Worker, Paul Romano ("Phil Singer") décrit son travail sur la chaîne de montage à la General Motors. C'est un des premiers exemples de (sociologie) critique du travail dans une entreprise fordiste entreprise par un ouvrier. 

Après quelques mois d'autonomie, la tendance rejoint le SWP. A cette époque le SWP prévoit que la fin de la guerre entraînera une remontée des luttes syndicales et la tendance le considérait comme plus sérieux que le WP dans l'intervention ouvrière. D'autre part le SWP connaissait des difficultés pour recruter des noirs, et attendait beaucoup de James sur ce point. C'est lui qui présente à la Convention du SWP le rapport sur le Negro problem, dans la ligne de ses contributions au précédent débat dans le WP : le mouvement autonome des noirs a en lui-même un contenu socialiste et contribuera à instruire, transformer et faire progresser la classe ouvrière dans son ensemble. 

1948
James part pour Reno, Nevada, capitale états-unienne du divorce. Il doit y légaliser son divorce au Mexique d'avec sa première épouse, Juanita James, afin de ne pas être considéré comme bigame suite à son second mariage avec Constance Webb, alors enceinte de leur enfant. James doit séjourner plusieurs mois à Reno puis à Pyramid Lake; il travaille un temps comme jardinier, aide-cuisinier et homme à tout faire dans un motel où il réside. Là, à Pyramid lake "au fin-fond de nulle part" il passe le temps en lisant la Logique de Hegel et en traduisant en anglais La lutte de classes sous la première République de Daniel Guérin.

1949-52
La tendance Johnson-Forest, ressentant de plus en plus le dogmatisme du SWP, se désaffilie progressivement du parti trotskyste états-unien et le quitte en 1950. La tendency abandonne le mythe du parti d'avant-garde et considère désormais que les marxistes, même s'ils peuvent conserver une forme de coordination, font partie d'un mouvement émancipateur plus large qu'ils n'ont aucun droit à diriger. En ce sens, la tendency participe d'une évolution, alors minoritaire mais générale (voir Socialisme ou Barbarie en France, par exemple) qui voit des marxistes abandonner la position dogmatique pour apprendre du mouvement de la société.

Pendant cette période James écrit ses deux plus grands livres après The black jacobins (6) : American Civilization, resté malheureusement à l'état d'ébauche, publié seulement en 1993 bien après sa mort, et Mariners, Renegades & Castaways.

American Civilization est une ode à l'esprit populaire états-unien et, rare chez les marxistes, un éloge de la recherche révolutionnaire du bonheur à travers le prisme de la culture de masse : cinéma, romans de gare, bandes dessinées, magazines et musique de jazz.

Mariners..., qui fait de Moby Dick une métaphore de l'usine et de la société capitalistes modernes, n'est pas encore terminé quand le Bureau de l'immigration arrête James au printemps de 52 pour "absence de passeport".



Lindsay Blair Brown - Couloir abandonné d'Ellis Island 
©2011-2016 LindsayBlairBrown

Le mariage de James et de Constance Webb se défait progressivement à partir de 1949. La naissance de Nobbie, leur fils, y est probablement pour quelque chose, mais aussi le harcèlement permanent du FBI et de la police. Il faut rappeler que les miscegenation laws sont encore en vigueur en Californie - où vivait Constance Webb la plupart du temps - jusqu'en 1948 (Perez vs Sharp) et que la police pouvait vous interpeller très facilement si vous étiez un couple multiracial (7). Après son arrivée à Londres, CLR se remariera avec Selma Weinstein, mais ceci est une autre histoire.

Pendant six mois, interné sur Ellis Island, James continue d'écrire Mariners... Finalement, sa demande de citoyenneté états-unienne rejetée, il doit s'embarquer pour l'Angleterre en automne 1953.



Rockwell Kent - Chapitre XXI - On rallie le bord ?
Illustration pour Moby Dick
Via Book Graphics



(à suivre, éventuellement) 



(1) C.L.R. James, Beyond a boundary, p.13 

(2) Kent Worcester, C.L.R. James, a Political biography, p.21

(3) En 1963 encore, la compagnie des bus de Bristol refusait d'embaucher des noirs. Il fallut plusieurs mois de boycott, soutenu par Learie Constantine, pour que la compagnie change de politique.

(4) Grace Lee Boggs, Living for change, p. 50. Trad. Les Chats.

(5) J.R. Johnson "resolution of the minority" New International, Janvier 1945, cit. in Kent Worcester op. cit.

(6) Et avant Beyond a boundary, son essai autour du cricket.

(7) Voir le récit que fait Webb d'une interpellation au retour de Palm Springs : Constance Webb, Not without love, University Press of New England 2003, p. 252.


lI existe maintes biographies de CLR, dont une en français par Matthieu Renault. En anglais on a le choix, avec une préférence des chats pour celle de Kent Worcester, ainsi que pour les mémoires de Constance Webb et de Grace Boggs. La correspondance Webb/James a été publiée sous le titre Special Delivery.

Et sur la Tendency, déjà.





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