10/08/2016

Le bar du coin : on est seulement malheureux au point de départ


Emile Bernard - Au Café de Paris, date inconnue 
Huile sur carton 
Collection privée


Le soir venu, je me rends dans une gargote sur un boulevard noir de monde, je m’installe aussitôt à une table contre la vitre et pendant des heures je regarde les gens passer. Si je m’ennuie ? Au contraire, je m’amuse follement. Vous croyez que j’observe l’accoutrement des gens et que j’invente des histoires ? Pas du tout ! Alors vous allez me demander : comment vous amusez-vous ? Comment je m’amuse ? Je songe à la mort, à la vieillesse, aux guerres à venir… Plus je suis envahi de pensées sombres, plus je m’amuse. Les gens sont tous méchants. La vie est vaine. L’amour est une sottise. Et ainsi de suite. Mais comment s’amuser avec des pensées pareilles ? Rien n’est jamais tout noir. Cherchez, vous trouverez. Moi j’ai trouvé le plus difficile : le remède contre la mort ! J’imagine que je ne vais pas mourir et ça marche. Disons qu’après avoir eu plein de sombres pensées, on atteint un monde tout frais, tout gai, tout heureux. On est seulement malheureux au point de départ. Il ne faut donc pas s’en faire, on est comme avant. Insouciant, joyeux…

Sait Faik Abasiyanik, Le Café du coin, 1950
trad. du turc par Rosie Pinhas-Delpuech, Bleu autour éd. 2013

En remerciant François Durif

1 commentaire:

Tororo a dit…

On est contents de vous revoir, les chats! Et c'est super-gentil d'avoir ramené de vos vacances un remède contre la mort (miam!).