22/02/2016

Ciel... Mandeville (et ils écrivirent des lettres dans la poussière)


Maître Bohémien des Voyages de Mandeville - Enluminure pour la traduction en tchèque par Vavrinec de Brezová du Voyage d'outre mer de Jean de Mandeville, 1er quart du 15ème siècle
Dessin à la grisaille rehaussé de couleurs
British Library, additional 24189, f15r
En remerciant demonagerie


Ce superbe recueil ne contient que de grandes miniatures, à l'exclusion du texte même du Voyage - l'image ci-dessus fait référence au début du chapitre III (parfois titré de la cité de Constantinople et de la foi des grecs) :



Jean de Mandeville, Voyages, version continentale, 1371
Manuscrit, f5v
Source : Gallica/BnF


"En ce pays il y a de bien hautes montagnes, vers la fin de Macédoine. Il y a une montagne appelée Olympe, qui sépare la Macédoine de la Thrace. Et elle est si haute qu'elle dépasse les nuages. Et il y a une autre montagne qui s'appelle Athos qui est si haute que son ombre s'étend jusqu'à Lemne qui est à soixante-dix milles plus loin. Et au sommet de cette montagne l'air est si pur qu'il n'y court aucun vent. Et pour cela ni oiseau ni bête n'y pourraient vivre car l'air y est trop sec.

Et l'on dit en ces contrées que jadis les philosophes montèrent sur ces montagnes, et qu'ils portaient à la main une éponge mouillée d'eau, car autrement ils n'auraient pu respirer, si bien qu'ils auraient défailli et étouffé, parce que l'air y est trop sec. Et au sommet de ces montagnes ils écrivirent de leurs doigts des lettres dans la poussière. Et au bout d'un an ils remontèrent et trouvèrent les lettres telles qu'ils les avaient écrites l'année d'avant, sans être en rien altérées ou déformées. Par quoi il apparaît bien que les montagnes vont jusqu'au pur air."

On sait beaucoup de choses sur Jean de Mandeville, et comme toutes ces choses sont floues et contradictoires, on n'en sait donc à peu près rien : qu'il s'agit peut-être d'un gentilhomme anglais, ou encore d'un liégeois, ou même d'un auteur imaginaire inventé par un autre liégeois. Ce qui est à peu près sûr, c'est qu'il existe trois sources manuscrites du Voyage, dont l'une dite continentale, écrite en roman (c'est-à-dire en français) dont le plus vieux manuscrit date de 1371 (1), et une autre en anglo-normand dite insulaire, peut-être plus ancienne.

"Jean de Mandeville" a probablement lu plus de voyageurs (2) qu'il n'a voyagé lui-même, même s'il assure avoir été jusqu'en Chine et avoir servi dans l'armée du Grand Khan. Mais son Voyage est resté un classique pendant trois siècles (on en conserve plus de deux cent cinquante manuscrits) et, surtout, une incroyable source d'images - ouvrez le Livre des Merveilles de Jean sans peur (3) : quatre-vingt-quatre miniatures pour Marco Polo, certes, mais pas moins de soixante-quatorze pour Mandeville. Car les voyageurs imaginaires ne sont pas les moins imaginatifs.





Christine Deluz (4) a traduit la version insulaire du Voyage de Mandeville : ici aux Belles-lettres et, en édition critique, aux éditions du CNRS. Et le texte anglais lui-même est en ligne ici.




(1) Copié pour Charles V par Raoulet d'Orléans, ce scribe royal qui sera bien plus tard un héros de roman.

(2) Dont Odoric de Pordenone, hélas moins connu que Marco Polo.

(3) Outre les deux grandes vedettes, il sont tous là, ceux qui avaient la bougeotte du bas moyen-âge : Odoric de Pordenone, Guillaume de Boldensele, Hayton l'historien, Riccoldo da Monte Croce...

(4) Qu'on peut également lire ici.

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