09/03/2015

Que tout vient à son heure


Jean Moral - Paris, ca 1930
Via undr




Un chômeur se promène de long en large 
en répétant d'une voix morne


LE CHÔMEUR

Achetez-moi des allumettes.


Arrive un gros bien vêtu avec chaîne de montre, 
qui s'arrête un instant
et le regarde comme une bête curieuse.


LE CHÔMEUR

Achetez-moi des allumettes, je n'ai pas de travail, c'est la crise.


LE GROS BIEN VÊTU

La crise... la crise... Vous me faites rire... ça n'existe pas la crise... j'm'en fous... Tenez, c'est comme vos allumettes, j'en ai pas besoin... J'ai un briquet.


Il sort un énorme briquet de sa poche, 
l'allume et l'éteint brusquement en ricanant.


LE GROS BIEN VÊTU

Eh... Eh... !


Soudain il s'arrête 
et s'apercevant à la lueur de son briquet
que le chômeur est bossu, il s'avance vers lui.


LE GROS BIEN VÊTU

Vous permettez ?


LE CHÔMEUR, résigné.

Bien sûr...


Le gros lui touche et lui retouche sa bosse 
en poussant de petits cris de joie, 
puis sort une pièce de monnaie de sa poche 
et la donne au chômeur.


LE GROS BIEN VÊTU

Tenez, mon brave... Attendez-moi un instant, je vais chercher ma femme.




Jacques Prévert - extrait de La Crise, ou Gros-Doré, sketch destiné au scénario du film tchèque Dolina de Georg Höllering (non réalisé, 1933) et intégré par la suite au répertoire du groupe Octobre.

in Jacques Prévert - Sketches et chœurs parlés pour le groupe Octobre 1932-1936, textes réunis et commentés par André Heinrich, Gallimard, 2007 (pp. 462-463).

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