29/01/2015

Portrait craché : au pince-nez la folie


Louis Buisseret - Portrait d'homme au pince-nez
Via Κατερίνα Μπαλαφούτη




Ordinaire bêtise extraordinaire des lendemains d'attentats - ici on suspend un prof de philo pour avoir perturbé une minute de silence à laquelle, dit-il, il n'a pas assisté - là on dépose plainte contre un enfant de 8 ans, pour apologie du terrorisme. Absence au silence, ou absence de silence, ces délits nouveaux. D'où des difficultés, d'ailleurs, chez les tout-petits - juste remarque de cette directrice d'école à paris : "le Président de la République n'a jamais travaillé dans une école maternelle !"

A noter que les circonstances aggravantes sont les mêmes que d'habitude, l'enfant de 8 ans s'appelle Ahmed, le prof de philo était suffisamment dangereux pour animer le Comité poitevin contre la répression des mouvements sociaux et pour déplaire à son inspecteur général.

Je me souviens de quand j'avais l'âge du petit Ahmed, et de la façon dont on perçoit et répercute, en ces tendres années, la dinguerie des adultes. C'était la guerre d'Algérie, et on était abreuvés de récits de juste-lutte-contre-le-terrorisme (six ans plus tard on allait nous dire que les terroristes avaient peut-être un peu raison, finalement, et qu'il fallait tout oublier). Dans la cour de récré, une petite copine s'était précipitée vers moi les larmes aux yeux

"Il paraît qu'il y a des fellaghas dans la Gardiole..."

et j'avais dû la rassurer avec mes mots d'enfant de huit ans - et ce refrain qui me trottait dans la tête : mais ils sont où, les adultes ?

Les adultes, ils sont en train de devenir fous. 

Il faut soigner la folie, même quand elle brandit des kalachnikov. Sinon la dinguerie des tueurs de dessinateurs, de juifs et de policière municipale déteint en dinguerie thinkpol. Soigner, ce n'est pas défoncer les portes, ce n'est pas expliquer à sens unique - c'est surtout  explorer les tiroirs secrets de l'histoire - ceux d'où ressort un jour la folie à kalachnikov. Et, pourquoi pas, faire des émissions aux heures de grande écoute, des débats sous les préaux d'école, à propos des tiroirs secrets. Et se rappeler, aussi, des promesses faites depuis plus d'une génération.

Et oui, ces temps-ci je me réveille la nuit, je mets mon pince-nez et je relis Jean Malaquais. Instructif, Malaquais.


"Faute de savoir que faire de moi, je me gave de lecture à en avoir la berlue; et, semblable aux cocus de l'existence qui dans le moindre brin de paille déchiffrent un présage, il m'arrive de voir double en tombant sur des lignes qui me sont aussi familières que mon nom :


Oui, fidèle au conseil de Flaubert à Mlle de Chantepie, je lis pour vivre."

Jean Malaquais - Journal du métèque, entrée du 19 Août 1940 
Phébus éd. 1997, p. 237






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