21/01/2015

Chambre d'enfant : alouette sans tête et tête de veau


Peter Newell - "Come on" cried the griffon and, taking Alice by the hand, it hurried off, without waiting for the end of the song / "Venez donc" cria le Griffon et, prenant Alice par la main, il se mit à courir sans attendre la fin de la chanson
Illustration pour Lewis Carroll,  Alice’s adventures in Wonderland, New York, London, 1901
Via OBI Scrapbook Blog








Nonsensical Songs : Beautiful Soup - Alice in Wonderland
Mis en ligne par John Adams




« Oh ! une chanson, je vous prie ; si la Fausse-Tortue
(1) veut bien avoir cette obligeance, » répondit Alice, avec tant d’empressement que le Griffon dit d’un air un peu offensé : « Hum ! Chacun son goût. Chantez-lui « La Soupe à la Tortue, » hé ! camarade ! »
La Fausse-Tortue poussa un profond soupir et commença, d’une voix de temps en temps étouffée par les sanglots :

« Ô doux potage,
Ô mets délicieux !
Ah ! pour partage,
Quoi de plus précieux ?
Plonger dans ma soupière
Cette vaste cuillère
Est un bonheur
Qui me réjouit le cœur.

« Gibier, volaille,
Lièvres, dindes, perdreaux,
Rien qui te vaille, —
Pas même les pruneaux !
Plonger dans ma soupière
Cette vaste cuillère
Est un bonheur
Qui me réjouit le cœur. »








« Bis au refrain ! » cria le Griffon ; et la Fausse-Tortue venait de le reprendre, quand un cri, « Le procès va commencer ! » se fit entendre au loin.
« Venez donc ! » cria le Griffon ; et, prenant Alice par la main, il se mit à courir sans attendre la fin de la chanson.
« Qu’est-ce que c’est que ce procès ? » demanda Alice hors d’haleine ; mais le Griffon se contenta de répondre : « Venez donc ! » en courant de plus belle, tandis que leur parvenaient, de plus en plus faibles, apportées par la brise qui les poursuivait, ces paroles pleines de mélancolie :

« Plonger dans ma soupière
Cette vaste cuillère
Est un bonheur
Qui me réjouit le cœur. »

Lewis Carroll - Alice au pays des merveilles, 1865 
traduction française d'Henri Bué, 1869 (2)


Beautiful Soup - Essai enregistré le 5 Avril 1947 pour le film Alice in Wonderland des studios Disney (1951, réal. Clyde Geronimi, Wilfred jackson & Hamilton Luske)
Chanson non intégrée au film, les personnages du Griffon et de la Tortue ayant été supprimés
Mis en ligne par The22deltabravo





(1) Comme chacun sait depuis que les notes de bas de page existent, la Fausse tortue (selon Henri Bué, cf. note 2 ci-dessous) en anglais Mock turtle, doit son nom à la Mock turtle soup qui est faite à partir d'un peu tout ce qu'on veut - spécialement de la cervelle et de la tête de veau - à l'exception de la tortue (3).

(2) Traduction particulièrement infidèle, certes, en ce qui concerne la chanson. Mais comparez avec la version française la plus courante (celle d'Henri Parisot), vous verrez que la fidélité est parfois handicapante - et puis cette "tortue fantaisie", oh, dear... La traduction la plus recommandable me paraît être celle d'Elen Riot (2€), où la Mock turtle s'appelle tout simplement la Tortue toc. Mais c'est un avis tout personnel - sur les graves questions que soulève la traduction d'Alice dans la langue d'oïl, on peut aller voir ici, et on peut constater que chez l'Alice (Liseta !) provençale le Lièvre de Mars devient l'Âne de Martigues et la Fausse tortue une alouette sans tête...

(3) La Mock turtle soup, cette soupe de tortue sans tortue, est une jolie métaphore du nonsense. Comme cette soupe, le nonsense ne coûte pas cher, mais il permet de transmettre des messages sophistiqués à l'aide des matériaux les plus humbles (faire passer la tête de veau pour de la tortue marine, quand même...). Sujet de réflexion : culture enfantine de réaction à la morale normalisatrice, le nonsense serait, aussi, une culture du pauvre.






"Savez-vous que Campbell Soup Co. ne m'a jamais envoyé une seule boîte de soupe ? Et j'en ai acheté de toutes les saveurs. Si jamais vous dénichez une Mock Turtle, gardez-la moi. C'était ma préférée, mais je devais être le seul à l'acheter, parce qu'ils l'ont arrêtée. Les soupes sont comme des peintures, vous ne trouvez pas ? Imaginez un collectionneur malin qui aurait acheté toutes les soupes Mock turtle quand il y en avait, pas chères, et qui les vendrait maintenant pour des centaines de dollars la boîte"
Andy Warhol, interview par David Bourdon, 1962 (4)


(4) Cette citation de Warhol est dédiée aux petits entrepreneurs schumpétériens et audacieux qui, à la gare de Montpellier, ont acheté lors de sa parution, par paquets de dix, tous les exemplaires du numéro 1178 de Charlie-Hebdo pour les revendre 35€ pièce.


2 commentaires:

Patricia a dit…

Montpellier - Crépy-en-Valois : même combat des entrepreneurs schumpetériens !

Tororo a dit…

L'Alouette Sans Tête, c'est mignon comme tout: je serais curieux de voir les illustration de cette version en lengo nostro! Mais la question ne serait-elle pas plutôt: sert-on encore aux petits lecteurs d'aujourd'hui de la soupe de tortue fantaisie, ou des alouettes sans tête? Faudra-t-il se résigner à ne leur parler que des bêtes sans tête qu'ils connaissent, et faire chanter la complainte de la soupe par le Poisson Carré avec les Yeux dans les Coins?