20/06/2014

Portrait craché : dégel


Youri Pimenov - Борис Пастернак - Оттепель / Boris Pasternak - Dégel, 1967 
Institut d'art réaliste russe
Source


Dégel, mais glaçante ironie. S'il est un auteur qui n'a pas bénéficié une seconde du timide dégel (о́ттепель - ottepel) khrouchtchevien de 1957-63, c'est bien Boris Pasternak, forcé de refuser le prix Nobel, traité de fasciste par l'Union des écrivains, cloîtré dans sa datcha de Peredelkino et poursuivi jusqu'après sa mort en 1960 par la vengeance du régime qui condamnera sa muse, la Lara du DocteurOlga Ivinskaïaà huit ans de camp dont elle effectuera quatre.


- Ben oui, dit M. Chat, le Docteur m'a toujours fait pleurer
Mme Chat - Toujours ton côté midinette...
M. Chat - J'assume, j'assume...




Bonus : En 1960 la mort de Pasternak inspira à Chostakovitch une pièce célèbre de sa suite des Satires, d'après un poème écrit en 1909 par Sacha Tchorny, Les Descendants : 


Nos ancêtre rampaient dans des caves
en se murmurant à l'oreille :
Les temps sont durs, les gars, mais bien sûr nos enfants
auront une plus belle vie que nous

Les enfants grandirent, et eux aussi
rampèrent dans des caves  en des temps précaires
Eux aussi murmurèrent : "nos enfants
verront le soleil, après nous"

(...)

Je veux un peu de lumière
Pour moi-même, tant que je vis
Du tailleur jusqu'au poète
Tout le monde comprend ce que je dis

La voici : 


Dimitri Chostakovitch - Satires, op. 109 - Les Descendants 
Vera Kalberguenova-Reumann, soprano - Irina Chkourindina - piano
Mis en ligne par Vera Kalberguenova



Pour la diffusion télévisée, la censure exigea que ce morceau soit retiré de la suite. Les interprètes refusèrent et la répétition fut annulée. Dans ses mémoires, la soprano Galina Vichnevskaïa raconte que le producteur de la télé tendait le poème incriminé d'une main tremblante "comme s'il tenait un cobra". Ainsi chantaient les lendemains.




On trouvera ici une analyse (en anglais) des Satires op. 109, par Gilbert Rappaport (Université du Texas), avec la traduction (en anglais, toujours) des poèmes de Sacha Tchorny.

Sur la réaction de Chostakovitch à la mort de Pasternak, voir par exemple Solomon Volkov, Chostakovitch et Staline, Anatolia/éd. du Rocher 2005, pp. 311-318. 


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