07/01/2013

Les ancêtres : Bang


Kugelhandgranate / Grenade à main Kugel de l'armée allemande, modèle 1913


La guerre de 14-18, telle que mon pépé la racontait, c'est une des histoires les plus courtes que je connaisse.

"On avançait dans le petit bois, j'avais mon flingot, et paf !"

Paf, c'était la Kugelhandgranate, la grenade réglementaire Kugel de l'armée allemande, et très probablement son modèle 1913 - au fil des années suivantes il sera régulièrement amélioré, comme on pense.

C'était l'Alsace en 14, et les généraux français appliquaient à la lettre la doctrine de l'école de guerre : offensive à outrance. A pied et à la baïonnette. En face, les mitrailleuses, l'artillerie lourde, les tirs de salve et, donc, les grenades à main et au fusil.

C'était donc en Alsace et on chargeait. Pendant que les Allemands vous enveloppaient par la Belgique.

"On avançait" donc, "dans le petit bois". Mon pépé, avec son pantalon garance. A l'assaut de l'armée impériale. Et puis, Paf.

A quoi ça tient, la vie d'un homme : un coup de vent déviant à peine une trajectoire, le bras plus ou moins fatigué d'un fantassin saxon, un pied qui bute sur une branche, un bon copain.

C'était sans doute un bon copain, celui qui a ramené mon pépé sur son dos, sous un tir que j'imagine nourri.




Tout récemment des gens ont voulu décerner la légion d'honneur à un auteur/dessinateur français, fort estimable et qui pour le rester a donc vertement refusé ladite distinction.

La légion d'honneur. A Jacques Tardi. Elle est quand même assez à l'ouest, la ministre de la culture. Bref.


Stanley Kubrick - Paths of glory / Les sentiers de la gloire, 1957
Mis en ligne par larmesdespoir


De temps en temps, sur un chanceux, tombe la bonne blessure.  De temps en temps mais pas toujours, faites un tour vers le plus proche monument aux morts et vous verrez. Donc, pépé fut soigné, longuement convalescent, puis réformé et renvoyé dans ses foyers. Croyez bien que pour être réformé en 1915 ou 16, il fallait avoir des arguments - sa main, son bras et son dos n'étaient plus tout à fait les mêmes. Remarquez, la bonne blessure pourtant - elle ne l'empêchait pas d'utiliser son fusil de chasse. Contre les perdreaux, qu'il ratait souvent - contre l'armée impériale c'eût été une autre paire de manche. Donc, retour du pépé, rare miraculé de l'offensive à outrance.


Le retour du soldat



Je ne sais pas s'il avait eu une médaille, une breloque ou citation quelconque, il était taiseux sur la question. Simplement, aux murs de la salle à manger...


La guerre qu’ils ont voulue est la guerre à la guerre
Ils sont morts pour notre terre et pour toute la terre
Monument aux morts d'Aniane (Hérault)


...il y avait sous cadre celles de ses deux frères
Légion d'honneur, Croix de guerre, mort pour la France
Légion d'honneur, Croix de guerre, mort pour la France.


Le pépé, il n'en parlait jamais, il voyait ça du coin de l'œil.




Et quand il passait devant le monument aux morts, presque aussi peuplé que le village, j'imagine qu'il le regardait du même coin d'œil, avec des sentiments mélangés.

Il était retourné dans ses foyers. Et ma mère naquit le 15 mars 1917. En nouveau style, c'est-à-dire selon le calendrier grégorien, c'est exactement le jour de l'abdication du tsar Nicolas II.

A chacun ses ancêtres. Si je fais une petite place dans la galerie des miens à la Grenade Kugel modèle 1913, c'est que d'une certaine façon, sans elle voyez-vous, je ne serais pas là, et vous ne liriez pas ces lignes.

1 commentaire:

Patricia a dit…

Beau récit, M. Chat. Hommage à votre pépé ! Au mien aussi qui est né en 1917, n'a donc pas fait cette guerre-là, ni même la suivante ! Dans votre rubrique Les ancêtres : un train. En 1943, mon pépé était agent de manoeuvre à la SNCF. Pied pris dans un rail, les deux jambes coupées par un train. Pas mort tout de suite. Envoyé dans un hôpital isarien, on lui fit prendre un bain ! Un mort pour rien. Deux garçons orphelins nés en 1939 et 1942, dont mon père. À nos pépés respectifs, hommage.