16/03/2010

Placido, la larme et l'oeil



Michele Placido - Il grande sogno (fr: Le rêve italien), 2009, trailer
Mis en ligne par MRtrailerfilmitaly

Le film n'est pas parfait. Il est lacrymogène, forcément, dans sa première partie et parfois lacrymal pour la seconde. Il tire sur des ficelles de sitcoms - imitant d'ailleurs en cela son prédécesseur, La meglio gioventù. Il est loin d'égaler Romanzo criminale, le chef-d'oeuvre du même Placido. Il a été financé par la Mediaset (1). Le problème n'est pas là.

Il grande sogno est le meilleur film produit sur le Sessantotto  - au sens large (2) - depuis, précisément, La meglio gioventù. Il est grevé de moins d'ambigüités et d'a priori idéologiques que le film de Tullio Giordana, qui reprenait la fausse opposition entre 68 "culturel" et 68 "politico-terroriste". Dans les limites du scénario autobiographique et d'une production grand public, Placido arrive à communiquer par moments l'énergie qui circulait entre les facultés occupées et les grilles des usines, à travers les quartiers, entre ville et campagnes. Mais le problème n'est pas là.

Le problème est dans l'oeil du spectateur français. Je dirais que cet oeil ne peut plus voir un film sur 68 sur le mode naïf et classique de la poétique aristotélicienne : la pitié, la crainte et la catharsis - registre qui reste celui de tout bon mélodrame historique. Que quand on touche à des sujets aussi éminemment politiques, la pitié, la crainte et la catharsis, donc le lacrymal, sont un passage quasi-obligé. Et que c'est là que ça se gâte dans l'oeil du spectateur français.

La dernière fois que cet oeil a pleuré sur 68, c'était il y a longtemps, en 1982.

Romain Goupil - Mourir à trente ans, 1982
Mis en ligne par diegozn


Depuis, sur le même sujet, il n'a eu le choix qu'entre ça

Cedric Klapisch - Le péril jeune, 1995
Mis en ligne par freno10

et ça

Philippe Garrel - Les amants réguliers, 2005
Mis en ligne par izzy0801


...soit entre la grande poilade et la mélancolie distinguée. Mais qu'on pleure de rire ou devant son miroir, ce n'est toujours pas ça, la catharsis.

Vous me direz, des Garrel et des Klapisch, les italiens en ont en stock. Mais le problème n'est pas là. Le problème, c'est que des Tullio Giordana et des Placido français, ça n'existe pas.

La catharsis, pour faire vite, c'est quand on se sent mieux  en sortant du cinéma. Question : pourquoi est-ce-que je me sens mieux à la fin (pourtant un tantinet boiteuse) d'Il grande sogno, alors que je sors de chez Klapisch tout au plus vaguement honteux, et de chez Garrel plutôt plus déprimé qu'avant ? Question subsidiaire : qu'est-ce-que le spectateur français préfère chez Klapisch et/ou Garrel ?

Je risque une réponse : en Italie la pitié et la crainte ont toujours cours, s'agissant du Sessantotto, à preuve. En France en revanche, pays de spasmes brefs et de longs retours à l'ordre, le souvenir de 68 n'a inspiré de crainte que pendant quelques mois, alors la pitié, vous pensez... Ce qui doit expliquer que nous étions quatre dans la salle à la fin d'Il grande sogno, hier.


(1) Et donc par Berlusconi, indirectement. Ce qui ne veut pas dire grand-chose : la corporation du Cavaliere étant quasiment coextensive à l'économie italienne des médias, elle se comporte comme toute économie des médias, produisant tout (en abondance) et son contraire (en série limitée).

(2) Côté étudiant, le Sessantotto italien commence bien avant le mai français, en janvier 66 avec l'occupation de la faculté de sociologie de l'université de Trente. Et dans les usines, le coup d'envoi est bien antérieur.

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