29/03/2022

Anges abandonnés

Ernst Barlach - Die Verlassenen / Les abandonnés, 1913

Bas relief sur bois de noyer

Nationalgalerie Berlin

 

Enst Barlach est l'auteur de l'Ange planant (Der Schwebende)...

 

 

Ernst Barlach - Der Schwebende 

Exemplaire des Antonins de Cologne

 

...suspendu en 1927 dans  la cathédrale de Güstrow en souvenir des morts de la première guerre mondiale, puis retiré par les nazis le 23 août 1937 en tant qu'art dégénéré et fondu en 1941 dans le cadre du Metallspende, le don de métal du peuple allemand pour la guerre.

Une deuxième fonte, réalisée à partir du modèle original et restée cachée pendant la seconde guerre, fut installée dans l'église des Antonins de Cologne. Elle servit ensuite de modèle pour une troisième fonte enfin réinstallée à Güstrow en 1953.

 

 



Barlach avait réalisé plusieurs monuments aux morts pacifistes, dont le monument de Magdebourg, qui furent par la suite déplacés ou détruits par les nazis.

L'artiste a donné au Schwebende le visage...

 

 


 

...de Käthe Kollwitz.

Après des années de persécution et de mise à l'index, Barlach meurt d'un infarctus, le 24 octobre 1938. Kollwitz note alors dans son journal :

 

Le 27, le jeudi suivant, ses obsèques ont été célébrées à Güstrow. J'y suis allée. Le hasard a voulu que j'entre avant les autres dans sa maison et dans son atelier. J'y suis rentrée par une petite porte et je me suis retrouvée devant sa table de travail avec tous ses outils bien rangés. Au mur, derrière, quelques-uns de ses travaux.

En me tournant sur le côté, c'est-à-dire vers ce qui était son véritable atelier, j'ai vu Barlach allongé dans son cercueil ouvert.

Le cercueil était exposé au milieu de la pièce : luxe, solennité, tapis noir et drap mortuaire blanc. Barlach était tout petit. Il était allongé la tête totalement penchée sur le côté - comme s'il voulait se cacher. Les bras tendus, les mains l'une à côté de l'autre, toutes petites et décharnées. Tout autour, au mur, ses figures muettes. Derrière le cercueil, des sapins dressés et au dessus, le masque de l'ange de la cathédrale de Güstrow.

Son petit chien tournillait autour du cercueil et se dressait sur ses petites pattes pour le renifler (1).


A l'entrée suivante du journal, elle ajoute : 

 

J'ai parfois l'impression qu'en mourant, Barlach m'a accordé sa grâce (2).

 

Puis elle réalise cet autoportrait sculpté : 

 

Käthe Kollwitz - En deuil de Barlach, 1938 
Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte Oldenburg
 

 

Ainsi deux anges tragiques, quasi-contemporains, traversent l'histoire allemande du XXème siècle : l'Angelus Novus de Klee, qui accompagnait Walter Benjamin, reculant horrifié devant la catastrophe, et le Schwebende planant en silence au-dessus des morts et des abandonnés.


Sur ce sujet il existe un film, Der verlorene Engel (Ralf Kirsten, 1971 pour la DEFA) qui suit pendant une matinée Barlach le jour où il apprend l'enlèvement de son ange. Le film a été produit (et censuré/enterré) en RDA. On peut éventuellement se le procurer ici (avec sous-titres états-uniens) moyennant une somme qui n'est pas vraiment modique.

Également, une chanson de Wolf Biermann, Das Barlach-Lied.

 

 

(1) Käthe Kollwitz - Mais il faut pourtant que je travaille, Journal - Articles - Souvenirs, trad. de Sylvie Pertoci, L'Atelier contemporain, 2019, p. 458.

(2) Ibid. p. 459.

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