16/12/2018

Regarde la route : à l'ouest rien de nouveau (petite et grande histoire du gaz, #2)


Louis Sabattier - Notre armée noire sur la Côte d'Azur - Les troupes sénégalaises en manœuvre : " Alerte aux gaz " !
Dessin pour L'Illustration du 22 Septembre 1917



"Sous les pins, un bataillon tout entier, sur pied de guerre, avec casques, sacs, bidons, boîtes à masques, fusils-mitrailleurs, tromblons et mitrailleuses, évolue en terrain varié. Arrivés au bord de la route, le fossé figurant une tranchée, les tirailleurs se disposent à faire feu. Soudain un ordre est donné : « Alerte aux gaz ! » En un clin d'œil les masques sont tirés de leurs boîtes et assujettis sur les faces noires. Le colonel chargé de l'instruction assiste à la manœuvre. C'est un vieux colonial blessé gravement deux fois depuis le début de la campagne et qui va "y retourner" sitôt guéri... Il avise un Sénégalais qui n'a pas mis son appareil, va à lui et lui demande pourquoi : — « Moi y en a pas content mettre ça sur mon tête », reprend le nègre. 
 «  Oui, mais, explique le colonel, si toi y en a pas mettre ça sur ton tête, toi y en a mort ! »  «  Y a bon », dit l'autre, et docilement, quoique avec répugnance, il s'emprisonne le museau dans le grotesque sac dont tous ses compagnons sont déjà affublés."





Les masques dessinés par Sabattier semblent être des masques de modèles LTN/TNH, fournis à partir du printemps 1916. Voir à ce sujet cet excellent site consacré à la guerre des gaz en 1914-1918.

On y apprendra (entre autres) que si la date généralement retenue pour une première utilisation des gaz de combat est celle de la seconde bataille d'Ypres - le lâcher de chlore par l'armée allemande le 22 avril 1915 - c'est l'armée française qui fut la première à utiliser en 1914 des projectiles et des grenades au bromacétate d'éthyle.



Grenade suffocante de l'armée française, modèle 1914



Le bromacétate d'éthyle (auquel ont succédés les gaz CN et CS utilisés aujourd'hui) c'est tout bonnement le lacrymogène - celui qui est interdit en tant qu'arme de guerre par la Convention internationale sur les armes chimiques, mais autorisé par la même Convention, dans son article 9 paragraphe d, pour





Autrement dit, vous ne pouvez pas utiliser la fameuse grenade GLI-F4, par exemple, contre ces gens-ci :



Un groupe de Marines posant devant un insigne identifié par les services de communication de l'armée états-unienne comme celui de l'unité "Sniper Scout", Septembre 2010


mais vous pouvez l'utiliser contre ces gens-là :



Manifestation parisienne, 24 novembre 2018



Bien. Mais revenons à notre bataillon de tirailleurs sénégalais. Pourquoi la Côte d'Azur, direz-vous ? Eh bien parce que les quelque 200.000 soldats d'Afrique Occidentale Française qui furent levés pour la première mondiale transitèrent en grande partie, à partir de 1916,  par le camp de Fréjus-Saint-Raphaël, vous savez, celui de Prévert


Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d’une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet

Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés
Jacques Prévert - Etranges étrangers, in Grand Bal du Printemps, 1951



et celui dont Lucie Cousturier parle dans Des inconnus chez moi, dont je recommande, s'agissant de ce fameux Moi y en a..., la lecture des pages suivantes :


  
Lucie Cousturier - Des inconnus chez moi, 1920
ch.VIII, Le portrait de la lune




A propos des larmes artificielles, autorisées ou non, on peut se documenter ici ou .

Et de Sabattier déjà, ici et .

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