22/05/2009

Société du spectacle: histoire des deux danseuses et des deux châteaux



Thomas Gainsborough - Giovanna Baccelli, 1782


Antoine Pesne - La Danseuse Barbara Campanini, dite Barbarina, ca 1745



Rameau - Les Indes galantes - Acte 3, Ballet des fleurs
Orchestre Jean-François Paillard



Giovanna Baccelli est née à Venise autour de 1753 dans une famille d'acteurs itinérants, mais on sait peu de choses de sa carrière de danseuse avant qu'elle se produise en 1774 à Londres, dans un ballet-divertissement tiré des Indes galantes de Rameau. Cinq ans plus tard John Frederick Sackville, 3ème duc de Dorset et ancêtre de Vita Sackville-West, tombe amoureux fou d'elle. Avec des hauts et des bas, cette liaison dura dix ans et fut suffisamment forte pour que le duc l'installât chez lui à Knole House - il parvint même, paraît-il, à l'intéresser au jeu de cricket dont il était un fervent adepte.

Elle eut le privilège de faire faire son portrait non seulement par Gainsborough mais aussi par Joshua Reynolds - et sa statue, qu'on peut encore voir à Knole...


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...par Locatelli.

Pour sa part Gainsborough l'a représentée dans l'attitude et le costume correspondant au ballet Les amants surpris, qu'elle exécuta au King's theatre de Haymarket pendant la saison 1780-81.

Quand le duc de Dorset fut nommé en 1783 ambassadeur d'Angleterre à Paris elle en profita pour y danser à l'Opéra pendant la saison 1782, comme ballerine invitée. C'est la révolution française qui ramena le duc en Angleterre, et ce qu'il en vit le jeta, dit-on, dans un profond état de dépression et de mélancolie dont seule la gaîté de la Baccelli pouvait le distraire - pas suffisamment pourtant puisqu'il finit par décider de racheter sa conduite et de refaire sa fortune en épousant une riche héritière. Conformément aux habitudes de l'époque il fit une pension annuelle de 400£ à Baccelli et celle-ci, de son côté, s'en alla vivre avec Henry Herbert, dixième comte de Pembroke. Après la mort de ce dernier en 1794, elle épousa un certain Mr James Carey... Elle mourut en 1801.



Barbara Campanini, dite La Barbarina, nacquit à Parme en 1721, dansa dans sa ville natale au Teatro Farnese, puis en 1739 à l'Opéra de Paris où Victor-Amédée de Carignan, prince du sang de Savoie, l'installa richement rue Vivienne. Elle était alors la plus grande danseuse de l'époque, réputée pour ses entrechats-huit - ceux où l'on croise les pieds quatre fois durant le saut.

On la retrouve ensuite à partir de 1740 au Covent Garden de Londres, où c'est le coup de foudre mutuel avec
le jeune lord James Stuart Mackenzie. Enfin elle est engagée par le roi Frédéric II de Prusse pour les représentations inaugurales du nouvel Opéra de Berlin. Mais entretemps Stuart Mackenzie l'a accompagnée à Venise où elle danse pour le Carnaval de 1744 au Teatro di San Gionanni Crisostomo (l'actuel Teatro Malibran). C'est probablement à ce moment que Rosalba Carriera, la grande pastelliste de l'ère rococo, exécute - ou fait exécuter par ses aides - les deux portraits fort semblables qu'on peut voir à Londres et à Dresde.


Rosalba Carriera - Portrait de Barbara Campanini


Mais un contrat est un contrat, surtout avec le roi de Prusse. Or James n'a aucune envie de suivre Barbara dans les brumes du nord, et elle tente par tous les moyens de rompre son engagement berlinois. Mauvaise idée : le Sénat de Venise, sur intervention de Frédéric, fait arrêter la Barbarina et l'expédie sous escorte chez son royal client... A l'étape de Goritz, auberge de l'Aigle noir, Stuart Mackenzie tente un coup de main pour la libérer, mais il échoue; il la suit à la trace mais se voit interdire l'entrée en Prusse. Tout ce romanesque et cette publicité vaudront évidemment à la Barbarina un succès monstre à Berlin où on lui prêtera même par la suite une liaison avec le roi. C'est à ce moment qu'Antoine Pesne fait son portrait.

Puis un jour Charles-Louis de Corcejii, fils du grand chancelier, s'éprend lui aussi d'elle et lui demande de l'épouser - occasion qu'en ces temps-là une danseuse vagabonde rencontrait trop rarement pour ne pas la prendre en considération. Scandale familial, Frédéric II fait quitter Berlin à la danseuse et emprisonne au château d'Alt Landsberg le godelureau qui une fois libéré n'aura évidemment qu'une hâte, celle d'épouser sa ballerine en secret. Frédéric, cédant aux prières de la Barbarina, valide le mariage que la famille Coccejii voulait faire annuler, et nomme le jeune époux à Glogau, sinistre trou du fond de la Silésie. La Barbarina l'y suit, finit par s'avouer au bout de quelques années qu'elle ne supporte pas ce mari qu'elle n'a pas épousé par amour, et divorce. Elle achète de ses deniers le château de Berschau pour y finir sa vie comme comtesse de Campanini, se consacrant aux oeuvres pieuses. Elle meurt en 1799.


Pour les avoir tirées de l'oubli, grâce soit rendue au Siefar et à Karen Eliot.

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