19/11/2017

Une suite allemande (5) : l'art de la rue


Lea Grundig - Judengasse / La ruelle des Juifs, 1934
Pointe sèche



Lea Grundig (1906-1977) naît dans une famille de commerçants juifs aisés et orthodoxes, avec laquelle elle rompt à 18 ans. Elle étudie au Conservatoire des Arts Plastiques de Dresde où elle rencontre Hans Grundig, qu'elle épousera, et avec lequel elle rejoint le Parti Communiste allemand (KPD) en 1926. Ils vivent de l'aide sociale dans l'unique pièce d'un petit atelier, s'enthousiasment pour Otto Dix puis pour Käthe Kollwitz. Ils militent tous deux dans l'ASSO (1).

Après la Gleichschhaltung en 1933, elle est arrêtée plusieurs fois...




Lea Grundig - Gestapo im Haus / La gestapo à la maison 
Feuille 10 sur 20 de la série Unterm Hakenkreuz, 1936
Pointe séche



...passe des mois en prison, produit pendant ce temps Unterm hakenkreuz / Sous la croix gammée, une série de 20 gravures, l'équivalent plastique d'œuvres comme le Grand'peur et misère de Brecht. 



Lea Grundig - Flustern und Lauschen / Chuchoter et tendre l'oreille 
Feuille 7 sur 20 de la série Unterm Hakenkreuz, 1936
Pointe sèche


Mais elle continue aussi d'affirmer son identité juive dans des gravures comme la Judengasse.

En 39, elle réussit à s'enfuir en Roumanie, via Vienne et Bratislava, et s'embarque sur le Pacifique...




 Lea Grundig - Die Flucht beginnt / La fuite commence
 de la série Unterm Hakenkreuz, 1935
Pointe sèche



...un bateau acheté par la Haganah pour l'émigration vers la Palestine. Les anglais arrêtent le bateau à quai à Haïfa, pour dépassement de quota d'immigration, transfèrent les réfugiés sur le Patria, vaisseau français de Vichy, pour les expédier à l'Ile Maurice. En réponse, la Haganah saborde le Patria pour l'empêcher d'appareiller, 250 passagers périssent. Lea Grundig, avec les survivants, est enfermée au camp palestinien d'Atlit pendant un an. Elle demeure à Haïfa et Tel-Aviv jusqu'en 1948, ne parvient à rentrer en Europe qu'avec difficulté en se cachant des autorités de l'état juif (le retour vers l'Europe était considéré comme une trahison). Entre Prague et Dresde elle parvient à visiter les camps de concentration de Theresienstadt et de Majdanek, ainsi que ce qui reste du Ghetto de Varsovie. Elle en tire des dessins qui formeront la série "Plus jamais ça" que les autorités de la RDA toute neuve refusent de publier à plusieurs reprises : car il faut se tourner vers l'avenir.

Elle se heurtera d'abord aux tenants de l'orthodoxie artistique - notamment en défendant Käthe Kollwitz - puis s'alignera sur la ligne dure, visiblement par discipline de parti, tout en gardant une certaine autonomie dans sa production personnelle. Elle finira comblée d'honneurs, présidente de l'Union des artistes plasticiens à partir de 1964 et membre en 1967 du Comité Central du SED, le Parti Communiste est-allemand. 

Lea Grundig meurt en 1977 au cours d'un voyage en Méditerranée, sur un bateau qui s'appelait "l'amitié des peuples".

Et au Comité Central elle a pu croiser, peu auparavant, Erich Mielke qui venait d'y être admis en 1976. Le monde est petit, c'est pour cela qu'il est plein de contradictions.



(1) Voir mon précédent billet sur Hans Grundig.



Sur Lea Grundig on peut lire en ligne le bel article d'Eckhart Gillen Identité juive et foi communiste. L’itinéraire de Lea Grundig, de Dresde en Palestine et de Palestine à Dresde, capitale de district de la RDA, 1922-1977, dans le numéro 205 de la revue l'Allemagne aujourd'hui (2013/3) - Artistes plasticiens de retour d'exil en pays germanophones après 1945.

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