05/01/2017

Une semaine Annenkov (1) : les caoutchoucs, les parapluies perdus...



Iouri Annenkov - Autoportrait, en couverture du Journal de mes rencontres. Un cycle de tragédies / Дневник моих встреч. Цикл трагедий 
1ère édition en russe : Inter-Language Literary Associates, New York, 1966
Editions des Syrtes, 2016






A l'occasion de la première publication en français des Souvenirs, une semaine Annenkov et, d'abord, ses portraits.



Iouri Pavlovitch Annenkov naît le 23 juillet (11 juillet ancien style) de l'an 1889 à Pétropavlovsk au Kamtchatka, où son père était exilé pour activités révolutionnaires. Membre de la Narodnaïa Volia, il avait passé un an et huit mois à l'isolement dans la forteresse Pierre-et-Paul après l'assassinat d'Alexandre II. Iouri Annenkov fait partie d'une des grandes familles de l'intelligentsia russe - son grand-oncle, Pavel Annenkov, avait été l'ami de Gogol et de Tourgueniev et produisit les premières éditions critiques de Pouchkine. Incidemment, il est bien connu des marxistes survivants comme le destinataire de la célèbre Lettre à Annenkov sur Proudhon.


En 1892 le père est gracié et se réinstalle à Saint-Pétersbourg. Mais c'est de famille : Annenkov est exclu pendant son année scolaire 1905-06 du gymnase (lycée) pour avoir publié des caricatures politiques dans une revue.



"Lycéen de première, j'étais déjà impliqué dans le mouvement révolutionnaire lycéen. Je prononçais des discours devant des assemblées illégales d'étudiants, je participais aux manifestations de rues, me dissimulant sous les portes cochères pour échappera Cosaques. je voyais le sang sur les pavés et les trottoirs, les caoutchoucs, les parapluies perdus..." (1)





Mstislav Doboujinski - Октябрьская идиллия / Idylle d'octobre 
Dessin pour le magazine satirique Jupel (le croquemitaine), 1905-1906



Ce sera manifestement la seule période militante de Iouri Annenkov. Il continue ses études dans un gymnase privé.





Ossip Zadkine - Portrait de Iouri Pavlovitch Annenkov à l'âge de 22 ans
Bronze
Source




En 1909-11 on le retrouve dans la classe de dessin de Saveli Seidenberg, aux côtés de Marc Chagall. Puis, en 1911-13 à Paris chez Maurice Denis et Félix Vallotton. De retour à Pétersbourg en 1914, ses deux activités principales seront dès lors, jusqu'à la fin de sa vie, le dessin de décors et costumes de théâtre, puis de cinéma et l'illustration d'ouvrages littéraires. Il continue aussi à peindre et se lie au groupe du Monde de l'art (Mir isskoustva) : Doboujinski, Somov, Pétrov-Vodkine...




Iouri Annenkov - Autoportrait
Source



Après 1917 Il s'essaye aussi à la mise en scène. Avec Nikolaï Evreinov et Dimitri Tiomkine Il participe à l'organisation de grands spectacles de masse, l'Hymne au travail libéré et la grandiose reconstitution en 1920 de la prise du Palis d'hiver : huit mille figurants, de vrais tanks et de vrais coups de canon du croiseur Aurore... 





Iouri Annenkov - Autoportrait



Les artistes ont enduré le froid et la famine de la période du communisme de guerre - mais ils supportent de moins en moins l'atmosphère de caserne qui s'appesantit encore au début des années 20.



Iouri Annenkov - Autoportrait
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"J'abandonnai l'Union soviétique l'été 1924, sept mois après la mort de Lénine..." (2)



Il part pour Berlin - il y travaille pour le Faust de Murnau - puis Paris où il s'établit. La décoration théâtrale, toujours, et les costumes pour le cinéma - il est nominé aux Oscars pour les costumes de Madame de... de Max Ophüls.





Iouri Annenkov - Autoportrait
Source



Pendant dix ans, de 45 à 55, il sera président du syndicat français des techniciens du cinéma.




Iouri Annenkov - Autoportrait


Et il meurt à Paris en 1974.


Le Journal de mes rencontres est un document unique sur l'intelligentsia russe des années 1890-1925, abondamment utilisé déjà, voire pillé, par des sources secondaires. On y croise Pasternak, Pilniak et Zamiatine, bien sûr Akhmatova, mais aussi Lénine et Trotski, bien d'autres encore. Les chapitres sur Blok et Maïakovski sont irremplaçables. Et cette édition française comprend pas moins de 68 portraits, par Annenkov, de ses rencontres. Ajoutez à cela qu'on attendait cette traduction intégrale depuis un demi-siècle...


(1) Journal de mes rencontres, p. 685.

(2) p. 157.

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