28/07/2009

The cat's meow : Elizabeth Cotten



Elizabeth Cotten - Washington blues - I'm goin' away
Mis en ligne par humbatron




On appelle ça le Cotten picking : jouer en gaucher de la guitare pour droitier, en renversant l'instrument pour jouer les cordes aigües avec le pouce et les basses avec les autres doigts.

Elizabeth "Libba" Neville naît gauchère en 1892 (ou 1893, ou 1895 selon les sources) à Chapel Hill, Caroline du nord, cadette d'une famille de cinq enfants. A sept ans, elle se faufile dans la chambre de son frère en son absence et découvre son banjo. A onze ans elle quitte l'école et commence à travailler pour s'acheter une guitare, une Stella standard, pour droitier. Elle apprend, semble-t-il, toute seule et à douze ans elle compose Freight Train, son morceau le plus connu. A quinze, elle épouse Frank Cotten et ils ont une fille. Elle joue un peu pour son église locale - mais on lui dit que la guitare est l'instrument du diable. Et elle arrête la musique. Pour quelque quarante ans.

Elle travaille comme domestique, à Chapel Hill puis à New-York où la famille Cotten a déménagé, enfin à Washington, DC où elle s'installe avec sa fille après avoir divorcé. Vers la fin des années 40 elle est vendeuse au rayon des poupées chez Lansburgh. Un jour elle trouve une petite fille qui s'est perdue dans le magasin, et elle la ramène à sa mère.

La mère s'appelle Ruth Crawford Seeger, compositrice et musicologue, disciple indirecte de Scriabine par le biais de sa professeur au conservatoire de Chicago, Djane Lavoie Herz, et première femme à recevoir une bourse Guggenheim. Ce qui lui a permis de se rendre au début des années 30 à Berlin, où elle a été influencée par les conceptions de Berg et Schönberg. A Chicago, elle rencontre Carl Sandburg, qui lui fait découvrir le monde du folksong. Un peu plus tard à l'IMA de New-York, la future Juilliard School, elle étudie auprès de Charles Seeger qu'elle épouse peu après. Seeger est l'inventeur du Melograph, le théoricien du contrepoint dissonant et par ailleurs le père de Pete Seeger de par son précédent mariage. A ce moment, le couple Seeger est partie prenante du courant ultramoderniste de la musique américaine - Edgar Varèse, Charles Ives, Henry Cowell - radicalement opposé à Stravinsky et au néo-classicisme.



En même temps les deux époux font partie de ces exceptions - de purs musiciens classiques, mais passionnés par la musique folk et pris dans le grand mouvement populiste des années 30 et 40 aux USA. L'oeuvre de Ruth Seeger se partage entre la musique atonale et les arrangement de folksongs dont elle a publié plusieurs recueils. Charles Seeger, qui a été proche des IWW à Berkeley au début du siècle, travaillera pour la FSA et pour le Federal Music Project de la WPA. Et ce sont les Seeger, ensemble avec John Lomax et son fils Alan, qui vont constituer le Folk Song Archive de la Librairie du Congrès. Suivant l'exemple de leur demi-frère, deux de leurs enfants deviendront folksingers. Mike Seeger, un des héros de Bob Dylan, que vous pouvez écouter ici-même dans Strike avec Ry Cooder, et Peggy Seeger - qui chantera plus tard en Angleterre avec son compagnon, Ewan Mc Coll.

Au rayon des poupées de Lansburgh les deux femmes sympathisent, et Elizabeth Cotten vient faire des ménages chez les Seeger. Elle remarque un guitare qui traîne et, diable ou pas, elle fait comme d'habitude avec les guitares qui traînent - elle se met à en jouer. Peggy Seeger, qui apprend l'instrument, l'entend et alerte sa mère : leur femme de ménage est "un rêve de folkloriste : une véritable, authentique musicienne" (1).

La famille Seeger se met à enregistrer Cotten, et produit son premier album en 1957.




En 1960, elle donne ses premiers concerts, à 68 ans. En 1964 elle est sur la scène à Newport, et les albums se succèdent. Elle récupère une part du copyright de Freight Train, que s'étaient attribué deux anglais indélicats qui avaient enregistré Peggy Seeger. Elle donne son dernier concert le 22 février 1987, et meurt le 29 juin suivant.

Contrairement à ces bluesmen qui, lors du folk revival,
se sont contentés de remiser leur guitare électrique, Elizabeth Cotten n'a pas eu à changer de style. Elle est comme ces poissons qu'on pensait fossiles, et qu'un filet remonte un jour des profondeurs. Elle se remet à jouer en 1957 quelque chose qu'on n'a pas entendu depuis 1907, quelque chose qui se jouait alors sous les porches, dans les granges et les cours poussiéreuses de Caroline du nord, et dans les églises qui le voulaient bien. Quelque chose qui n'avait pas encore de nom, ni country, ni folk, ni même blues, qui ne se rapproche que de ce que nous avons baptisé ragtime guitar et qu'on devait appeler tout simplement music. Quelque chose qu'il faut écouter en pensant à toutes les femmes de ménage musiciennes qui n'ont pas rencontré de Ruth Seeger sur leur chemin.

(1) Selon les mots de Dana Klipp, guitariste qui accompagna Cotten dans les années 80, quand ses mains commencèrent à s'affaiblir.

20/07/2009

La Zone (1) : Six mois sous la lune grise



Voir les chapitres précédents


Stalker
, film d'Andreï Tarkovski sur un scénario tiré par les frères Strougatski d'un de leurs propres livres, se déroule dans une Zone interdite - résultat d'une incompréhensible intrusion extraterrestre - où les lois de la physique ordinaire n'ont plus cours. Des pièges paranormaux y guettent les explorateurs clandestins qui ne s'y risquent que sous la conduite d'un guide, un Stalker. Le but du voyage est de parvenir à la Chambre des désirs, où tous les voeux seront exaucés. La Zone de Stalker est une métaphore qui convient bien, entre autres, aux années 69-71 : tout glissait sous nos pieds et nous cherchions des guides.

Nous en avons trouvé, d'ailleurs. Et évidemment nous n'avons vu Stalker qu'en 1979, plutôt tard pour déjouer tous les pièges.





Andreï Tarkovski - Stalker - Le transport et l'entrée dans la Zone
Mis en ligne par KippenhanFilms



Cela dit, en février 1969 la campagne alentour n'était pas verte.

A la descente du train
La neige crissait sous les bottes
Lorraine, campagne pâlotte
Secrets, frissons et chagrin.


On m'attendait au poste de garde, qui m'expédia chez le colonel. Ce dernier me fit part de son équanimité vis-à-vis du trublion que je me devais de ne plus être, puisque le service militaire n'était clairement pas une punition. Plutôt l'occasion de rencontrer d'autres jeunes et de m'exercer à défendre ce beau vieux pays de Napoléon IV (voir plus bas : le colonel avait raison parties I et II). Puis je passai à la tonte et à la fourniture.

Le treillis et puis la capote
Dans le sac tout un saint-frusquin
On ne dit pas des brodequins
Mais des rangers, c'est tout mon pote.



Gustave Caillebotte - Un soldat, ca 1881


On m'assigna un lit vide dans une chambrée de soixante et je posai mon casque lourd (lourd) sur le haut (haut) d'une armoire métallique (clique) - signe d'appropriation de mon territoire. L'avantage d'arriver par décision spéciale du ministre en-dehors du calendrier des incorporations bimestrielles, c'est que j'étais immédiatement repérable.

- Quest-ce-que tu fous là ? T'as vingt jours d'avance sur les bleus de la prochaine...
- Je suis le gauchiste étudiant incorporé à titre disciplinaire.


Au bout de quelques heures j'étais l'attraction et ils venaient me raconter le mai de leur caserne - les camions prêts à partir pour Paris, moteurs chauffés, les fusils dans les armoires pour ne pas perdre de temps à l'armurerie au cas où la troupe devrait embarquer au plus vite. Et les interrogations inévitables - si on nous avait dit de tirer, qu'est-ce qu'on aurait fait ?


Incidente : vers le milieu du XXIème siècle, des thésards faméliques mais chanceux pourront sans doute accéder aux archives militaires et retrouver des bribes de ce qui s'est vraiment passé dans les casernes française en mai-juin 1968. Ils diront à nos petits-enfants s'il y a réellement eu une mutinerie sur le porte-avions Clemenceau (1) et s'il y a eu d'autres comités de soldats que celui du 153ème RIMECA de Mutzig (2). IIs pourront vérifier à travers les rapports de la Sécurité Militaire si le soldat français interviewé à Baden-Baden par un reporter du Times était bien représentatif de l'état d'esprit de ses camarades - à la question de savoir s’il tirerait sur des grévistes, il avait répondu : "Jamais ! Je trouve leurs méthodes un peu rudes, mais je suis moi-même un fils de travailleur."


En attendant l'arrivée de la fournée suivante, on me mit dans le coin d'un bureau. J'y rédigeais à l'attention des tribunaux administratifs des mémoires et observations - le deuxième canonnier Chose contre Pierre Messmer, ministre des armées - que je remettais dûment à des vaguemestres dubitatifs. Ensuite, il ne me restait plus qu'à me plonger dans Balzac et Dickens, ces deux providences des enfermés. Je venais de finir Splendeurs et misères, et je commençais juste les Pickwick papers, quand ma classe arriva.

Le colonel avait raison (I)...

...quand je pense à tous ceux que je n'aurais pas rencontrés sans lui; il y avait...

...Mohammed dit Momo, pour qui l'armée était le ciel bleu et le soleil de la liberté. Il sortait par transport direct de la Centrale de Toul - une taule pas vraiment réputée pour ses excès de tendresse et qui donnerait deux ans plus tard, du 9 au 13 décembre 1971, le coup d'envoi des grandes révoltes de prisons (3). Quand on avait le blues on allait voir Momo, professeur de gaîté qui n'avait peur que d'une seule chose au monde - la relègue, qui ne disparut pour de bon qu'en 1970...

...ce margis-chef (4) ancien harki qui avait combattu en Algérie dans les commandos de chasse. Un taiseux, mais ses yeux parlaient pour lui...

...G., qui le jour de l'incorporation avait gentiment annoncé que quoi qu'il en coûte il resterait tel quel - pas rasé, chemise ouverte, sourire et cigarette aux lèvres, guitare à la main. Barman de son état, il s'était accroché à son instrument jusqu'à ce qu'on le jette à l'infirmerie d'abord et au gnouf ensuite - avant de le réformer P4. Il était parti sous les vivats de ceux qui auraient bien aimé avoir son courage...

...A. et B., les deux métallos cégétistes de Renault-Billancourt.
B. en plus d'être communiste était kabyle, ce qui faisait beaucoup pour l'armée de l'époque. En général quand il pleuvait c'était d'abord sur lui - ça nous rapprochait...

...le petit ouvrier pâtissier qui n'avait pas dépassé le premier exercice de tir.
Au cri "feu" il était resté figé, le doigt sur la détente de son MAS 49/56.




Le fusil semi-automatique MAS 49 modifié 56 de 7,5 mm, arme standard de l'armée française à partir de la guerre d'Algérie.


- Pourquoi t'as pas tiré bon dieu ?


Tout pâle, il avait tourné la tête

- Mais comme ça, ça peut tuer des gens ?
- Tire, nom de dieu !
- ...
- Tu va tirer oui ou merde ?
- Non, j'veux pas tuer des gens.


Au bout de trois minutes le chef l'avait sorti du pas de tir. Conduit à l'infirmerie, et réformé P4. Il faut être fou, pour ne vouloir tuer personne...

...le surprenant maréchal des logis.
Un beau matin le margis de semaine nous fait le coup de l'inspection inopinée. Fait ouvrir son armoire à B., un des métallos, farfouille et en sort le dernier numéro de Rouge.




Un ange passe dans la chambrée des bleus, un très gros ange aux allures de poulet cuit : on n'a déjà pas le droit de faire entrer un journal quelconque, alors un canard gauchiste ça peut aller chercher dans les deux mois de trou, facile. Le margis lit attentivement la première page et dit : "suivez-moi". J'accompagne B., nous n'en menons pas large. Surprise, on ne va pas à la semaine ou chez le capitaine mais dans la chambre du sous-off qui referme soigneusement la porte derrière nous, ouvre à clef le tiroir de son bureau et en sort le




Programme de transition
de l'oncle Léon, en nous disant tout joyeux "Regardez, moi aussi !" Nous finissons par comprendre que nous étions face au dernier auditeur d'un cercle d'études marxiste formé dans la caserne par un militant de l'O.C.I. quelque deux ans plus tôt : le trou, ce n'était pas pour cette fois. Je crois aussi qu'on a un peu déçu le margis quand il a réalisé que ni B. ni moi nous n'étions lambertistes...

...le jeune soldat juif que nous avions retrouvé à temps sous son lit, les veines ouvertes, et qui s'en était sorti. Réformé P4...


Le colonel avait raison (II)...

...ou comment j'ai appris à défendre le vieux pays.


Cet hiver-là Richard Anthony faisait un carton à six heures du mat dans les casernes. La journée du soldat commence par le bruit des rangers du margis de semaine dans l'escalier. La porte s'ouvre...

- ...bout là-dedans !


En fonction de l'individu et de son humeur - il a en principe veillé toute la nuit à attendre que l'armée rouge attaque - cet ordre s'accompagne ou non de coups de pieds dans les montants des lits superposés. C'est alors que les transistors se mettent en marche...




Richard Anthony - Le sirop-typhon, 1969
Mis en ligne par Judicael Tartempion



Garder ce rythme en s'habillant, puis pour le petit cross de décrassage dans la nuit à -6°, lit au carré, inspections diverses et mise en tenue avant le petit déjeuner - le café au lait est meilleur sans lait. Ensuite on se met à l'entretien et/ou la mise en marche du joyau du régiment - sa raison d'être...



...l'obusier de 105 automoteur MK61 sur châssis AMX13
que l'on peut acheter ici en kit et assembler selon le mode d'emploi.




Elégant et robuste, ses 16,5 tonnes sur 2x5 roues, poulies de tension et barbotins avant pouvaient transporter cinq, voire six hommes d'équipage jusqu'à des 60 km/h - à cette vitesse les casques lourds étaient pratiques pour vomir dedans. Aujourd'hui ces machins fonctionnent avec quatre hommes mais à l'époque on ne manquait pas de gamins appelés à s'entasser dans la breloquante casserole - en plus du chef de char, un pilote à l'avant, artificier, pointeur, chargeur, tireur, et les obus qui vous basculaient sur la gueule dans les cahots, les douilles récupérées qui valdinguaient dans les jambes. Un char ce n'est jamais qu'une machine, juste un peu plus dangereuse pour ceux qui sont devant que pour ceux qu'on met à l'intérieur. Essentiellement de la graisse à mettre et à enlever, longuement.


Au bout d'un mois de classes, on pouvait sortir en ville. Enfin, la ville...


La permission du soir, après la soupe
Les canonniers s'en vont, seuls ou par deux
Vagues, le coeur serré, dans le soir bleu
Ce ne sont plus des enfants - c'est la Troupe.

Mais

Puisque les filles ici n'aiment pas l'uniforme
Contentons-nous de jouer aux tarots
Dans la chambrée - et crions-le bien haut :
Plus que Quatre-cent dix ! Puis la jouissance, énorme !

Après l'appel, l'inspection à la loupe
Ils vont grimper en riant dans leurs lits
Et puis ils vont pleurer - mais à bas bruit :
Ce ne sont plus des enfants, c'est la Troupe.


L'ennui porte à la rimaille - on marche au pas, on compose dans sa tête des poèmes de pacotille, des espèces de Vieux Coppées militaires - j'essaie de m'en souvenir. On s'ennuie encore, on tourne en rangs dans la cour, on défile en gueulant ces espèces de vieux chants scouts ou légionnaires...



Mis en ligne par CHANTS MILITAIRE


...on ne chantait pas dans la brume grise, on préférait sous la lune grise, ça m'est resté. Et on montait des gardes, des quinze jours d'affilée à surveiller des dépôts de munitions perdus au fin fond des Vosges, seul dans un mirador à attendre que d'improbables cons viennent chiper des obus. Lectures conseillées Céline, le Voyage, et Darien, le Journal du voleur - très bien, Darien, sous l'uniforme...

L'ennui - et de temps en temps quelques brimades, faire des pompes en criant



Brigitte Bardot est une belle femme mais j'suis trop con pour la baiser !!


et nous nous disions que cette formule obsessionnelle devait être plus qu'un fantasme, un mot de passe peut-être, protégeant un savoir ésotérique, la quintessence d'une philosophie - le grand secret un peu honteux de l'armée française...


Il y avait un peu de formation théorique : qu'est-ce qu'un obus, qu'est-ce que l'ennemi, comment identifier un char soviétique...

Comment se protéger en cas d'explosion nucléaire... je me souviens de la fin du chapitre : "à défaut, se réfugier sous une table solide".

A l'époque, le service faisait dix-huit mois, la première permission au bout de deux mois à la fin des classes, et puis tout de suite le chapelet des jours à décompter en hurlant :
- Trois cents !
- Deux cent vingt huit !!
- Cent douze !!!
Et juste après, le Père Cent qui se fêtait en humiliant les bleus...
Enfin à partir de Soixante les libérables se traînaient, avinés, débraillés, intouchables, comme des pièces d'usinage dix fois réembouties et recabossées, prêts à tout pourvu qu'on les laisse filer - libéraaaab !!!

Vinrent les beaux jours, les manoeuvres à Mourmelon et à Suippes, à tirer les coups de canon qu'il fallait bien de temps en temps. Je me souviens, on était là quatre ou cinq à bouffer des rations de combat, celles où il y avait parfois une petite bouteille de rhum, léger mais suffisant.




Henri Rousseau dit le Douanier - Les artilleurs, ca 1893


Comme dans la chanson, le vent de Juin berçait les arbres. Plus haut, les obus des 155 positionnés derrière nous passaient au-dessus de nos têtes avec ce long bruit de faux qu'on n'entend jamais au cinéma. Quelqu'un dit comme de juste "on n'est pas bien, là ?" et un autre alluma un transistor : Louis-Philippe II succédait à Napoléon IV.




15 juin 1969 - Election de Georges Pompidou
Mis en ligne par British Pathé



Je me souviens : cinq semaines plus tard, il y a quarante ans de cela, nous étions revenus de manoeuvre, on avait une fois de plus battu les rouges à plate couture. On était tous au foyer à consommer ce qu'il y avait de plus alcoolisé, des fruits au sirop dégueulasses et du savarin bourratif, en regardant l'humanité faire un grand pas à la télé...




Neil Armstrong - First Moon Landing 1969
Mis en ligne par NTD



...à ce moment-là quelqu'un a dit "eux ils sont sur la lune, mais ils seront revenus avant nous". Trois cent soixante au jus et des poussières qu'on avait à passer, sous notre lune grise à nous.

Et puis finalement non. Les tribunaux administratifs avaient entre-temps jugé qu'on ne pouvait pas annuler rétroactivement la décision d'accorder un sursis d'incorporation d'un an (5). Après le TA la question était celle de l'appel, suspensif bien entendu. Il faut croire que le départ de Napoléon IV avait enhardi les autorités compétentes au point qu'elles décidèrent de ne pas se ridiculiser une nouvelle fois devant le Conseil d'Etat.

Par un bel après-midi d'été j'eus ma seconde entrevue avec le colonel.

- Deuxième canonnier, on me dit que si vous voulez vous pouvez regagner tout de suite la vie civile, mais vous allez rester avec nous, hein ?

- Mon colonel, je crains que non, hélas...

- Eh bien dans ce cas d'ici deux heures je ne veux plus vous voir dans ma caserne.


Une évasion, même légale, étant toujours une fête collective les copains de chambrée m'aidèrent à boucler mes affaires en un temps record et je quittai sous le soleil d'Août l'ombre portée de la lune grise.




(1) Et plusieurs marins "perdus à la mer", selon un numéro d'Action paru en mai 1968.

(2) Qui publia un tract intitulé "Nous ne tirerons pas sur nos frères ouvriers" : "comme tous les conscrits, nous sommes confinés dans les casernes. On se prépare à nous faire intervenir comme force répressive. Les jeunes et les travailleurs doivent savoir que les soldats du contingent ne tireront jamais sur les travailleurs. Nous sommes absolument opposés à l’encerclement militaire des usines. […] Nous devons fraterniser. Soldats du contingent, formez vos comités !"

(3) La grande vague de révoltes fit suite à la circulaire du 12 novembre 1971 de René Pleven par laquelle ce bon chrétien ministre de la justice supprimait à titre disciplinaire les colis de Noël. Les prisons de Nîmes, de Nancy et bien d'autres suivirent Toul. Voir par exemple Philippe Artières, La prison en procès, les mutins de Nancy (1972), Revue Vingtième siècle, 2001 n°70 pp. 55-70. Edith Rose, psychiatre de la centrale de Toul, bouleversée par ce qu'elle avait vu (prisonniers mis pendant des jours en contention pieds et poings liés sur des lits, tentatives de suicides toutes les nuits, traitement par l'alternance mitard-piqûre de calmants...) en fit un rapport à l'inspecteur général de l'Administration Pénitentiaire. Elle écrivait : "je refuse d'admettre qu'un homme soit irrémédiablement fichu, comme le pensent beaucoup de gens à la centrale Ney de Toul, à l'âge de 20 ans. Je somme tous ceux qui me liront de ne pas rester indifférents et de s'engager". Elle fut révoquée de l'Administration Pénitentiaire. Michel Foucault lut son rapport, acheta avec des amis une page du Monde pour le publier et en fit le point de départ de son fameux Discours de Toul, qu'on peut lire ici par exemple, page 236.

(4) Dans l'artillerie comme dans la cavalerie il n'y a pas de sergent mais des maréchaux des logis, en abrégé margis, et donc un sergent-chef s'appelle un margis-chef.

(5) ce qui était évident depuis le début, avait laissé entendre le Commissaire du gouvernement lors du passage de mon recours au TA.

19/07/2009

Poésie illustrée : Delpastre

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De l'idea que ven, que se'n tòrna, e beleu tornara, beleu pas,
que sabes - d'onte ven mai d'onte vendra pas !

D'aquela musica, que passa, que te traucha, que te fai oblidar lo vent, e lo temps, e lo bruch qual que siá alentorn,
d'aquela musica, o d'aquela paraula, qu'arrieba coma vent-folet, que passa, que te tòrç, e que te fai virar
que t'empòrta ! e que te laissa quí, bresat, nejat, leugier mai que pluma, pesant mai que de peira -
e que te laissa quí, crebat de mila mòrts, de mila amors, e de l'eternitat, e que te laissa quí, sechat, pus viu que font,
pus niure e pus segur, e que -que tornara beleu, jamai pariera - o que tornara pas - coma l'onda que tòrna, o que tornara pas, plaser que fend, dolor que raia -
que ne'n dire ! E que ne'n saubriatz.


De l'idée qui vient, qui s'en va, peut-être reviendra, peut-être pas,

que sais-tu - d'où elle vient, d'où elle ne vient pas !

De cette musique, qui passe, qui te traverse, qui te fait oublier le vent, et le temps, et le bruit quelqu'il soit autour,
de cette musique, ou de cette parole, qui arrive comme un vent follet, qui passe, qui te tord, et qui te fait tourner,
qui t'emporte, et qui te laisse là, brisé, noyé, plus léger que plume, plus lourd que pierre -
et qui te laisse là, crevé de mille morts, de mille amours et de l'éternité, et qui te laisse là, desséché, plus vif que source,
plus ivre et plus sûr, et qui - qui reviendra peut-être, jamais semblable - ou ne reviendra pas - comme l'onde revient, ou ne revient pas, plaisir déchirant, douleur rayonnante -
qu'en peut-on dire ! Qu'est-ce qu'on en sait.

Marcelle Delpastre - Paraulas per questa terra
edicions dau chamin de Sent-Jaume

On peut aussi l'écouter ici pendant trente jours.

16/07/2009

Ayons congé : Millais

John Everett Millais - Leisure hours, portrait d'Ann et Marion Pender, filles de Sir John Pender, 1864

13/07/2009

Brillez, lanternes de papier : Gibbs/Simon/Rivière/Kobayashi



Kobayashi Kiyochika - Feux d'artifice sur l'étang d'Ikenohata


Henri Rivière - 36 vues de la Tour Eiffel - Fête du 14 juillet sur la Seine


Frantisek Simon - Soir de fête à Paris


Percy W. Gibbs - River promenade

09/07/2009

Le greffe : il est de retour




The cat came back, Cordell Barker, 1988

Nominé aux Oscars l'année de sa réalisation, le film illustre une chanson de Harry S. Miller passée dans le patrimoine folk.

Voir d'autres films de Cordell Barker sur le site de l'Office National du Film canadien.

Old Mister Johnson had troubles of his own
He had a yellow cat which wouldn't leave its home;
He tried and he tried to give the cat away,
He gave it to a man goin' far, far away.

But the cat came back the very next day,
The cat came back, we thought he was a goner
But the cat came back; it just couldn't stay away.
Away, away, yea, yea, yea


08/07/2009

07/07/2009

Le bar du coin : dernier verre


George Grosz - Café, 1919

Il y a de cela cinquante ans et un jour, à Berlin. George Grosz, rentrant d'une soirée bien arrosée, rate une marche dans l'escalier de sa cave, tombe et meurt.

Voir des oeuvres de Grosz.

03/07/2009

Le vendredi c'est Hasui


Kawase Hasui - Le matin sur la mer à Shiribeshi, Bikuni (Hokkaïdo), 3 octobre 1932