Julio Romero de Torres - El Cohete / La fusée, 1931Huile sur toile
Les Cordouanes préraphaélites qui languissent sur les toiles de Torres, pécheresses, mystiques, comtesses, copleras, religieuses, gitanes, diseuses de bonne aventure ou toreras - ne traînent pas toutes un ennui distingué et/ou vénal. Quelquefois elles s'amusent, comme sur ce tableau qui était destiné au calendrier 1931 des artificiers de l'Union Española de Explosivos.
Celle qui posa pour La fusée était Carmen Gabucio, mexicaine qui eut comme d'autres modèles de Torres (1) une biographie agitée, épousant un poète à Mexico, s'installant en Espagne après son divorce pour devenir choriste à l'Apolo de Madrid et faisant la connaissance de Torres par l'entremise d'une amie qui était l'amante de José Antonio Primo de Rivera (2) - tropisme qui l'amena à adhérer à la Phalange. Au début de la guerre civile elle aida de nombreux nationalistes à se réfugier à l'ambassade mexicaine et fut dénoncée comme espionne aux autorités républicaines, condamnée à mort sans être exécutée. Pendant ce temps son frère, Aníbal Gabucio, quittait le Mexique pour s'engager, lui, dans les Brigades Internationales et commander l'artillerie républicaine lors de la bataille de Madrid (3). Par la suite elle demeura en Espagne avant d'être rapatriée au Mexique en 1993 et d'y mourir quelques mois plus tard. Carmen Gabucio fut également pour Torres le modèle de la Virgen de los faroles...
la Vierge des flambeaux, objet de vénération installé sur l'autel extérieur au mur nord de la Mezquita, la mosquée-église de Cordoue. Cette vierge, qui fut donc muse de plusieurs poètes, lanceuse de fusées, phalangiste et espionne est un objet, disons, de réflexions.
Et, comme les liens de cet article y invitent, on peut visiter, même en temps de confinement voire de couvre-feu, le Musée Julio Romero Torres de Cordoue.
(1) Torres commit, par exemple, un portrait de Musidora qui vécut, dans l'Espagne des années 20, un grand roman d'amour avec un rejoneador.
(2) Dont un portrait est attribué à Torres.
(3) Carmen Gabucio affirmait que c'était son propre frère qui l'avait dénoncée. La source pour sa biographie est l'article de Benjamín Flores Hernández, Migración Hispano-Mexicana. Un caso de ida y vuelta: el teniente coronel Aníbal Gabucio, 2006.