Huile sur toile
Comparer ce tableau, par exemple, avec Soir bleu de Hopper, qui était à Paris dans les mêmes années, juste un peu plus tard. A quel point Maurer est plus inventif picturalement, a mieux assimilé ce qu'il a vu de l'évolution du fauvisme. Mais aussi comment Hopper l'emporte, déjà, pour l'architecture de son tableau, et pour la thématique (1). Et pour la suite, ça continue. Maurer évoluera et expérimentera constamment, jusqu'au cubisme et à un expressionnisme très particulier - ce qui n'est pas le cas de Hopper, loin de là.
Maurer se détruira de façon quasi-masochiste - se cloîtrant pendant dix-huit ans chez son père qui le méprisait, et quand son père meurt, il se suicide. Tout le contraire de Hopper, qui mène sa maison, sa carrière et son couple d'une main de fer - la masochiste, celle qui va morfler, c'est Jo.
Deux artistes, deux vies bien différentes, un échec lamentable et une réussite au bout du compte. Et le plus étonnant - regardez en détail certains Hopper - c'est que celui qu'on a oublié n'était pas forcément un plus mauvais peintre.
(1) L'art de Hopper repose, non sur l'expression, mais sur la mise à l'écart, à distance, des affects. Non pas une expression, mais une thématique. Nighthawks se résume à un thème : "des habitués dans un café la nuit". Dans leurs souvenirs, les familiers de Hopper racontent qu'il pouvait raconter avec force détails les histoires des personnages qu'il peignait. Pourtant la force de ses tableaux repose sur le fait que ces scènes sont rendues muettes et statiques, inexpressives. Tout le contraire d'un tableau comme Le bal Bullier, qui est certes tout aussi ambigu et polysémique qu'un Hopper, mais - Lautrec ou Degas ne sont pas loin - ce tremblement du sens y naît précisément de l'expression et du mouvement. Chez Hopper l'ambiguïté vient de l'extinction des affects, qui rend la scène inerte, impénétrable. D'où la facilité qu'on a à s'y projeter, mais sans s'y satisfaire vraiment : la fascination, mais sans l'empathie.
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