Karel Teige - Sans titre, collage, 1941
Via Arsvitaest
Karel Teige, dessinateur, photographe et typographe tchèque (né en 1900) fonda en 1920 le groupe moderniste Devětsil (1) avec, entre autres, Vítězslav Nezval et Jaroslav Seifert. Entre dadaïsme, constructivisme et Bauhaus, Teige a utilisé les techniques du collage et du photomontage pour aboutir à sa version personnelle de ce que les artistes du Devětsil appelaient des poèmes graphiques ou poèmes-images. Dans ceux de Teige les corps se transforment en paysage ou se percent de fenêtres. Teige a mené les mêmes recherches dans le domaine de la typographie.
Teige fut également un théoricien (marxiste) de l'architecture fonctionnaliste, ami de Hannes Meyer, le directeur du Bauhaus de Dessau, et engagé dans des polémiques à la fois contre Le Corbusier et contre les variantes les moins subtiles du réalisme socialiste (2). Devětsil avait pour objectif, entre autres, de mettre fin à la séparation entre l'art et la vie quotidienne - mot d'ordre commun au surréalisme et au constructivisme. Teige étend ce programme à l'architecture : critique du home sweet home, de la cuisine individuelle et de la chambre conjugale, mais aussi analyse prophétique de la "machine à vivre" de Le Corbusier. Pour Teige, le Corbu est atteint à la fois de romantisme technocratique et de formalisme architectural - avec pour résultat un urbanisme fordiste - éminemment adapté aux besoins du Capital. En même temps, Teige diverge du courant principal de l'architecture soviétique au moment de son tournant néo-classique vers le monumental et le décoratif plaqué (concours du Palais des Soviets, 1932).
Après le Février victorieux (ce que nous appelons le Coup de Prague) des staliniens tchèques en 1948, les surréalistes et/ou anciens du Devětsil deviennent une cible, notamment ceux qui comme Teige avaient signé en 1938 une pétition contre les procès de Moscou : ainsi le surréaliste Záviš Kalandra pendu en juin 1950 (3). Vítězslav Nezval, passé du surréalisme au stalinisme pur et dur comme un Aragon ou un Eluard, participe activement à la campagne et attaque publiquement Teige lors d'une réunion publique de l'Union des écrivains tchèques le 22 janvier 1950. Accusé d'être un trotskyste dégénéré Teige doit rédiger une autocritique, est réduit au silence et privé de travail. Il meurt en 1951 d'un arrêt cardiaque. Ses compagnes, Jožka Nevařilová et Eva Ebertová, se suicident au gaz peu après. Konstantin Biebl, un autre ancien du Devětsil, se défenestre. Jaroslav Seifert est mis à l'index. Les archives de Teige sont déménagées et mises sous séquestre par la police. Ses écrits ne reparaîtront qu'avec la libéralisation de la fin des années 60, pour être remis sous le boisseau avec l'invasion de 1968...
(1) Nom tchèque de la plante qu'on appelle en français Pétasite. Le mot signifie "neuf forces", il est possible que les fondateurs du groupe, partisans de la fusion des arts, aient voulu évoquer les neuf Muses.
(2) Les surréalistes tchèques, à la différence des Français, étaient plus syncrétiques que diviseurs - Teige a longtemps tenté une synthèse entre réalisme socialiste et surréalisme.
(3) Kalandra avait "confessé ses crimes" après trois jours de torture. André Breton, qui était son ami, tenta de faire intervenir Eluard en sa faveur. C'est à cette occasion que ce dernier prononça sa fameuse phrase "j'ai suffisamment à faire avec les coupables qui n'ont pas avoué."